Imaginez la scène : vous montez dans un bus flambant neuf, tout électrique, spacieux, silencieux… et en descendant, vous atterrissez sur un trottoir éventré, entre les marteaux-piqueurs et les câbles qui pendent. C’est exactement ce qui se passe en ce moment à Reims. Lundi 24 novembre 2025, la ville a lancé en grande pompe sa première ligne de bus à haut niveau de service. Sauf que tout n’était clairement pas prêt.
Je ne vais pas vous mentir, quand j’ai lu les premiers retours des habitants, j’ai presque éclaté de rire. Pas parce que c’est drôle, mais parce que c’est tellement français : on inaugure d’abord, on termine après. Et là, le décalage est monumental.
Un lancement sous haute tension dès le premier jour
Il suffit de poser un pied sur la voie des Sacres pour comprendre que quelque chose cloche. D’un côté, des bus articulés de 18 mètres, 100 % électriques, dorés, modernes, avec des sièges confortables et des écrans partout. De l’autre, des abribus à moitié montés, des trous béants, des engins de chantier qui circulent encore et des ouvriers qui courent dans tous les sens.
Et comme un bonheur ne vient jamais seul, la CGT et FO avaient appelé à la grève le jour J. Résultat : les trams tournaient au ralenti, les gens poireautaient quinze minutes sur les quais, et ceux qui prenaient le nouveau BHNS Orélys 1 se retrouvaient ensuite à slalomer entre les gravats.
« À l’intérieur c’était génial, moderne, confortable… mais dehors c’est la catastrophe. On marche sur la chaussée, il n’y a personne pour nous guider. »
Christine, une usagère venue avec sa fille
Elle n’est pas la seule à le penser. Un peu plus loin, un boulanger tout juste installé regarde son trottoir encore en travaux et se demande s’il n’a pas fait la pire erreur de sa vie en reprenant ce commerce il y a trois semaines à peine.
Pourquoi tant de précipitation ?
La question qui brûle toutes les lèvres : pourquoi lancer maintenant ? Les syndicats réclamaient un report, le temps de finir les aménagements et de faire des tests réels. Mais non. Le calendrier a été tenu coûte que coûte.
Certains conducteurs, paraît-il, n’ont pas mâché leurs mots avec les passagers : « C’est pour l’inauguration, les élections approchent… » Difficile de vérifier mot pour mot, mais l’ambiance est là. Et franchement, quand on voit l’état des lieux, on se pose la même question.
Parce que oui, le projet est ambitieux. Remettre des bus en site propre sur la voie des Sacres, là où les trams ne passent pas, c’est une bonne idée sur le papier. Plus de fluidité, moins de voitures, des véhicules propres… Tout le monde applaudit le principe. Mais là, on a l’impression d’avoir mis la charrue avant les bœufs.
Le paradoxe du bus propre dans un chantier sale
Le contraste est presque comique. Le bus arrive, tout silencieux, zéro émission, portes qui s’ouvrent avec un petit « pshhh » futuriste. Les passagers descendent, regardent autour d’eux… et retombent vingt ans en arrière au milieu d’un chantier de voirie à l’ancienne.
- Câbles électriques qui pendent sous l’abribus
- Bancs pas encore posés
- Trottoirs réduits à des chemins de terre
- Ouvriers qui percent à grand bruit à 8h du matin
- Et parfois, même des bus au gaz en renfort parce que la flotte électrique n’est pas encore au complet
On croirait presque une blague de sketch. Sauf que les gens qui habitent là ou qui travaillent sur le trajet, eux, ne rigolent pas du tout.
Les riverains et commerçants entre colère et résignation
Maxime, boulanger tout neuf rue Gambetta, résume bien le sentiment général :
« La voie des Sacres, les rois, le tourisme, c’est très joli. Mais il faut aussi penser à nous. J’ai cinq salariés à payer, un chiffre à faire. Là, mon trottoir n’est toujours pas fini… »
Un autre habitant, Jean-Pierre, ne décolère pas : les sens de circulation ont été modifiés du jour au lendemain, il ne sait même plus comment rentrer chez lui sans risquer une contravention.
Quant à Martine, qui vient régulièrement voir ses parents depuis Paris, elle a ressorti ses bottes de randonnée. Vingt-six minutes à pied depuis la gare, c’était plus rapide que d’attendre un tram en grève ou de marcher sur des trottoirs impraticables après le bus.
Franchement, on la comprend.
Un nouveau réseau qui demande à être apprivoisé
Au-delà du lancement chaotique, il y a aussi tout un réseau qui change. Les lignes urbaines deviennent des « U », les périurbaines des « E », certains trajets sont modifiés. Pour les habitués, c’est un peu la révolution.
Même si, soyons justes, le BHNS promet du bon une fois que tout sera fini :
- Fréquence renforcée sur les axes majeurs
- Véhicules 100 % électriques (quand la flotte sera complète)
- Priorité aux feux
- Site propre préservé des embouteillages
- Confort intérieur nettement supérieur aux anciens bus
Mais pour l’instant, beaucoup préfèrent… marcher.
Et après ? Orélys 2 déjà dans les tuyaux
La deuxième ligne, Orélys 2, est annoncée pour le premier semestre 2026. Espérons que la leçon aura été tirée : on termine les travaux avant d’appuyer sur le bouton « départ ».
En attendant, les Rémois vont devoir prendre leur mal en patience. Ou leurs meilleures chaussures de marche.
Parce qu’au final, c’est peut-être ça le plus ironique : dans une ville qui veut promouvoir la mobilité durable, le mode de transport le plus fiable en ce moment… c’est encore les bonnes vieilles jambes.
Personnellement, je trouve que cette histoire dit beaucoup de notre époque : on veut aller vite, montrer qu’on agit pour l’environnement, qu’on modernise les villes. Mais parfois, on oublie l’essentiel : que les gens puissent simplement circuler sans risquer de se tordre une cheville en descendant du bus dernière génération.
Reims n’est pas la seule ville à connaître ce genre de mésaventure, loin de là. Mais elle offre aujourd’hui un exemple presque caricatural de ce qui se passe quand le calendrier politique prend le pas sur le bon sens pratique.
Et vous, dans votre ville, avez-vous déjà vécu ce genre de lancement en fanfare… mais en travaux ? Racontez-moi, ça m’intéresse vraiment.
