Vous vous souvenez de cette phrase, en 2016, qui avait fait hurler la moitié du Royaume-Uni ? « 350 millions de livres par semaine pour le NHS » peinturlurés en gros sur le bus rouge de la campagne Vote Leave. Neuf ans plus tard, la roue semble tourner à l’envers. Et si, finalement, Londres devait remettre la main à la poche pour Bruxelles ? L’idée paraît folle… et pourtant, elle est bel et bien sur la table.
Un reset qui sent la poudre
Depuis l’arrivée de Keir Starmer à Downing Street, l’ambiance a changé. Fini les coups de menton de Boris Johnson ou le silence glacial de Liz Truss. Le nouveau Premier ministre parle de « reset » avec l’Union européenne. Et il le pense. Les discussions avancent vite, parfois trop vite pour certains.
Le dossier le plus brûlant ? Les contrôles sanitaires et phytosanitaires (SPS) sur les produits agroalimentaires. Depuis janvier 2021, chaque camion de saucisses britanniques ou de fromage français subit des vérifications interminables. Les exportateurs des deux côtés de la Manche en ont plein le dos. Une facilitation, voire une reconnaissance mutuelle des normes, changerait la vie de milliers d’entreprises.
Mais voilà. Rien n’est gratuit dans ce monde, encore moins à Bruxelles.
La condition qui fait tousser Londres
Dans les couloirs de la Commission, on ne s’en cache plus : tout allègement significatif des barrières douanières ou réglementaires devra s’accompagner d’une contribution financière britannique au budget de l’UE. Pas un retour au statut de membre, bien sûr. Mais un modèle proche de celui de la Norvège ou de la Suisse : tu veux jouer dans le jardin, tu payes l’entretien.
« L’accès au marché unique sans contribution financière, c’est terminé. Ce temps-là est révolu depuis 2016 », aurait lâché un haut fonctionnaire européen lors d’une réunion à huis clos.
Le chiffre qui circule ? Entre 10 et 15 milliards d’euros par an, selon le degré d’intégration choisi. C’est énorme. C’est aussi presque exactement ce que le Royaume-Uni versait avant le Brexit (environ 13 milliards brut, moins le rabais célèbre obtenu par Thatcher).
Autrement dit, on tournerait en rond.
Pourquoi Bruxelles tient tant à faire payer ?
D’abord parce que l’UE a un trou dans sa caisse. Le départ du Royaume-Uni a laissé un manque à gagner d’environ 12 milliards d’euros par an. Les États membres ont dû se partager la note et personne n’a envie de remettre ça.
Ensuite, question de principe. Si Londres bénéficie du marché unique sans rien payer, pourquoi pas la Suisse ? L’Islande ? L’Ukraine demain ? Le modèle « cherry-picking » (je prends ce qui m’arrange et je laisse le reste) fait hurler les Vingt-Sept depuis des années.
Enfin, il y a l’alignement réglementaire. Plus le Royaume-Uni voudra s’approcher du marché unique, plus il devra suivre les règles européennes. Or ces règles ont un coût : normes environnementales, aides d’État encadrées, droits sociaux… Tout cela se finance. Et Bruxelles veut que Londres mette au pot commun.
À Londres, ça coince sévère
Keir Starmer a beau être pro-européen dans l’âme, il sait très bien qu’une partie de son parti et surtout l’opinion publique britannique n’acceptera jamais de « repayer pour Bruxelles ». Le mot contribution est déjà radioactif. Imaginez budget européen.
Dans le camp conservateur, c’est pire. Nigel Farage, toujours là, a déjà sorti l’artillerie : « Si Starmer accepte de payer ne serait-ce qu’une livre à Bruxelles, il trahit le Brexit ». Les tabloïds préparent les unes au vitriol.
- Le Daily Mail titre déjà « Trahison ! » en une (même si rien n’est signé)
- Le Telegraph parle de « capitulation honteuse »
- Même le Guardian, pourtant europhile, s’inquiète du prix politique
Le gouvernement tente donc de noyer le poisson. On parle de « partenariat stratégique », de « contribution sectorielle », de « frais d’accès ». Tout sauf le gros mot.
Les scénarios possibles (et leurs pièges)
Plusieurs pistes sont sur la table. Aucune n’est simple.
- Le modèle norvégien light
Accès quasi-total au marché unique + contribution financière + acceptation de la plupart des règles UE sans voix au chapitre. C’est le plus efficace économiquement… et le plus explosif politiquement. - L’accord sectoriel à la carte
On négocie domaine par domaine (agroalimentaire, pêche, énergie, finance). Moins cher, mais très complexe et long à mettre en place. - Le statu quo amélioré
On facilite quelques contrôles, on signe un accord vétérinaire, mais on reste hors du marché unique. Acceptable politiquement, mais faible gain économique. - Le clash
Les négociations capotent, chacun campe sur ses positions, et on se retrouve avec des barrières renforcées en 2026. Scénario catastrophe pour les deux côtés.
Pour l’instant, les diplomates penchent pour un mix entre les options 2 et 3. Mais tout dépendra du prix que Londres est prêt à payer. Littéralement.
Et les citoyens dans tout ça ?
J’ai discuté récemment avec un exportateur de whisky écossais. Il m’a dit : « Si on pouvait avoir les avantages sans les inconvénients, ce serait Noël tous les jours. Mais on sait très bien que ça n’arrivera pas ». Il voté Remain en 2016. Aujourd’hui, il veut juste que « ça marche ».
Dans la rue, l’opinion est partagée. Les jeunes, les milieux d’affaires, les Écossais veulent se rapprocher. Les retraités du sud-est, les classes populaires du nord restent farouchement anti-UE. Keir Starmer marche sur une corde raide.
Et puis il y a cette question qu’on n’ose presque plus poser : est-ce que, au fond, une partie des Britanniques ne regrette pas un peu le Brexit ? Les sondages récents montrent que 55 à 60 % considéreraient aujourd’hui que c’était une erreur. Mais dire « on revient » reste tabou.
Ce que l’Histoire nous enseigne
Le Royaume-Uni a toujours eu une relation compliquée avec l’Europe. De Gaulle avait vu juste en 1963 : Londres veut les avantages sans les contraintes. Soixante ans plus tard, rien n’a vraiment changé.
Le précédent de la Suisse est parlant. Berne paye environ 1,3 milliard de francs suisses par an pour accéder au marché unique. En échange, elle applique une grande partie des règles européennes sans participer aux décisions. Résultat ? Les relations sont régulièrement explosives (remember le gel des négociations en 2021).
La Norvège, elle, verse environ 400 euros par habitant et par an. C’est énorme. Mais les Norvégiens sont riches et leur économie très liée à l’UE. Le Royaume-Uni, lui, a une économie plus diversifiée et surtout une histoire politique radicalement différente.
Vers une solution créative… ou un nouveau psychodrame ?
Certains imaginent des formules alambiquées : un fonds commun pour la recherche, une contribution « volontaire » déguisée en partenariat sur le climat ou la défense. Tout pour éviter le mot qui fâche.
Moi, je crois que la vérité finira par éclater. Soit le Royaume-Uni accepte de payer un prix (financier et politique) pour se rapprocher vraiment, soit on reste dans une relation distante et frustrante pour tout le monde.
L’aspect le plus ironique ? Si un accord est trouvé, les Britanniques pourraient finir par payer à peu ou prou la même chose qu’avant… mais sans siège à la table des décisions. Le Brexit aura au moins permis de vérifier cette vieille maxime : on ne quitte pas un club en gardant la carte gold gratuitement.
Les négociations vont durer des mois, peut-être des années. Mais une chose est sûre : la question de l’argent va empoisonner chaque discussion. Et quand on parle gros sous entre Londres et Bruxelles, ça finit rarement en câlins.
Affaire à suivre. Très attentivement.
