Parfois, le foot nous rappelle pourquoi on l’aime autant. Un vendredi soir banal de National, un stade à moitié rempli, et puis d’un coup… bam. Un éclair bleu qui traverse le ciel du Hainaut et va se loger là où aucun gardien ne peut aller. 35 mètres. Pleine lucarne. Le genre de geste qu’on revoit en boucle, qu’on montre à ses potes en disant « t’as vu ça ? ». Ce soir-là, c’est Morgan Jean-Pierre qui a appuyé sur le bouton magie.
Le missile qui a fait trembler internet
Il est 33 ans, arrière latéral gauche, international malgache, et pourtant, en quelques secondes, il est devenu la star absolue des réseaux. Le ballon retombe gentiment dans ses pieds, à peine franchie la ligne médiane. Il lève la tête, voit le but loin, très loin. Et au lieu de faire la passe tranquille qu’on attend d’un défenseur, il arme. Un pas d’élan. Une frappe lourde, pure, qui prend une courbe vicieuse avant d’aller gratter la lucarne opposée. Le gardien ? Il n’a même pas bougé. Il savait que c’était fini.
Le stade de Valenciennes explose, les réseaux sociaux aussi. En quelques heures, la vidéo dépasse le million de vues. On la voit partout : Twitter, Instagram, TikTok. Les commentaires pleuvent : « Roberto Carlos est vivant », « but de l’année dès novembre », « c’est pas du National ça ». Et lui, au milieu de tout ça, il sourit. Parce que oui, il sait qu’il vient de faire quelque chose d’exceptionnel.
« Le foot, c’est parfois magique »
C’est la phrase qu’il répète, presque timidement, quand on lui parle de son exploit. Morgan Jean-Pierre n’est pas du genre à s’enflammer. À 33 ans, il a vu passer pas mal de choses : la D1 hongroise, les matchs de Coupe de France face au PSG, les galères de blessures. Alors un buzz ? Il savoure, mais il garde les pieds sur terre.
« Mon téléphone n’arrête pas de bugger. Je reçois des messages de gens que je n’ai pas vus depuis quinze ans. C’est incroyable. Mais je sais que ça va redescendre. Alors je profite. »
Et il a raison de profiter. Parce que des buts comme ça, on n’en voit pas tous les week-ends. Surtout pas en National. Surtout pas d’un arrière latéral qui, quelques mois plus tôt, se demandait s’il allait réussir à s’imposer dans son nouveau club.
De la Guadeloupe à l’Essonne : un parcours loin des projecteurs
Né aux Abymes, Morgan a grandi avec le ballon collé au pied. Comme tant d’autres, il rêve de Ligue 1, de sélection nationale, de grands stades. Mais le chemin est long. Très long. Il passe par la Bretagne, Saint-Brieuc, où il commence à se faire un nom à coup de frappes lointaines et de ciseaux acrobatiques. Puis la Hongrie, le Budapest Honvéd, une expérience exotique qui lui apprend la rigueur et la patience.
Quand il signe à Fleury à l’été 2025, c’est un pari. Un promu ambitieux, un coach qui croit en lui, mais aussi un début de saison compliqué. Blessure au pied, place de titulaire pas garantie. Et puis ce match à Valenciennes. Ce déclic. Ce but qui change tout.
Une frappe pas si improvisée
On pourrait croire à un coup de génie sorti de nulle part. Mais quand on creuse un peu, on se rend compte que non. Morgan Jean-Pierre, c’est un spécialiste. Ceux qui l’ont côtoyé le savent : quand il arme de loin, ça sent la poudre.
- Un ciseau magnifique avec Saint-Brieuc en 2022
- Une lucarne en angle fermé contre Orléans en 2021
- Deux presque-doublés à 30 mètres en championnat hongrois
- Et maintenant ce missile de 35 mètres en pleine course
Ses anciens coéquipiers sourient quand on leur parle de ça : « Morgan ? Quand il frappe, tu sais jamais où ça va finir… mais souvent, ça finit au fond. »
« J’ai une frappe assez lourde. Mes coachs le savent. Quand je vois le ballon retomber comme ça, je me dis pourquoi pas. Et là… ça a fait mouche. Peut-être que si je retente dix fois, j’en rate huit. Mais celle-là, elle est rentrée. »
Morgan Jean-Pierre
Le pied gauche maudit… qui sauve tout
Le plus fou dans l’histoire ? C’est avec son pied gauche qu’il frappe. Ce même pied qui l’a tenu éloigné des terrains pendant des semaines à cause d’un hématome osseux. Il joue encore avec une petite mousse de protection dans la chaussure. Il a eu peur, sur le moment, de se refaire mal. Mais non. Le ballon a filé droit, propre, sans douleur.
Comme un symbole. Ce pied abîmé qui devient l’instrument d’un des plus beaux buts de la saison. Le foot, parfois, il a de ces ironies magnifiques.
Roberto Carlos, Mbappé… et les comparaisons flatteuses
Depuis vendredi, on le compare à tout le monde. Roberto Carlos, évidemment, à cause de la puissance et de la courbe. Certains y voient même un peu de Juninho dans la précision chirurgicale. Et puis il y a cette photo, devenue virale aussi : lui, en janvier 2024, qui prend dans les bras Kylian Mbappé après un duel en Coupe de France. Une accolade respectueuse, presque fraternelle, immortalisée par les photographes.
Il rit quand on lui en parle. « C’était un beau moment. Il m’avait défendu auprès de l’arbitre. On s’est regardés, on a rigolé, accolade. Ça reste gravé. » Deux mondes qui se croisent le temps d’un match. L’un devient champion du monde, l’autre marque peut-être le but de sa vie en National. Le foot, c’est aussi ça.
Fleury, ce petit poucet qui rêve en grand
Derrière le geste individuel, il y a un collectif. Fleury, promu cette saison, joue les trouble-fête en National. Des victoires solides, un jeu agréable, et maintenant ce but iconique. Les joueurs se sont levés du banc pour venir féliciter Morgan sur la pelouse. Pas de grande célébration tapageuse, juste des embrassades, des sourires, une communion.
Dans le vestiaire, il parait qu’on a juste poussé un petit cri. Pas besoin de plus. Tout le monde savait ce qui venait de se passer.
Et maintenant ?
Le buzz va retomber, c’est certain. Dans quelques semaines, un autre joueur marquera un but encore plus fou et on passera à autre chose. Mais pour Morgan Jean-Pierre, ce vendredi soir restera. Une trace indélébile dans une carrière déjà riche en émotions. Un moment où tout s’aligne : le talent, l’audace, un peu de chance, beaucoup de travail.
Il le dit lui-même : « Ça ne va pas durer longtemps, alors il faut en profiter. » Et nous, on profite avec lui. Parce que des instants comme ça, c’est ce qui fait la beauté du foot. Pas seulement les millions, les stades pleins, les stars. Mais un arrière latéral de 33 ans qui, un soir de novembre, décide d’envoyer une ogive de 35 mètres en pleine lucarne.
Et qui nous rappelle, simplement, pourquoi on aime ce sport.
Alors oui, le foot, c’est parfois magique. Et ce soir-là, à Valenciennes, Morgan Jean-Pierre a été le magicien.
