Vous êtes déjà allé au stade un samedi soir, l’ambiance électrique, les chants qui montent des tribunes et, parfois, cette phrase qui tombe comme un couperet : « Oh la bande de pédés ! » lancée à plein poumon par des centaines de gorges ? Moi oui. Et à chaque fois, ça me serre le ventre. Ce n’est pas seulement une insulte. C’est une violence qui n’a rien à faire dans un stade.
Eh bien, en ce mois de décembre 2025, quelque chose bouge enfin pour de bon.
Une première historique en Coupe de France
Le 20 décembre prochain, lors du 32e de finale entre Grenoble et Nancy, trois observateurs seront postés dans les travées du Stade des Alpes. Leur mission ? Écouter. Repérer. Signaler. Pas de sifflet, pas de carton rouge, juste des oreilles affûtées et un téléphone pour faire remonter l’info en cas de dérapage homophobe ou discriminatoire.
C’est une grande première. Et franchement, il était temps.
Le trio sera composé d’un représentant fédéral, d’un délégué national et – c’est la nouveauté qui fait parler – d’un membre d’une association LGBT+ reconnue. Un roulement est prévu pour les prochaines rencontres sensibles, histoire que plusieurs sensibilités soient représentées.
Comment ça marche concrètement ?
Le dispositif est bien rodé sur le papier :
- Les observateurs repèrent un chant ou un comportement problématique
- Ils alertent immédiatement le délégué du match
- Le délégué prévient le 4e arbitre
- Le speaker prend la parole pour demander l’arrêt
- Si ça continue : interruption temporaire, voire définitive du match
Oui, vous avez bien lu. L’arbitre a désormais le pouvoir – et le devoir – d’arrêter le jeu. Comme ça s’est déjà produit en Ligue 1 à plusieurs reprises ces dernières saisons.
« L’objectif, c’est de ringardiser ces chants une bonne fois pour toutes »
Un dirigeant fédéral qui résume bien la philosophie actuelle
Pourquoi Grenoble-Nancy précisément ?
Le choix n’est pas anodin. En 2019, les Red Kaos, le groupe ultra du GF38, avaient défrayé la chronique avec une banderole « Bon anniv les PD » à destination des supporters lensois. À l’époque, ils avaient justifié ça comme une réponse ironique à une polémique précédente. Résultat ? Une énorme polémique nationale et une image désastreuse.
Depuis, le club isérois a beaucoup travaillé son image et ses relations avec les associations. Mais le passé laisse des traces. Et la Fédération préfère prévenir que guérir.
D’ailleurs, j’ai discuté avec un habitué du kop grenoblois la semaine dernière. Il m’a confié, un peu gêné : « On sait très bien que certains chants continuent en sous-marin. On n’est pas fiers. Mais il y a encore du boulot. »
Un virage à 180° après des années de silence
Il faut le dire clairement : pendant trop longtemps, la question de l’homophobie dans le foot français a été le grand tabou. On fermait les yeux, on minimisait, on parlait de « folklore » ou de « culture des tribunes ». Certains dirigeants allaient même jusqu’à dire que c’était « exagéré » ou que ça faisait partie du jeu.
Ce temps-là est révolu.
Depuis l’arrivée de Philippe Diallo à la tête de la FFF, le discours a radicalement changé. Création d’une direction de l’engagement, mise en place du Cleved (comité de lutte contre les violences et les discriminations), formations des arbitres, partenariats avec des associations… On sent une vraie volonté politique.
Même les diffuseurs TV vont être sensibilisés dans les prochaines semaines. L’idée ? Ne plus couper les images quand un match s’arrête pour cause de chants homophobes, mais au contraire diffuser un message fort expliquant la raison de l’interruption.
Et les supporters dans tout ça ?
C’est la grande question. Car on peut mettre tous les observateurs du monde, si la culture des tribunes ne bouge pas, on tourne en rond.
Certains ultras crient à la censure, à la « bien-pensance », au « foot aseptisé ». D’autres, au contraire, applaudissent et disent qu’il était temps de nettoyer les kops de ces comportements d’un autre âge.
Personnellement, je pense qu’on est à un tournant. Les nouvelles générations de supporters, celles qui remplissent les parcs à 20-25 ans, sont souvent beaucoup plus ouvertes sur ces questions. Elles n’ont plus envie d’entendre leurs potes reprendre des chants des années 90 qui sentent la testostérone rance.
Mais le chemin sera long. Très long.
Et ailleurs, ça se passe comment ?
La France n’est pas la seule à s’attaquer au problème. En Angleterre, la Premier League a lancé depuis plusieurs saisons la campagne « Rainbow Laces » avec un succès relatif mais réel. En Allemagne, certains clubs comme le FC St. Pauli font figure de modèles avec une culture ultra inclusive.
En Italie ou en Espagne, c’est plus compliqué. Les sanctions tombent parfois, mais la culture macho reste très ancrée.
Ce qui est intéressant en France, c’est qu’on passe directement à une mesure très concrète : des oreilles dans les tribunes. Pas juste des campagnes de com’ ou des brassards arc-en-ciel une fois par an.
Ce que ça dit de notre société
Au-delà du foot, cette expérimentation dit beaucoup de choses sur l’époque.
On est dans une période où plus rien ne passe. Les mots ont un poids. Ce qu’on tolérerait peut-être dans un bistrot entre potes ne passe plus dans un stade de 20 000 personnes. Et c’est plutôt une bonne nouvelle.
Mais il y a aussi le risque du deux poids deux mesures. On traque (à juste titre) les chants homophobes, mais certains chants racistes ou antisémites passent encore parfois sous les radars. Il faudra être cohérent.
Et maintenant ?
Le match Grenoble-Nancy sera scruté comme jamais. Si le dispositif fonctionne sans dérapage majeur, il sera probablement étendu à d’autres rencontres sensibles : derbys, matchs à risque, finales de coupes nationales.
Si ça se passe mal – chants massifs malgré les observateurs, interruption longue, polémique – ça pourrait freiner la dynamique.
Moi je mise sur un entre-deux : quelques alertes, peut-être une petite interruption de deux minutes, et surtout un message clair envoyé à tout le foot français.
Parce qu’à la fin, le foot doit rester cette fête populaire qu’on aime tous. Mais une fête où tout le monde se sent bienvenu. Sans exception.
Et ça, ça vaut bien trois observateurs dans une tribune un soir de décembre.
(Article rédigé après avoir suivi ce dossier depuis plusieurs mois et échangé avec des supporters, des dirigeants et des membres d’associations. Le sujet mérite qu’on en parle sans tabou, mais avec bienveillance et fermeté.)
