Et si une seule montée pouvait changer l’histoire d’un sport ? Il y a cinquante ans, un homme, Bernard Thévenet, a fait trembler le cyclisme mondial en terrassant l’intouchable Eddy Merckx lors du Tour de France 1975. Assis dans son salon, face aux montagnes qui l’ont vu triompher, il se confie avec une humilité désarmante sur cet exploit. Pra-Loup, l’Izoard, le maillot jaune : ces noms résonnent encore comme des échos d’une époque où le cyclisme était une bataille d’hommes et de volontés.
Un Exploit Gravé dans l’Histoire du Cyclisme
Le 13 juillet 1975, le Tour de France bascule. Dans la montée vers Pra-Loup, Bernard Thévenet, alors coureur prometteur mais encore dans l’ombre des géants, dépasse Eddy Merckx, le Cannibale, quintuple vainqueur de la Grande Boucle. Ce moment, amplifié par une panne de retransmission télévisée, devient légendaire. Les spectateurs, privés d’images pendant dix minutes, découvrent avec stupeur que Merckx n’est plus en tête. Thévenet, lui, savoure une victoire qui redessine les contours du cyclisme.
« Ce jour-là, personne ne comprenait ce qui se passait. Merckx était devant, puis d’un coup, c’était moi. »
– Un champion du Tour, évoquant l’étape de Pra-Loup
Ce n’était pas juste une étape. C’était une révolution. Merckx, invincible depuis des années, semblait hors d’atteinte. Pourtant, Thévenet, avec une stratégie affûtée et une condition physique au zénith, a su saisir sa chance. Mais comment en est-il arrivé là ?
Les Premiers Signes de Faiblesse du Cannibale
Un mois avant le Tour, le Critérium du Dauphiné offre un premier indice. Merckx, affaibli par une bronchite, n’est pas au sommet de sa forme. Pour la première fois, il apparaît humain. Thévenet, attentif, note cette faille. « On a commencé à le voir comme un coureur normal », confie-t-il. Cette observation, couplée à l’arrivée d’un nouveau directeur sportif, Maurice De Muer, chez Peugeot, change la donne. De Muer, stratège visionnaire, calcule qu’avec moins de 2’30’’ de retard avant les Pyrénées, Thévenet peut viser la victoire.
- Une faiblesse détectée : Merckx, moins à l’aise en montagne, devient une cible.
- Un plan audacieux : De Muer mise sur les cinq arrivées au sommet du Tour 1975.
- Un mental d’acier : Thévenet se concentre sur sa course, ignorant l’aura de son rival.
Cette préparation méticuleuse donne à Thévenet un avantage psychologique. Pourtant, il reste lucide : battre Merckx, c’est défier une légende. « Je ne voulais pas penser à lui, mais à ma course », explique-t-il. Une approche pragmatique, presque minimaliste, qui contraste avec l’ampleur de l’exploit.
Pra-Loup : Le Jour Où Tout a Basculé
L’étape de Pra-Loup, la 15e du Tour 1975, reste dans les annales. Merckx, en tête, semble intouchable. Mais dans les derniers kilomètres, il craque. Thévenet, galvanisé, attaque. Lorsqu’il franchAsh la ligne, il ne se contente pas de remporter l’étape : il arrache le maillot jaune à Merckx. Ce dernier, pour la première fois, ne le récupérera plus. Un moment d’autant plus dramatique que la télévision, privée d’images, amplifie l’effet de surprise.
« L’effet de surprise a rendu cet exploit presque irréel. Battre Merckx, c’était impensable. »
– Un observateur du cyclisme
Pourtant, Thévenet ne se repose pas sur ses lauriers. Avec seulement 58 secondes d’avance, il sait que la bataille est loin d’être gagnée. « J’étais condamné à un autre exploit », admet-il. Et cet exploit, il le signe le lendemain, dans une étape tout aussi mémorable.
L’Izoard : La Confirmation d’une Légende
Le 14 juillet 1975, l’étape entre Barcelonnette et Serre Chevalier marque un tournant. Thévenet, revêtu du maillot jaune, s’élance dans l’Izoard, un col mythique du Tour. Ce jour-là, une conversation matinale avec Louison Bobet, son idole, résonne encore. « Pour entrer dans l’histoire, il faut passer l’Izoard en tête avec le maillot jaune », lui glisse Bobet. Thévenet, porté par ces mots, domine l’ascension et s’impose. Cette victoire, plus encore que Pra-Loup, le marque profondément.
Pourquoi l’Izoard compte-t-il autant ? Parce qu’il symbolise la confirmation. Pra-Loup était l’éclair, l’Izoard est la foudre. Thévenet ne se contente pas de battre Merckx : il prouve qu’il est un champion à part entière. Dans la descente, il réalise l’ampleur de son exploit. « C’est là que j’ai compris que j’entrais dans l’histoire », confie-t-il.
Un Champion dans l’Ombre de Poulidor
Si Thévenet a marqué l’histoire, il n’a pas tout de suite conquis le cœur du public. À l’époque, un autre coureur, Raymond Poulidor, surnommé Poupou, règne sur l’affection des Français. « 80 % des pancartes étaient pour lui », se souvient Thévenet avec un sourire. Pourtant, en endossant le maillot jaune, il capte soudain l’attention. Mais il reste lucide : « La gloire appartient au public, pas à nous. »
Cette humilité, presque désarmante, est au cœur de sa personnalité. Timide, il avoue avoir parfois souffert de son silence. « J’avais peur de trop parler, que ça soit mal interprété », explique-t-il. Cette retenue, loin de l’exubérance de certains champions, lui a parfois coûté cher, notamment dans ses relations avec les médias.
| Étape clé | Impact | Signification |
| Pra-Loup | Thévenet prend le maillot jaune | Fin de l’invincibilité de Merckx |
| Izoard | Confirmation de la victoire | Entrée dans l’histoire du Tour |
| Champs-Élysées | Thévenet conserve son avance | Première victoire finale |
Ce tableau illustre l’enchaînement des moments décisifs. Chaque étape a forgé un peu plus la légende de Thévenet, mais aussi celle du Tour 1975, l’un des plus mémorables de l’histoire.
Merckx, l’Adversaire Qui Fait Briller
Thévenet ne cache pas son respect pour Merckx. « Il a fait ma pub », plaisante-t-il souvent. En effet, battre le Cannibale a donné une résonance unique à son exploit. Pourtant, il insiste : son ambition n’était pas de battre Merckx, mais de gagner le Tour. « Que ce soit Merckx, Zoetemelk ou Van Impe, peu m’importait », affirme-t-il. Cette mentalité, centrée sur la performance plutôt que sur le prestige, est peut-être la clé de son succès.
Mermerkx, de son côté, reconnaît Thévenet comme un adversaire redoutable. Après les Pyrénées, il le désigne comme son principal rival. Une déclaration qui, paradoxalement, met Thévenet sous pression. « Ça ne m’arrangeait pas trop », admet-il. Mais cette reconnaissance renforce sa détermination.
Un Tour Sous Pression Médiatique
À l’époque, les relations avec les médias ne sont pas toujours simples. L’arrivée de Maurice De Muer chez Peugeot change la dynamique. Réputé pour ses méthodes modernes, il s’attire les foudres de certains journalistes. Thévenet, pris entre deux feux, souffre de cette tension. « Parfois, j’aurais dû parler plus », regrette-t-il. Cette timidité, couplée à une réputation de coureur sujet aux « mauvais jours », le place sous une pression constante.
« On attendait toujours que je craque. Même Merckx y croyait jusqu’au bout. »
– Un coureur du Tour 1975
Cette pression culmine sur les Champs-Élysées, lors de la dernière étape. Merckx, fidèle à sa réputation, tente une attaque surprise. Thévenet, en discussion avec un ministre, doit sprinter pour revenir. « Je ne pouvais pas perdre le maillot jaune le dernier jour », se souvient-il, amusé. Ce moment, presque anecdotique, illustre sa résilience.
Un Podium Historique et une Invitation Unique
Le 20 juillet 1975, Thévenet monte sur le podium final, entouré de légendes comme Merckx, Poulidor, Gimondi, Van Impe et Moser. Une image gravée dans l’histoire, amplifiée par la présence du président Valéry Giscard d’Estaing, qui remet le maillot jaune. Fait exceptionnel, le peloton est ensuite convié à l’Élysée. « On s’imaginait que ça deviendrait une tradition », note Thévenet. Ce fut, hélas, une exception.
Cette invitation, presque irréelle, marque un sommet dans la carrière de Thévenet. « Tout d’un coup, je me suis senti important », confie-t-il. Mais, fidèle à son caractère, il relativise. Pour lui, la gloire est éphémère, et le véritable exploit réside dans l’effort, pas dans les honneurs.
1977 : Une Victoire dans l’Ombre
Si 1975 reste dans toutes les mémoires, Thévenet rappelle que sa victoire en 1977, face à Hennie Kuiper et Lucien Van Impe, fut presque plus exigeante. « On en parle moins, mais c’était tout aussi dur », insiste-t-il. Cette seconde victoire, moins médiatisée, montre l’étendue de son talent. Pourtant, l’ombre de Merckx continue de planer, magnifiant l’exploit de 1975.
- 1975 : Victoire historique face à Merckx, marquée par Pra-Loup et l’Izoard.
- 1977 : Deuxième sacre, plus discret mais tout aussi méritoire.
- Héritage : Thévenet entre dans l’histoire comme un pionnier du cyclisme moderne.
Cette comparaison entre 1975 et 1977 illustre une vérité du sport : certains exploits éclipsent les autres, non pas par leur valeur, mais par leur contexte. Battre Merckx, c’était défier un mythe. Gagner en 1977, c’était prouver sa constance.
L’Héritage de Thévenet : Humilité et Résilience
À 77 ans, Bernard Thévenet reste un homme simple. Installé dans la vallée du Grésivaudan, il contemple les montagnes qui ont forgé sa légende. Son histoire, c’est celle d’un coureur qui a su saisir une opportunité unique, mais aussi celle d’un homme qui n’a jamais cherché la gloire pour elle-même. « Je voulais juste faire mieux que les autres », dit-il.
Ce qui frappe, en l’écoutant, c’est sa capacité à relativiser. Oui, battre Merckx a changé sa vie. Mais pour lui, le véritable exploit, c’est d’avoir tenu bon, étape après étape, face à la pression, aux doutes et à l’adversité. Un message universel, qui résonne bien au-delà du cyclisme.
« Le Tour, c’est une bataille contre soi-même avant d’être contre les autres. »
– Un champion du cyclisme
Et si c’était ça, le secret de Thévenet ? Une humilité qui le rendait plus fort, une détermination qui le poussait à dépasser les attentes. Cinquante ans après, son exploit reste une leçon de courage et de persévérance.
Pourquoi 1975 Reste Inoubliable
Le Tour de France 1975 n’est pas seulement l’histoire d’une victoire. C’est le récit d’un basculement, d’un moment où l’ordre établi a vacillé. Thévenet, en battant Merckx, a ouvert une nouvelle ère. Il a montré que même les plus grands peuvent être défiés, à condition d’y croire et de s’y préparer.
Aujourd’hui, alors que le cyclisme moderne est dominé par des technologies de pointe et des stratégies ultra-scientifiques, l’histoire de Thévenet rappelle une époque où tout reposait sur l’homme et sa volonté. Une époque où une montée, un col, un instant pouvait tout changer.
Alors, la prochaine fois que vous regarderez le Tour de France, pensez à Pra-Loup. Pensez à l’Izoard. Pensez à Bernard Thévenet, l’homme qui a fait plier un géant. Et demandez-vous : qui sera le prochain à écrire l’histoire ?
