Vous avez déjà eu cette sensation bizarre en ouvrant votre bulletin de paie ou en regardant votre relevé de retraite : l’impression que l’État joue aux chaises musicales avec notre argent ? Eh bien, en cette fin novembre 2025, le Sénat vient de nous offrir un sacré numéro d’équilibriste avec le budget de la Sécurité sociale pour 2026. Et franchement, il y a de quoi rester scotché.
Un budget complètement retourné en une semaine
Quand le texte est arrivé au palais du Luxembourg, il sortait d’une Assemblée nationale plutôt généreuse – pour ne pas dire dépensière. Résultat : un déficit qui flirtait avec les 24 milliards d’euros. Autant dire un chiffre rouge vif qui faisait hurler l’exécutif. Objectif affiché par le gouvernement : repasser absolument sous la barre des 20 milliards. Mission accomplie au Sénat, avec un déficit prévisionnel ramené à 17,6 milliards pour 2026. Presque pile poil l’objectif initial (17,5). Chapeau l’artiste.
Mais derrière ce joli chiffre, il y a eu des choix. Des gros. Et certains vont faire grincer des dents quand le texte repartira à l’Assemblée.
La réforme des retraites : le retour du 63 ans
C’est probablement LE coup de théâtre. Pour éviter une motion de censure, le Premier ministre avait accepté un deal avec une partie de la gauche : suspendre la réforme des retraites jusqu’en 2028. Concrètement, les personnes nées en 1964 et début 1965 pouvaient encore partir à 62 ans et 9 mois au lieu de 63 ans. Coût de l’opération : 300 millions en 2026, puis 1,9 milliard en 2027.
Le Sénat a purement et simplement rayé cette suspension. Retour à la case départ : l’âge légal reste à 63 ans pour la génération 1964. Je vous laisse imaginer la tête des négociateurs socialistes en découvrant ça. L’Assemblée va très probablement réintroduire la mesure. On s’achemine vers un nouveau 49.3 ou une CMP explosive ? Probablement les deux.
« C’était une concession politique, pas une mesure de justice sociale durable. »
– Un sénateur de la majorité de droite, sous couvert d’anonymat
Gel des pensions et prestations : la version light du Sénat
Le gouvernement voulait geler purement et simplement la revalorisation des retraites et des prestations sociales en 2026. Une mesure brutale qui devait rapporter 3,6 milliards. L’Assemblée l’avait supprimée en bloc. Trop impopulaire.
Le Sénat a trouvé un entre-deux qui, soyons honnêtes, est plutôt malin : on gèle… mais pas pour tout le monde.
- Les retraites inférieures à 1 400 € net par mois seront quand même revalorisées
- L’allocation adultes handicapés (AAH) échappe totalement au gel
- Pour les autres, pas d’indexation sur l’inflation en 2026
Résultat : 1,9 milliard d’économies au lieu de 3,6. C’est toujours ça de pris, et ça passe un peu mieux dans l’opinion.
Franchises médicales et mutuelles : statu quo… pour l’instant
Le gouvernement rêvait d’étendre les franchises médicales aux consultations dentistes, aux lunettes, aux prothèses auditives, etc. Les deux chambres ont dit non. Idem pour la limitation des dépassements d’honoraires. Ces mesures-là sont enterrées (au moins dans le texte législatif).
En revanche, la surtaxe sur les contrats responsables des mutuelles (celle qui devait rapporter 1 milliard) a été rétablie par le Sénat après avoir été supprimée à l’Assemblée. Les mutuelles risquent de répercuter… ou pas. On verra bien en 2026.
Petit rappel : le doublement des franchises médicales classiques (de 50 centimes à 1 € par boîte de médicament, etc.) reste possible par décret. Le gouvernement n’a pas renoncé. À suivre de très près.
L’Ondam 2026 : le grand absent
L’Objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam) était fixé à +1,6 % pour 2026. Tout le monde ou presque a crié au scandale : hôpitaux, cliniques, médecins libéraux… Même la rallonge d’un milliard promise n’a pas calmé les esprits.
Le Sénat a fait fort : il a tout simplement supprimé l’article fixant l’Ondam. Un camouflet symbolique énorme. En pratique, cela ne change rien (le gouvernement fixera l’objectif par décret), mais le message est clair : « Votre cible est irréaliste. »
Les petites mesures qui passent crème des deux côtés
- Extension de la défiscalisation des heures supplémentaires aux entreprises de plus de 250 salariés → adopté partout
- Création d’un « congé de naissance » de deux mois supplémentaires par parent → conservé
- Hausse de la CSG sur les revenus du capital-risque (2,8 Mds) → supprimée par le Sénat
- « Réseau France Santé » pour désengorger les déserts médicaux → supprimé, jugé trop flou
Et maintenant ? Le ping-pong parlementaire continue
Mercredi soir, la commission mixte paritaire (7 députés + 7 sénateurs) a échoué, comme prévu. Le texte repart donc à l’Assemblée nationale en nouvelle lecture. On connaît la musique : la majorité relative va probablement réintroduire ses mesures phares (suspension partielle des retraites, pas de gel des petites retraites, etc.), puis le gouvernement utilisera le 49.3 pour faire passer sa version.
Mais chaque utilisation du 49.3 rapproche un peu plus le spectre d’une dissolution. Et avec les municipales qui se profilent en 2026, personne n’a vraiment envie de se mettre à dos les Français sur des sujets aussi sensibles que la retraite ou le pouvoir d’achat médical.
Ce qui est sûr, c’est que ce budget 2026 de la Sécu illustre parfaitement l’état de la vie politique française actuelle : tout le monde veut tout, personne ne peut tout, et on bricole des compromis au dernier moment. Passionnant à observer, beaucoup moins drôle à vivre quand on attend sa retraite ou qu’on galère à trouver un médecin.
Une chose est certaine : d’ici la promulgation définitive, il y aura encore des surprises. Restez connectés.
