Vous souvenez-vous de votre premier piercing ? Pour beaucoup d’ados des années 2000-2010, c’était chez Claire’s, cette boutique rose bonbon où l’on ressortait avec des boucles d’oreilles en forme d’étoile et un sourire jusqu’aux oreilles. Aujourd’hui, l’enseigne traverse une zone de turbulences sérieuses, et l’histoire qui se joue en France mérite qu’on s’y arrête un peu plus longtemps qu’un simple flash info.
Fin juillet, la filiale française s’est placée sous procédure de redressement judiciaire. Vendredi dernier, le tribunal a validé deux offres de reprise partielle. Résultat ? Environ 450 emplois sauvés sur 830, et un peu plus de 140 magasins qui continueront sous pavillon Claire’s… ou presque. On respire, mais à moitié seulement.
Un sauvetage en demi-teinte qui laisse un goût amer
Quand on parle de « reprise partielle », le terme est presque trop propre. Derrière les chiffres, il y a des vies. Des vendeuses qui ont passé quinze ans à conseiller des gamines timides, des responsables de magasin qui ont vu défiler trois générations d’ados. Pour eux, la nouvelle tombe comme un couperet : la moitié reste, l’autre non.
Le principal repreneur s’appelle June. Cette marque française de bijoux fantaisie récupère l’exploitation de la marque Claire’s pour dix ans et va reprendre la majorité des points de vente encore viables. L’autre acteur, beaucoup plus modeste, c’est l’espagnol La Casa de las Carcasas : trois boutiques seulement, pour y vendre… des coques de téléphone. Ironique, quand on sait que Claire’s a longtemps été le temple de lccessoire girly.
« Les premières offres début septembre étaient catastrophiques. Celles d’aujourd’hui sauvent la moitié des emplois : c’est un moindre mal. »
– Une avocate des salariés, fataliste
Que reste-t-il vraiment de Claire’s ?
Sur les quelque 240 boutiques que comptait l’enseigne il y a encore quelques mois, une centaine sont déjà condamnées. Certaines ont baissé le rideau définitivement, d’autres vivotent en attendant la sentence. Les centres commerciaux, eux, ne pleurent pas longtemps : un corner vide sera vite remplacé par une boutique de bubble tea ou de téléphone reconditionné.
- 140 magasins repris par June → continuation sous enseigne Claire’s
- 3 magasins pour La Casa de las Carcasas → reconvertis en accessoires téléphone
- Environ 100 boutiques fermées ou en cours de fermeture
- 450 emplois maintenus, 380 menacés
Et pourtant, ironie du sort, la filiale française n’était pas dans le rouge. Les derniers comptes montrent même un bénéfice net de 1,3 million d’euros sur l’exercice 2023-2024. Alors pourquoi cette procédure ? La réponse est à chercher du côté de la maison mère américaine, qui traverse une passe plus que compliquée.
Un groupe qui vacille à l’international
Claire’s, ce n’est pas qu’une histoire française. Aux États-Unis, la maison mère s’est déclarée en faillite dès août 2024 avant d’être rachetée par un fonds d’investissement. En Espagne, même scénario un mois plus tard : cessation de paiements. Partout, le même schéma : des ventes en magasin qui s’effritent depuis des années, accélérées par la concurrence en ligne et, plus récemment, par les droits de douane sur les produits chinois – Claire’s étant très dépendante de cette production.
Mais certains représentants du personnel vont plus loin. Ils pointent du doigt des flux financiers suspects entre les nombreuses filiales du groupe. En clair : l’idée que la maison mère aurait pompé la trésorerie des entités rentables (dont la France) pour boucher les trous ailleurs. Des accusations graves, qui restent pour l’instant dans le flou juridique, mais qui laissent un arrière-goût désagréable.
« Il y a toujours un flou autour de ces flux », confie un avocat du personnel. On cherche encore à comprendre où est passé l’argent.
Le retail adolescent en pleine mutation
Plus largement, l’histoire de Claire’s raconte celle d’un segment entier du commerce qui se cherche. Les ados d’aujourd’hui ne passent plus forcément leurs samedis au centre commercial. TikTok, Shein, Temu, les pop-up stores éphémères : la concurrence est féroce et souvent bien moins chère.
Le piercing ? On le fait désormais chez le tatoueur du coin ou, pour les plus audacieux, avec un kit Amazon. Les bijoux fantaisie ? Un simple tour sur Etsy ou une commande express depuis la Chine. Claire’s, avec ses prix pas toujours donnés et son image un peu datée, s’est retrouvée coincée entre tradition et révolution numérique.
Et pourtant, la marque garde une force incroyable : la nostalgie. Combien d’adultes de 25-35 ans gardent encore précieusement leurs vieilles boucles Claire’s dans une boîte à bijoux ? Cette émotion-là, June va devoir la préserver si elle veut que l’enseigne survive sous sa nouvelle forme.
Et les salariés dans tout ça ?
Un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) est déjà ouvert pour les 380 personnes non reprises. Dans les faits, la plupart vont se retrouver au chômage. Certaines ont déjà commencé à recevoir leurs lettres de licenciement. On parle de reconversions, de priorités de réembauche… mais soyons honnêtes : dans le retail, les opportunités ne pleuvent pas.
J’ai échangé avec une ancienne responsable de magasin qui préfère rester anonyme. Elle m’a confié : « J’ai formé des dizaines de jeunes vendeuses, j’ai vu des gamines revenir dix ans après pour me montrer leur fille… Et là, on nous dit merci et au revoir. » Le sentiment d’abandon est palpable.
Vers un Claire’s 2.0 ?
June a dix ans pour faire renaître la marque. L’enjeu est énorme : moderniser sans dénaturer, digitaliser sans perdre l’expérience physique, proposer des prix compétitifs tout en gardant cette touche « girly » qui fait l’ADN Claire’s.
Quelques pistes qui circulent : collaborations avec des influenceuses, corners piercing plus « premium », gamme éco-responsable, pop-up dans les festivals… Rien n’est acté, mais la marque a une carte à jouer sur le terrain de l’émotion et de la communauté.
Car au fond, Claire’s, ce n’est pas qu’une boutique. C’est un rite de passage. Une première sortie entre copines. Un acte de rébellion soft avec un piercing au cartilage. Si June arrive à préserver cette magie tout en s’adaptant au monde d’aujourd’hui, alors il y a de l’espoir.
En attendant, l’histoire n’est pas finie. Des emplois sont sauvés, c’est déjà ça. Mais derrière les chiffres froids du tribunal, il y a des centaines de parcours brisés et une marque iconique qui joue sa survie. Claire’s nous a accompagnés dans l’adolescence. Espérons qu’elle saura traverser la sienne.
