Il était presque deux heures du matin quand le verdict est tombé. Dans un hémicycle fatigué, bruyant, presque irréel après des semaines de débats interminables, les députés ont fait ce que personne n’avait osé faire depuis 1958 : dire non, massivement, à la partie recettes du budget de l’État. Pas une opposition classique. Pas même une majorité contre. Non, quelque chose de bien plus rare et de bien plus inquiétant : presque personne pour défendre le texte.
Un seul courageux, ou solitaire, selon le point de vue, a voté pour. Les autres ? 404 contre, 84 abstentions. Le silence qui a suivi n’était pas celui du respect. C’était celui du vide politique.
Un Rejet Historique qui Change Tout
Franchement, je n’ai pas souvenir d’un tel moment sous la Ve République. Même en 2022 ou 2023, quand ça coinçait déjà sévèrement, il y avait toujours quelques voix pour sauver la mise, quelques arrangements de couloir, un 49.3 brandi comme une arme ultime. Là, rien. Le texte est mort-né à l’Assemblée et file directement au Sénat dans sa version d’origine, comme si les 125 heures de débat – record absolu – n’avaient jamais existé.
Et pourtant, tout le monde savait que ça allait finir comme ça. Depuis lundi soir, c’était plié. Les groupes du « socle commun », ceux qui sont censés porter la majorité relative, avaient prévenu : pas question de voter une copie devenue, selon leurs mots, « insincère ».
On a accouché d’un enfant difforme.
Un député du centre, croisé dans les couloirs en quête d’une cigarette
Comment on en est arrivé là ?
Revenons un peu en arrière, parce que c’est important de comprendre le chemin parcouru – ou plutôt le déraillement progressif.
Le texte initial du gouvernement n’était déjà pas follement généreux, mais il tenait la route. Objectif affiché : ramener le déficit sous les 5 % du PIB, puis vers 4,1 % avec les ajustements. Pas révolutionnaire, mais sérieux. Et puis les débats ont commencé.
Très vite, deux forces opposées ont pris le contrôle des amendements : la gauche de la gauche et l’extrême droite. Ensemble, ils ont fait passer des mesures que personne au centre ne pouvait avaler. Le clou du spectacle ? Cette hausse massive de l’assiette de l’impôt minimal sur les multinationales, votée le 29 octobre avec les voix combinées des insoumis et du RN. 26 milliards d’euros de recettes supplémentaires sur le papier.
Sauf que dans les faits, plusieurs de ces mesures flirtent dangereusement avec l’inconstitutionnalité, le droit européen ou les traités fiscaux. Sans elles, on repasse direct à un déficit de 5,3 %. Autant dire que le bel édifice budgétaire s’est écroulé comme un château de cartes.
- Hausse ciblée mais massive de la fiscalité sur les grandes entreprises
- Réindexation du barème de l’impôt sur le revenu refusée par le centre
- Doublement de la taxe sur les géants du numérique qui braque tout le monde
- Mesures jugées contraires aux engagements internationaux de la France
Résultat ? Le texte est devenu invotable pour la quasi-totalité des députés modérés. Même ceux qui auraient voulu trouver un terrain d’entente ont jeté l’éponge.
Un « Avertissement » qui Pèse Lourd
Du côté socialiste, on parle d’« avertissement ». Le message est clair : quand il n’y a de majorité pour personne, il faut accepter de discuter vraiment. Pas juste faire semblant.
Mais soyons honnêtes : un vote à 404 contre, ça ressemble plus à un carton rouge qu’à un simple avertissement. Certains, dans les couloirs, murmurent déjà que ce rejet net pourrait laisser des traces durables. Voire forcer des conclusions plus radicales.
La négociation, c’est jusqu’à la fin de l’année.
Un poids lourd socialiste, histoire de calmer le jeu
Traduction : pour l’instant, on ne touche pas à la tête du Premier ministre. Mais la corde est tendue. Très tendue.
Et Maintenant ? Les Scénarios sur la Table
Concrètement, le texte repart à zéro au Sénat. La navette parlementaire va reprendre, mais dans un climat délétère. Plusieurs options se dessinent, et aucune n’est vraiment joyeuse.
- Le gouvernement tente de reconstruire un texte acceptable en commission mixte paritaire – mais avec qui ?
- Recours à une loi spéciale de finances pour reconduire le budget 2025 en attendant mieux (solution technique, mais humiliante)
- Utilisation des ordonnances sur certains volets, notamment la suspension de la réforme des retraites
- Et, toujours en embuscade, le 49.3 sur un texte remanié… mais sur quel texte précisément ?
Ce qui est sûr, c’est que le temps presse. Fin décembre, il faut un budget voté, sinon c’est la paralysie administrative. Personne n’a envie d’un shutdown à la française.
Un Système à Bout de Souffle ?
Ce qui s’est passé cette nuit dépasse largement la simple anecdote parlementaire. C’est le symptôme d’un mal plus profond : l’absence de majorité claire depuis 2022 rend chaque texte budgétaire infernal.
J’ai suivi tous les budgets depuis vingt ans. Jamais je n’avais vu une telle fragmentation. On a quatre blocs qui se neutralisent : la majorité relative, la gauche NFP, les républicains, le RN. Personne ne peut gouverner seul, mais personne ne veut vraiment gouverner ensemble non plus.
Et pendant ce temps, les Français regardent ça avec une lassitude mêlée de colère. Parce que derrière les amendements et les discours, il y a des arbitrages concrets : pouvoir d’achat, services publics, dette, retraites. Des sujets qui touchent tout le monde.
Ce que ce Rejet Dit de la Politique Française en 2025
On peut toujours minimiser, parler de « mi-temps », de « croisée des chemins ». Mais soyons lucides : ce vote est un point de rupture.
Il dit que le centre, même élargi, ne suffit plus à faire passer un budget. Il dit que les alliances contre-nature entre extrêmes peuvent bloquer le pays. Il dit surtout que le système institutionnel, conçu pour une majorité claire, craque de partout quand il n’y en a plus.
Et pendant ce temps-là, la dette continue de grimper, les agences de notation nous regardent de travers, et les partenaires européens se demandent si la France est encore fiable.
Alors oui, les négociations vont continuer. Oui, on trouvera probablement une sortie de crise technique d’ici la fin de l’année. Mais le message envoyé cette nuit est limpide : ça ne peut plus durer comme ça.
La question n’est plus de savoir si le système doit évoluer. Elle est de savoir comment, et surtout quand. Car à force de repousser l’échéance, on finit par se retrouver exactement là où nous sommes aujourd’hui : au bord du gouffre, avec un budget rejeté à 404 voix contre une.
Bienvenue dans la politique française version 2025. Instable, épuisante, mais passionnante à observer. Même si, je l’avoue, j’aimerais parfois un peu moins de suspense.
