Vous êtes seul, il est un peu plus de 21 heures, et vous avez simplement envie d’un verre tranquille après une longue journée. Vous poussez la porte d’un bar sympa… et on vous refuse l’entrée. Pas parce que vous êtes ivre, pas parce que vous avez l’air louche, mais juste parce que vous êtes seul. Cela vous semble dingue ? C’est pourtant la réalité dans un établissement de la banlieue chic de Manchester depuis trois ans. Et la polémique vient juste d’exploser.
Je vais être honnête : quand j’ai découvert cette histoire, j’ai d’abord cru à un canular. Puis j’ai vu la vidéo du gérant, calme, presque désolé de devoir se justifier, et j’ai compris que c’était sérieux. Très sérieux même. Parce que derrière cette règle apparemment absurde se cache un débat de fond sur la vie nocturne, la sécurité, la solitude et jusqu’où un commerce privé peut aller dans ses critères d’admission.
Une règle qui ne date pas d’hier mais qui fait soudainement scandale
Depuis son ouverture en 2022, ce bar à cocktails doublé d’une salle de karaoké applique une politique claire : après 21 heures, entrée autorisée uniquement par groupe de deux personnes minimum. La mesure n’avait jamais vraiment fait de vagues. Quelques clients mécontents, oui, mais rien de bien méchant. Jusqu’à ce que le gérant prenne la parole sur les réseaux sociaux début novembre pour réexpléter sa position. Et là, c’est le déferlement.
En quelques jours, des milliers de commentaires, des articles partout, des débats enflammés. Certains crient à la discrimination pure et simple, d’autres applaudissent une mesure de bon sens. Moi, je trouve ça fascinant : une simple règle de porte d’entrée qui révèle à quel point nos sociétés sont devenues sensibles – et parfois paradoxales – sur la question de la solitude.
Les arguments du gérant : sécurité ou préjugés ?
Le patron ne tourne pas autour du pot. Pour lui, laisser entrer des personnes seules le soir pose deux problèmes majeurs.
« Quand quelqu’un vient seul, bien souvent, c’est parce qu’il n’a personne à qui parler ailleurs. Et là, il va chercher à discuter avec n’importe qui, parfois de façon pesante pour les autres groupes. »
Deuxième cas de figure qu’il évoque : la personne seule qui boit trop et finit par faire un malaise. Sans ami pour veiller sur elle ou la raccompagner, c’est le bar qui doit gérer la situation – appels aux secours, paperasse, responsabilité légale… Un vrai casse-tête, selon lui.
Franchement, on peut comprendre le raisonnement. J’ai travaillé plusieurs années dans la nuit (bars, clubs, festivals) et je sais très bien de quoi il parle. Il y a des soirées où certains clients isolés deviennent collants, insistants, parfois flippants. Et quand ça tourne mal, c’est toujours l’établissement qui trinque.
Mais où trace-t-on la ligne rouge de la discrimination ?
C’est là que ça coince. Parce qu’en refusant quelqu’un uniquement parce qu’il est seul, on entre dans une zone grise juridiquement et moralement.
- Est-ce comparable à refuser des groupes de jeunes hommes (pratique courante dans certains clubs britanniques) ?
- Est-ce comme interdire les baskets ou les casquettes ?
- Ou est-ce plus proche d’un refus basé sur l’apparence, l’origine, le handicap – choses strictement interdites par la loi ?
Des avocats britanniques commencent à se pencher sur la question. Pour l’instant, la loi sur l’égalité de 2010 interdit la discrimination fondée sur l’âge, le genre, la race, la religion, l’orientation sexuelle, le handicap… mais rien sur le fait d’être seul ou accompagné. Techniquement, un établissement privé reste libre de refuser l’entrée sans motif, tant qu’il ne tombe pas dans les critères protégés.
Mais moralement ? C’est une autre paire de manches.
La solitude, ce tabou moderne
Ce qui me frappe le plus dans cette affaire, c’est qu’elle met le doigt sur quelque chose de profond : on accepte de moins en moins la solitude en public.
Aller au resto seul ? Toujours un peu gênant en France, même si ça se normalise. Aller au cinéma seul ? On y va, mais on le dit rarement. Boire un verre seul ? Là, on touche au cœur du réacteur social. Pourtant, des millions de gens vivent seuls. Et parfois, ils ont juste envie de sortir sans devoir rameuter trois copains au dernier moment.
Je me souviens d’un voyage à Tokyo il y a quelques années. Là-bas, les bars à hôte ou à hôtesse, les ramen shops avec des boxes individuels, les karaokés solo… tout est pensé pour que sortir seul soit normal, voire agréable. En Europe, on est encore loin du compte.
Et les femmes dans tout ça ?
Un point que beaucoup de commentatrices soulignent : cette règle touche particulièrement les femmes. Parce que oui, aller boire un verre seule quand on est une femme, c’est déjà prendre un risque dans pas mal d’endroits. Se faire recaler à l’entrée parce qu’on n’est pas accompagnée, ça rajoute une couche de frustration et d’insécurité.
« Je finis tard le boulot, mes amis sont déjà rentrés, et je ne peux même pas aller prendre un verre tranquille sans me faire jeter ? Super message de sécurité. »
– Une internaute exaspérée
Le gérant répond qu’au contraire, sa politique protège aussi les femmes des importuns. Argument recevable… jusqu’à un certain point. Parce qu’on finit par punir tout le monde pour le comportement de quelques-uns.
Les réactions : entre soutien massif et indignation
Sur les réseaux, c’est la guerre froide version britannique : politesse apparente, piques assassines.
- Certains clients réguliers défendent le bar bec et ongles : « Je m’y sens toujours en sécurité, jamais embêtée. »
- D’autres le boycottent : « Je bois heureux en ma propre compagnie depuis toujours, jamais dérangé personne. Politique fermée d’esprit. »
- Quelques esprits taquins proposent des solutions : « J’ouvre un service d’accompagnateurs factices à l’entrée, 10 livres les 5 minutes. »
Le gérant, lui, reste droit dans ses baskets. Il assume totalement et dit même que ça lui « est égal » que certains n’aiment pas. Après tout, son bar marche bien, les groupes affluent, les plaintes sont rares (une ou deux par mois, selon lui).
Et ailleurs, on fait comment ?
Je me suis amusé à regarder ce qui se passe dans d’autres pays.
Aux États-Unis, certains bars de quartier ont des soirées « no singles » informelles, surtout le week-end. En Asie, c’est l’inverse : des chaînes entières sont conçues pour les clients solos. En France, on a bien quelques bars à chats ou à jeux qui accueillent volontiers les solitaires, mais globalement, on reste sur le modèle groupe.
Et puis il y a les solutions créatives : à Berlin, certains établissements proposent des tables « open to join » où les gens seuls peuvent s’installer et discuter si l’envie leur prend, sans obligation. Une sorte de compromis élégant.
Mon avis (parce qu’on est entre nous)
Je suis partagé. D’un côté, je comprends parfaitement le gérant. Tenir un bar le soir, c’est un sport de combat. De l’autre, interdire systématiquement les gens seuls, c’est violent. Ça envoie le message que la solitude est suspecte par défaut. Et ça, je trouve ça triste.
Une solution intermédiaire existerait sûrement : un coin du bar réservé aux solitaires volontaires, avec une surveillance renforcée. Ou simplement former le personnel à gérer les comportements inappropriés plutôt que de filtrer à l’entrée. Parce que punir tout le monde pour les fautes de quelques-uns, ce n’est jamais la meilleure idée.
En attendant, l’histoire n’est pas prête de s’éteindre. Le bar continue d’appliquer sa règle, les débats font rage, et quelque part, on est tous en train de nous demander : la prochaine étape, ce sera quoi ? Interdire les gens qui sourient trop ? Ceux qui commandent des cocktails sans alcool ? Blague à part… jusqu’où peut-on aller au nom de la « sécurité de tous » ?
Une chose est sûre : la prochaine fois que j’irai boire un verre seul à Manchester, je penserai à prendre un ami imaginaire. Ou alors je choisirai un autre bar. Il y en a tellement.
