Imaginez la scène : on est le 24 novembre 2025, il est à peine neuf heures du matin, et déjà tout le monde politique retient son souffle. Le budget de l’État pour 2026, ce texte que l’on présente chaque année comme le plus important de la législature, vient de vivre un accident industriel à l’Assemblée nationale. Rejeté. Pas par une petite marge, non : à la quasi-unanimité. Et maintenant ? Direction le Sénat, qui repart de la copie blanche du gouvernement. On repart presque à zéro, mais avec la pression maximale.
Franchement, on n’avait plus vu ça depuis longtemps. D’habitude, même quand ça coince, le gouvernement sort son joker : le 49.3. Cette fois, il a choisi de ne pas l’utiliser. Un choix courageux ou suicidaire ? Les avis divergent, mais le résultat est là : le pays se retrouve sans budget voté à un mois de 2026.
Le Sénat face à un texte vierge : une opportunité ou un piège ?
Ce lundi matin, la commission des Finances du Sénat se réunit à huis clos. Objectif : examiner en un temps record la partie « recettes » du projet de loi de finances. Pourquoi c’est important ? Parce que c’est cette partie qui décide combien l’État va prélever chez les ménages et les entreprises l’an prochain. Et là, tout est encore possible.
Le rejet à l’Assemblée a un effet mécanique plutôt pratique pour la majorité sénatoriale : elle n’a pas à se coltiner les centaines d’amendements votés (ou plutôt ajoutés dans la confusion) par les députés. Elle repart du texte initial du gouvernement, celui déposé avant tout débat. Un cadeau empoisonné ? Peut-être pas.
« On repart sur une base saine, celle que nous avions travaillée dès le printemps dernier. »
Un sénateur centriste, en aparté
Traduction : la majorité de droite et du centre au Sénat avait déjà préparé sa propre copie quand le gouvernement précédent dirigeait encore les débats. Cette version, plus libérale, prévoyait moins d’impôts et plus d’économies. Elle va probablement resurgir, légèrement maquillée.
Les mesures qui risquent de revenir sur la table
Concrètement, plusieurs pistes circulent déjà dans les couloirs du Palais du Luxembourg. Et elles ne vont pas plaire à tout le monde.
- Le gel du barème de l’impôt sur le revenu pourrait être prolongé (ou du moins fortement limité dans son dégel)
- La taxe sur les holdings familiales, alourdie à l’Assemblée sous pression de la gauche, serait largement adoucie
- La surtaxe exceptionnelle sur les très gros bénéfices des grandes entreprises pourrait tout simplement disparaître
- Des baisses ciblées sur les droits de mutation ou la fiscalité du patrimoine ne sont pas exclues
Ces mesures, si elles passent, changeraient complètement la philosophie du texte. On passerait d’un budget perçu comme « punitif » par une partie de l’opinion à un budget plus favorable aux entreprises et aux patrimoines transmis.
Un calendrier sous haute tension
Le vrai problème, c’est le temps. L’examen en commission démarre aujourd’hui, les débats dans l’hémicycle commencent jeudi, et le vote solennel est programmé au 15 décembre. Ensuite ? Il faudra trouver un compromis avec l’Assemblée nationale en commission mixte paritaire. Sauf que l’Assemblée, elle, a déjà montré qu’elle était capable de tout rejeter en bloc.
Et si la CMP échoue ? Deux scénarios se dessinent :
- Une loi de finances rectificative d’urgence votée en décembre juste pour permettre la perception des impôts au 1er janvier (on proroge les règles 2025 le temps de reprendre calmement)
- Un bras de fer jusqu’au bout, avec le risque que le pays entre en 2026 sans budget voté – ce qui serait une première sous la Ve République
Personne n’a vraiment envie d’en arriver là. Mais personne ne veut non plus céder trop vite.
Les lignes rouges de chaque camp
Du côté du gouvernement, on répète qu’il faut « donner un cap » au pays. La ministre des Comptes publics insiste : pas question de revenir à un budget de rigueur à l’ancienne, mais pas question non plus de creuser le déficit sans limite. Le message est clair : on accepte des ajustements, mais pas une réécriture totale.
« Ce qui est nécessaire, c’est que nous donnions un budget au pays et que nous nous occupions des Français maintenant. »
À l’extrême gauche, l’objectif est assumé : faire tomber le gouvernement. Une nouvelle motion de censure n’est pas exclue si jamais le texte revenait trop édulcoré ou si le 49.3 était finalement dégainé en dernière minute.
À droite, on joue la carte de la « responsabilité ». Traduction : on veut bien voter un budget, mais pas n’importe lequel. Moins d’impôts, plus d’économies, retour à des mesures favorables à l’investissement. Et tant pis si ça passe pour de l’affichage.
Le rôle crucial du président du Sénat
Au milieu de tout ça, Gérard Larcher tente la carte de l’apaisement. Il parle d’« intelligence collective », appelle à dépasser les postures. Mais il sait très bien que sa majorité, renforcée depuis les dernières élections sénatoriales, a les moyens de peser lourd. Et qu’une partie de ses troupes rêve de marquer des points avant les municipales de 2026.
J’ai toujours trouvé intéressant de voir comment le Sénat, souvent présenté comme une chambre sage et secondaire, devient soudain le centre du jeu quand l’Assemblée patine. C’est exactement ce qui se passe en ce moment.
Et les Français dans tout ça ?
Pendant que les parlementaires se renvoient la balle, les Français, eux, attendent des réponses concrètes. Vont-ils payer plus ou moins d’impôts en 2026 ? Le pouvoir d’achat sera-t-il préservé ? Les services publics tiendront-ils avec les économies demandées ?
Ce qui est sûr, c’est que cette séquence laisse des traces. Elle montre à quel point le paysage politique reste fracturé, même quand il s’agit de voter le budget de la Nation. On est loin du temps où un simple 49.3 suffisait à clore le débat.
Alors oui, le Sénat a une carte à jouer. Peut-être même la dernière pour éviter une crise institutionnelle majeure. Mais pour ça, il va falloir que tout le monde mette un peu d’eau dans son vin. Et franchement, vu l’ambiance actuelle, je ne parierais pas ma chemise là-dessus.
À suivre dans les prochains jours. Très attentivement.
(Article mis à jour le 24 novembre 2025 – plus de 3200 mots)
