Il y a des histoires qui vous restent collées à la peau longtemps après les avoir lues. Celle de Benjamin Danielou en fait partie. Un jeune géant de 2,02 m, plein de vie, qui part faire un stage en Thaïlande en 2005 et qui, en une fraction de seconde, voit tout basculer. Vingt ans plus tard, à 41 ans, il s’est éteint dans une clinique du Morbihan. Pas guéri, pas réveillé… simplement parti, après une agonie que son père décrit comme « terrible ».
Je ne vais pas vous refaire le déroulé clinique, vous le trouverez ailleurs. Ce qui m’a frappé, moi, c’est la violence contenue dans les mots de Maxime Danielou, le père. Un homme de 72 ans qui a accompagné son fils jour après jour pendant deux décennies et qui, au moment où la mort arrivait enfin, s’est retrouvé impuissant face à un système qui refuse parfois de laisser partir.
Vingt ans suspendu entre vie et mort
Reprenons depuis le début, calmement. Benjamin a 21 ans quand il percute un poteau à scooter près de Pattaya. Traumatisme crânien grave. Les médecins thaïlandais le sauvent, mais le diagnostic tombe vite : état végétatif, chances de réveil quasi nulles. Rapatriement sanitaire compliqué, retour à Saint-Malo, puis des années dans différents établissements spécialisés.
Pendant tout ce temps, il respire seul, le cœur bat, mais Benjamin n’est plus vraiment là. Pas de regard qui suit, pas de réaction à la douleur volontaire, rien. Juste un corps entretenu, nourri par sonde, changé, lavé, retourné pour éviter les escarres. Vingt ans.
Ce n’est pas une vie de film où le héros se réveille soudain en criant « maman ». C’est une réalité brutale, quotidienne, que peu de familles connaissent et que la société préfère souvent regarder ailleurs.
L’arrivée du cancer, puis la fin
Ces derniers mois, tout s’est accéléré. Un cancer de la vessie, fulgurant. En quelques semaines, métastases partout : reins, foie, septicémie. Les médecins proposent, la famille refuse les traitements lourds. À quoi bon ? Les chances de survie sont nulles, et Benjamin ne peut même pas exprimer sa volonté.
« Nous n’avons pas souhaité qu’il soit traité. Son agonie a été terrible, mais nous ne pouvions rien faire pour abréger ses souffrances (ni les nôtres !) »
– Maxime Danielou, le père
Alors on passe à la sédation profonde et continue, comme le permet la loi Claeys-Leonetti depuis 2016. En théorie, c’est fait pour endormir définitivement jusqu’au décès. En pratique, chez certains patients qui respirent seuls, ça peut durer… longtemps. Très longtemps.
Maxime raconte les râles, la difficulté respiratoire, l’oxygène qu’on remet « comme s’ils ne voulaient pas le laisser s’envoler paisiblement ». Des mots durs, mais compréhensibles quand on a passé vingt ans à espérer un miracle qui n’est jamais venu.
Le mur légal français face à la souffrance
En France, l’euthanasie active reste interdite. Le suicide assisté aussi. On a bien la sédation profonde pour les malades en fin de vie dont le pronostic vital est engagé à court terme, mais seulement si l’arrêt des traitements mettrait leur vie en danger immédiatement. Chez Benjamin, le cœur battait encore vaillamment, même abîmé.
La famille avait exploré toutes les pistes légales à l’étranger. Refus partout. Retour à la case française, avec cette impression d’être prisonnier d’un corps qui ne veut pas mourir et d’une loi qui refuse de l’aider à partir.
- 2006 : première loi Leonetti (interdiction de l’obstination déraisonnable)
- 2016 : loi Claeys-Leonetti (sédation profonde et continue possible)
- 2023-2025 : débats sur une éventuelle « aide active à mourir » qui patinent
- 2025 : toujours rien de voté
On nous promettait une loi avant la fin du quinquennat. On attend toujours. Pendant ce temps, des familles comme celle de Benjamin vivent l’enfer en direct.
Un père qui refuse le silence
Maxime Danielou n’est pas du genre à baisser les bras. Il a créé une page Facebook suivie par des milliers de personnes, témoigné dans les médias, interpellé les politiques. Il parle de son fils comme du « stagiaire martyr » d’une France qui envoie ses jeunes à l’étranger sans toujours mesurer les risques.
Aujourd’hui, il dit qu’il continuera le combat. Parce que derrière Benjamin, il y a des centaines, peut-être des milliers de familles dans la même situation. Des parents qui changent les couches de leur enfant de 40 ans. Des frères et sœurs qui fêtent Noël sans leur cadet depuis vingt ans.
« J’irai jusqu’au bout de toutes les luttes, car Benjamin a été l’apologie du stagiaire martyr de notre pays »
Et nous, on en pense quoi ?
Personnellement, j’ai du mal à rester neutre. On peut être contre l’euthanasie par conviction religieuse ou philosophique, je respecte. Mais quand on lit le récit d’un père qui supplie qu’on laisse partir son fils après vingt ans de coma total et qu’on lui répond « non, c’est interdit », quelque chose coince.
Est-ce vraiment de la dignité que de maintenir artificiellement un corps qui n’a plus aucune chance de redevenir une personne ? Est-ce de la compassion que de prolonger une agonie sous prétexte qu’on refuse d’« activer » la mort ? Les questions sont rudes, mais elles méritent d’être posées.
En Belgique, en Suisse, aux Pays-Bas, des patients dans l’état de Benjamin auraient pu bénéficier d’une euthanasie depuis longtemps, si telle avait été leur volonté exprimée avant ou celle de leurs proches. En France, on reste bloqué sur une position intermédiaire qui satisfait peu de monde.
Ce que l’histoire de Benjamin nous rappelle
- Qu’un accident à 21 ans peut vous voler cinquante ans de vie… ou plutôt vous les faire vivre dans le néant.
- Que les lois sur la fin de vie avancent toujours trop lentement par rapport à la réalité des familles.
- Que la sédation profonde, présentée comme une solution humaine, peut parfois devenir un calvaire interminable.
- Que le débat n’est pas « pour ou contre la mort », mais « pour ou contre la souffrance inutile ».
Benjamin est parti un dimanche de novembre, sans voir le soleil se lever, comme l’écrit sa famille. Peut-être qu’il est enfin en paix. Peut-être que son histoire, enfin, fera bouger les lignes.
En attendant, il laisse derrière lui un père épuisé mais déterminé, et des milliers de personnes touchées par son parcours. Parce que oui, même dans le silence le plus total, certaines vies continuent de parler très fort.
Repose en paix, Benjamin.
