Imaginez-vous coincé sur l’autoroute un matin d’hiver, avec devant vous une interminable rangée de tracteurs avançant au pas. Klaxons, fumées de pneus brûlés, et cette impression que quelque chose de profond bouillonne dans les campagnes françaises. C’est exactement ce qui se passe en ce moment, et franchement, on sent que la colère des agriculteurs ne va pas s’éteindre comme ça.
Ce mercredi 17 décembre 2025, la mobilisation entre dans son sixième jour consécutif. Malgré les réunions à haut niveau et les annonces faites la veille, les barrages filtrants et les blocages persistent un peu partout, surtout dans le Sud-Ouest et en Occitanie. On a l’impression que les promesses gouvernementales, pourtant concrètes, arrivent trop tard pour calmer les esprits.
Une mobilisation qui ne désarme pas malgré les gestes du gouvernement
Hier soir encore, plusieurs ministres se sont réunis pour tenter d’apaiser la situation. La ministre de l’Agriculture a annoncé une accélération massive de la vaccination contre la dermatose nodulaire contagieuse, cette maladie qui touche les bovins et qui fait trembler tout le secteur de l’élevage. 750 000 animaux supplémentaires devraient être protégés dans les prochaines semaines. Des doses venues des Pays-Bas, des vétérinaires mobilisés en urgence, même des militaires et des étudiants prêts à prêter main-forte… Tout y est.
Mais sur le terrain, ça ne suffit visiblement pas. Les agriculteurs restent persuadés que les mesures arrivent en retard et qu’elles ne répondent pas à toutes leurs inquiétudes. Et puis il y a cette manifestation prévue demain à Bruxelles, contre certaines décisions européennes et surtout contre le traité avec les pays du Mercosur, qui fait figure d’épouvantail depuis des années.
Quand on voit un collègue mettre fin à ses jours parce qu’il n’en peut plus, on se dit qu’il est temps que les choses changent vraiment.
– Un éleveur du Gers, lors d’une action nocturne
Les perturbations ferroviaires : un axe Toulouse-Narbonne toujours paralysé
Commençons par les trains, parce que là, c’est vraiment compliqué pour beaucoup de monde. L’axe Toulouse-Narbonne reste très perturbé, avec une circulation totalement interrompue entre Toulouse et Castelnaudary. La reprise n’est pas attendue avant midi, au mieux.
Plus à l’est, la ligne vers Latour-de-Carol galère aussi. Les TER peinent à circuler normalement, et il faudra attendre vendredi soir pour espérer un retour à la normale. Dans le Gers, entre Auch et Gimont, des obstacles ont été posés sur les voies, obligeant à mettre en place des bus de remplacement.
- Axe Toulouse-Narbonne : interruption jusqu’à midi minimum
- Ligne Toulouse-Latour-de-Carol : circulation très réduite
- Secteur Auch-Gimont : aucun train, substitution par bus
Ces perturbations touchent des milliers de voyageurs qui n’ont parfois rien à voir avec le conflit. Mais pour les agriculteurs, bloquer les infrastructures, c’est le moyen le plus efficace de se faire entendre.
Autoroutes : des points chauds multiples ce matin
Sur les routes, la situation n’est pas plus fluide. Dès l’aube, de nouveaux rassemblements ont été signalés. Près d’Avignon, une cinquantaine de tracteurs gêne la circulation sur un pont stratégique au sud de la ville. En Occitanie, l’A61 voit toujours des manifestations autour de Castelnaudary.
Dans le détail, plusieurs axes sont particulièrement touchés :
- A64 en Haute-Garonne : présence marquée à Carbonne et Seillhan
- A709 dans l’Hérault : congestion à Vendargues
- A75 en Aveyron : ralentissements près de Sévérac-d’Aveyron
- A20 en Corrèze : blocage complet à Noailles
- A89 en Dordogne : difficultés à Saint-Sauves-d’Aydie
Et ce n’est pas tout. Des routes nationales subissent aussi des barrages, comme la RN122 dans le Cantal ou la RN88 en Aveyron. Les gendarmes recensent plus de points de blocage ce matin qu’hier. La mobilisation semble même gagner en intensité.
Une opération coup de poing marquante dans le Gers
Dans la nuit de mardi à mercredi, les agriculteurs du Gers ont marqué les esprits. Pendant plus de trois heures, ils ont investi les abords de la préfecture d’Auch. Lisier projeté, farines déversées, ballots de paille jetés… Et surtout, un geste fort : un cercueil drapé aux couleurs nationales, en hommage à un éleveur qui s’est suicidé récemment.
Ce genre d’action, aussi spectaculaire soit-elle, montre à quel point le désespoir est profond. On parle souvent du mal-être dans le monde agricole, mais là, ça prend une dimension tragique qui interpelle tout le monde.
La dermatose nodulaire : au cœur de la crise sanitaire
Revenons sur ce qui a allumé la mèche. La dermatose nodulaire contagieuse (DNC) est une maladie virale qui touche les bovins. Sans être dangereuse pour l’homme, elle provoque des lésions cutanées importantes, une chute de production laitière et, dans les cas graves, la mort des animaux.
Depuis plusieurs semaines, des foyers ont été détectés dans le Sud-Ouest, obligeant à des abattages massifs et à des restrictions de mouvement. Les éleveurs craignent une propagation rapide, surtout que le virus se transmet par des insectes vecteurs. D’où l’urgence de vacciner.
Le gouvernement affirme désormais disposer de 900 000 doses. Cinq départements récemment touchés sont prioritaires, mais le cordon sanitaire s’élargit à d’autres régions limitrophes pour éviter toute contagion supplémentaire. Des vétérinaires libéraux, retraités, militaires et même étudiants sont mobilisés pour vacciner à grande échelle.
La situation évolue heure par heure, mais nous mettons tout en œuvre pour contenir l’épidémie.
– Entourage ministériel
Pourtant, certains éleveurs restent sceptiques. Ils estiment que la vaccination aurait dû être anticipée bien plus tôt et que les indemnisations restent insuffisantes face aux pertes économiques.
Le traité Mercosur et les normes européennes : l’autre gros dossier
La crise sanitaire n’explique pas tout. Derrière les blocages, il y a aussi une colère plus ancienne contre certaines orientations européennes. Le traité avec les pays du Mercosur revient sans cesse dans les discussions. Les agriculteurs français redoutent une concurrence déloyale, avec des viandes produites selon des normes bien moins strictes que celles imposées ici.
À la veille d’une grande manifestation à Bruxelles, ce dossier cristallise les tensions. Beaucoup voient dans ces accords une menace directe pour la survie des exploitations familiales. Et quand on ajoute les contraintes environnementales, les charges administratives, les prix qui ne couvrent pas toujours les coûts de production… on comprend mieux pourquoi la goutte d’eau a fait déborder le vase.
Quelles perspectives pour les prochains jours ?
Difficile de prédire l’évolution exacte. La manifestation bruxelloise de demain pourrait marquer un tournant, ou au contraire durcir le mouvement en France. Sur place, les agriculteurs disent vouloir maintenir la pression tant que des engagements clairs et durables ne seront pas pris.
Ce qui est sûr, c’est que cette mobilisation touche à des questions essentielles : la souveraineté alimentaire, la reconnaissance du travail agricole, la protection sanitaire du cheptel, et surtout la survie économique d’un secteur déjà fragilisé.
En attendant, les usagers des routes et des trains continuent de payer le prix de cette colère. Et quelque part, ça pose aussi la question de la légitimité des méthodes employées. Bloquer des infrastructures, est-ce le seul moyen de se faire entendre quand les négociations semblent patiner ?
Une chose est certaine : le monde agricole français traverse une crise profonde. Et cette fois, il semble déterminé à ne plus se contenter de promesses. Reste à voir si les décisions qui seront prises dans les prochains jours suffiront à apaiser durablement les tensions.
Personnellement, je trouve que cette mobilisation rappelle à quel point l’agriculture reste un pilier fragile de notre société. On parle beaucoup d’écologie, de transition, mais on oublie parfois ceux qui produisent notre alimentation au quotidien. Espérons que cette crise débouchera sur des solutions concrètes et pérennes, plutôt que sur un simple retour au calme temporaire.
(Article mis à jour en continu selon l’évolution de la situation)
