Vous souvenez-vous de cette sensation bizarre, quand on attend un train qui n’arrive jamais ? C’est un peu ce que l’on ressent en ce moment en suivant les débats budgétaires à l’Assemblée. Hier soir, 19 novembre 2025, les députés ont tout simplement dit non au projet de loi de fin de gestion pour 2025. 145 voix contre, 107 pour. Un score qui fait mal.
Et pourtant, ce texte n’avait rien de révolutionnaire. Il s’agissait juste d’ajuster les comptes avant la fin de l’année, d’ouvrir quelques crédits supplémentaires – trois milliards quand même – pour payer aides sociales et autres dépenses urgentes. Rien de bien méchant, en somme. Alors pourquoi ce rejet aussi net ?
Un Vote Qui Sent la Répétition Générale
Disons-le franchement : ce qui s’est passé hier ressemble à une répétition avant le grand spectacle. Le vrai morceau de choix, c’est le projet de loi de finances pour 2026, celui qui fixe les recettes et les dépenses pour l’année entière. Et là, tout le monde sent que ça va être encore plus compliqué.
En commission des finances, le même texte avait déjà été recalé début novembre. L’année dernière, à la même période, le projet de fin de gestion 2024 avait connu le même sort. On commence à connaître la chanson. Mais cette fois, l’ambiance est encore plus électrique.
Même le « socle commun » vote contre
Ce qui frappe, c’est que même les députés censés soutenir l’exécutif – ceux qu’on appelle parfois le « socle commun », de la majorité relative jusqu’aux républicains modérés – ont majoritairement voté contre la partie recettes. Oui, vous avez bien lu. Ceux qui siègent dans les ministères ou qui sont censés défendre le gouvernement ont refusé d’approuver leur propre budget.
Je me souviens avoir suivi les débats tard dans la nuit. À un moment, un député a lâché : « On ne peut pas défendre l’indéfendable. » Phrase lourde de sens.
« On pourrait se retrouver dans une situation où l’unanimité de l’Assemblée nationale vote contre la partie recettes du projet de loi de finances. »
Un président de groupe parlementaire, hier matin
Les chiffres qui ne bougent pas… ou presque
Officiellement, le gouvernement assure que tout va bien. Le déficit public reste prévu à 5,4 % du PIB, comme dans la loi de finances initiale. Les dépenses de l’État seraient même « maîtrisées », dixit l’exposé des motifs. On nous explique que l’exécution budgétaire 2025 reste dans les clous.
Mouais. Quand on voit le rejet d’hier, on a du mal à y croire vraiment. Trois milliards d’ouvertures de crédits, c’est bien, mais ça ne règle pas le fond du problème : personne ne veut porter la responsabilité d’un budget qui risque de faire grincer des dents partout.
- Déficit public stabilisé à 5,4 % (selon le gouvernement)
- Exécution des dépenses « dans l’épure »
- 3 milliards d’euros débloqués pour les aides sociales
- Rejet net : 145 contre, 107 pour
Et maintenant, on fait quoi ?
Techniquement, le texte va quand même au Sénat, puis il reviendra à l’Assemblée. Mais soyons réalistes : si le climat reste le même, le vrai予算 risque de subir le même sort. Et là, deux scénarios se dessinent.
Premier scénario : le gouvernement dégaine l’article 49 alinéa 3 et fait passer le budget en force. C’est ce qui s’est passé plusieurs fois ces dernières années. Rapide, efficace, mais ça laisse des traces dans l’opinion et dans les rangs mêmes de la majorité.
Deuxième scénario, plus rare : on reconduit purement et simplement les crédits de 2025 via une loi spéciale. Ça veut dire qu’on fonctionne avec le budget de l’année précédente, reconduit par douzièmes provisoires. Et on repousse le vrai débat à 2026. Autrement dit, on botte en touche.
« Le péril qui pèse sur l’économie française, c’est l’absence de budget. »
Un ministre, devant des chefs d’entreprise, il y a quelques jours
Une majorité qui n’en est plus une
Ce qui est fascinant – et inquiétant – c’est de voir à quel point la majorité relative est devenue une fiction. On a des ministres qui défendent un texte que leurs propres députés refusent de voter. On a des alliances de circonstance qui se défont dès qu’il s’agit de toucher au portefeuille des Français.
À gauche, on refuse les coupes. À droite, on trouve que ça ne va pas assez loin dans la rigueur. Au centre, on ne sait plus trop où se situer. Résultat ? Personne ne veut être celui qui appose sa signature au bas du chèque… ou de la facture.
Et pendant ce temps, les fonctionnaires, les bénéficiaires d’aides, les entreprises attendent. Parce qu’un budget, ce n’est pas qu’un exercice comptable. C’est ce qui fait tourner le pays au quotidien.
Les leçons de l’histoire récente
On a déjà vécu ça. Souvenez-vous de l’automne 2022, puis 2023, puis 2024. À chaque fois, on nous a promis que « cette fois serait la dernière ». À chaque fois, le 49.3 est sorti du placard. À chaque fois, on a eu droit au même spectacle : l’opposition hurle au coup de force, la majorité soupire de soulagement, et les Français, eux, baillent.
Mais là, on sent que quelque chose a changé. Même les députés les plus modérés commencent à dire tout haut ce qu’ils pensaient tout bas : défendre un budget impopulaire à quelques mois des municipales, très peu pour eux.
Ce que ça dit de notre démocratie
Je ne vais pas vous faire un cours de science politique, mais quand même. On a une Assemblée où aucun groupe n’a la majorité absolue. C’est la règle du jeu depuis 2022. Mais on dirait que personne n’a vraiment accepté cette règle.
Le gouvernement continue de gouverner comme s’il avait 350 députés derrière lui. L’opposition continue de s’opposer comme si elle pouvait tout bloquer. Et au milieu, les Français regardent ce théâtre avec une lassitude croissante.
Hier, un député expérimenté me glissait dans les couloirs : « On est en train de vivre la fin d’un modèle. Celui où on pouvait gouverner contre le Parlement. » Phrase lourde, là encore.
Et les Français dans tout ça ?
Pendant que les députés se renvoient la balle, les Français, eux, attendent des réponses concrètes. Est-ce que les aides sociales seront bien versées en décembre ? Est-ce que les fonctionnaires toucheront leur salaire normalement ? Est-ce que les collectivités auront les moyens de fonctionner ?
Officiellement, oui. Même en cas de reconduction par douzièmes, l’État continue de fonctionner. Mais dans les faits, c’est toujours plus compliqué. Les projets nouveaux sont gelés. Les investissements attendent. L’incertitude pèse sur tout le monde.
Un parfum de fin de règne ?
Ce qui est frappant, c’est le silence assourdissant de certains ministres ces derniers jours. On sent que personne n’a envie d’être celui qui montera au front pour défendre un budget que même ses propres troupes refusent.
On parle beaucoup en coulisses d’un possible remaniement, d’une dissolution, d’éons savoir quoi. Mais pour l’instant, on est dans le brouillard. Et ce brouillard risque de durer encore quelques semaines.
Hier soir, en quittant l’hémicycle, j’ai croisé un huissier qui travaille là depuis trente ans. Il m’a dit, avec un sourire fatigué : « J’ai tout vu, mais ça… c’est du jamais vu. »
Et il a probablement raison.
Alors oui, le texte va continuer son chemin parlementaire. Oui, une solution technique sera trouvée. Mais hier, quelque chose s’est définitivement cassé. La confiance ? La majorité ? Le modèle ? Peut-être un peu des trois.
On attend maintenant le vote sur le vrai budget. Et là, ça va être intéressant. Très intéressant même.
À suivre, donc. De très près.
