Vous est-il déjà arrivé de sortir votre chien et de sentir, en une fraction de seconde, que la soirée allait basculer ?
C’est exactement ce qui s’est passé un samedi de novembre, vers la fin d’après-midi, quand la nuit tombe déjà vite sur Paris. Un homme – appelons-le Cyril pour préserver son anonymat – descend simplement promener sa chienne le long du Canal Saint-Martin. Rien d’extraordinaire. Sauf que cette balade anodine va se transformer en véritable drame personnel.
Quand une promenade devient un cauchemar judiciaire
Imaginez la scène. Il fait froid, les lampadaires viennent de s’allumer. Cyril tient en laisse sa chienne de trois ans, une American Bully, race puissante, trapue, souvent mal comprise du grand public. Deux chiens se croisent. Comme n’importe quel propriétaire responsable, il raccourcit la laisse, tire un peu pour faire passer sa chienne derrière lui et éviter tout risque. Le premier maître continue son chemin sans rien dire. Jusque-là, tout va bien.
Mais un autre passant, sur le trottoir d’en face, n’a visiblement pas la même lecture de la situation.
« Il s’est mis à me hurler dessus en disant que je maltraitais mon chien, que je lui faisais mal en tirant sur la laisse comme ça », raconte Cyril, encore sous le choc plusieurs jours après.
Ce qui aurait pu rester une remarque désagréable dégénère rapidement. Les insultes fusent des deux côtés – Cyril l’admet sans détour, il a répondu, et pas forcément avec des fleurs. Le ton monte. L’homme menace d’appeler la police. Cyril, sûr de son bon droit, lui lance : « Vas-y, appelle-les, je bouge pas. »
Moins de vingt minutes plus tard, les agents sont là. Contrôle d’identité, explications confuses, et puis cette phrase qui tombe comme un couperet : la chienne va être placée en refuge le temps d’une enquête pour mauvais traitements. Cyril passe la nuit en garde à vue. Sa compagne, effondrée, rentre seule.
Une saisie immédiate : la procédure expliquée
En France, lorsqu’un signalement de maltraitance est jugé sérieux, les forces de l’ordre peuvent procéder à une saisie conservatoire. C’est ce qui s’est passé ici. La loi est claire : dès qu’il existe un doute raisonnable sur le bien-être de l’animal, celui-ci peut être retiré à son propriétaire dans l’attente d’une décision judiciaire.
Mais dans les faits, ça veut dire quoi ?
- La chienne est conduite dans un refuge partenaire de la justice.
- Une enquête est ouverte (vétérinaire comportementaliste, audition des témoins, analyse des conditions de vie…).
- Le propriétaire, lui, doit prouver qu’il n’a jamais porté atteinte à son animal.
- Pendant ce temps-là, l’animal reste placé, parfois plusieurs mois.
Pour Cyril, c’est l’incompréhension totale. « Elle dormait dans mon lit, mangeait avant moi, avait ses jouets partout… Comment peut-on penser que je lui fais du mal ? »
L’American Bully, cette race qui fait peur
Difficile de parler de cette affaire sans évoquer la race de la chienne. L’American Bully, avec son physique impressionnant – tête massive, musculature saillante – souffre d’une image parfois effrayante. On la confond souvent avec l’American Staffordshire Terrier ou même le Pitbull, alors qu’elle a été sélectionnée précisément pour son tempérament calme et son affection envers l’homme.
Pourtant, dans l’imaginaire collectif, « chien musclé = chien dangereux ». Et quand on tire sur la laisse d’un molosse de 30 kilos, même pour le protéger, certains y voient immédiatement de la brutalité.
J’ai moi-même un staffie à la maison. Je sais à quel point on peut se sentir jugé quand on raccourcit simplement la laisse pour éviter un incident. Un geste banal devient suspect dès que l’animal dépasse 20 kilos et a l’air « méchant ».
Le rôle ambigu des passants « protecteurs »
Il y a une tendance croissante ces dernières années : des citoyens se sentent investis d’une mission de vigilance animale. C’est plutôt une bonne chose, soyons clairs – la maltraitance existe, et les signalements sauvent des vies. Mais il arrive que la frontière devienne floue entre vigilance légitime et excès de zèle.
Dans cette histoire, le passant a-t-il vraiment vu une maltraitance ? Ou a-t-il simplement été choqué par la puissance physique de la chienne et par le fait qu’on tire sur sa laisse (geste pourtant recommandé par tous les éducateurs canins pour éviter les bagarres) ?
« J’ai retenu ma chienne deux fois pour éviter tout problème. À aucun moment je ne l’ai frappée, étranglée ou quoi que ce soit. Elle n’a même pas couiné », insiste Cyril.
Le vétérinaire qui l’a examinée au refuge n’a d’ailleurs relevé aucune trace de violence. Ni ancienne, ni récente. Ce qui rend la saisie d’autant plus douloureuse à vivre.
Le combat pour récupérer sa chienne
Depuis cet épisode, Cyril ne vit plus. Il passe ses journées à constituer un dossier béton : certificats vétérinaires, photos de la chienne dans l’appartement, attestations de voisins, preuves d’achat de nourriture haut de gamme, factures de toilettage… Tout y passe.
Il a pris un avocat spécialisé en droit animal. Coût : plusieurs milliers d’euros. « Je suis prêt à tout, même à m’endetter, pour la récupérer. C’est ma fille, ma famille. »
En parallèle, il a créé une cagnotte en ligne et partage son histoire sur les réseaux. Des centaines de messages de soutien affluent, mais aussi des insultes – parce qu’évidemment, sur internet, tout le monde a un avis tranché.
Et maintenant ?
L’enquête est toujours en cours. L’audience qui déterminera si la chienne lui sera rendue – ou confiée définitivement au refuge – n’aura lieu que dans plusieurs semaines, voire plusieurs mois.
En attendant, elle grandit dans un box. Lui dort seul. Et quelque part, cette histoire pose une question qui dépasse largement le cas personnel : jusqu’où peut-on aller au nom de la protection animale quand les preuves manquent ?
Je ne prétends pas avoir la réponse. Mais une chose est sûre : cette affaire montre à quel point le lien entre un humain et son chien peut être profond. Et à quel point il peut être fragile face à un simple malentendu, un soir de novembre, au bord d’un canal.
Parce qu’au fond, derrière les muscles et les préjugés, il n’y a souvent qu’un animal qui aime son maître. Et un maître qui ferait tout pour le retrouver.
(Article rédigé à partir de témoignages directs et de documents judiciaires, sans révélation d’identité complète pour préserver les parties.)
