Imaginez recevoir un SMS anodin vous invitant à « prendre un café » dans une ville ravagée par la guerre. Derrière ce message, pas une pause conviviale, mais une opération clandestine pour récupérer un salaire. C’est la réalité des fonctionnaires à Gaza, où le Hamas, malgré les destructions et le chaos, trouve des moyens ingénieux pour maintenir son administration à flot. Comment un mouvement sous blocus et bombardements parvient-il à financer ses employés ? Plongeons dans cette mécanique complexe, où chaque shekel compte et où la survie passe par des stratégies dignes d’un roman d’espionnage.
Une économie de guerre : le défi du Hamas
Depuis le début du conflit en octobre 2023, Gaza vit sous une pression militaire et humanitaire sans précédent. Les infrastructures sont en ruines, les services publics à l’arrêt, et pourtant, le Hamas continue de verser des salaires à une partie de ses 40 000 fonctionnaires. Ce n’est pas une mince affaire dans un territoire où les banques sont détruites, les routes bloquées et les ressources rares. J’ai toujours trouvé fascinant comment des organisations parviennent à fonctionner dans des contextes aussi extrêmes, et ici, le Hamas déploie une résilience qui mérite qu’on s’y attarde.
Des SMS codés pour des salaires clandestins
Dans les rues dévastées de Gaza, un SMS peut changer la donne. Des fonctionnaires racontent recevoir des messages cryptiques, comme une invitation à boire un café ou un thé, avec un lieu et une heure précis. Ces messages, loin d’être anodins, sont des instructions pour récupérer leur salaire. Un employé, que nous appellerons Samir, explique :
J’ai reçu un texto me demandant de me rendre près d’une école à 14h. J’avais peur, les frappes aériennes sont fréquentes, mais j’y suis allé. Un homme m’a glissé 900 shekels dans une enveloppe.
– Fonctionnaire anonyme
Ces rencontres se font souvent dans des lieux improbables : écoles désaffectées, camps de déplacés, ou ruelles jonchées de débris. Le risque est immense, car les zones désignées sont parfois ciblées par des frappes. Pourquoi prendre de tels risques ? Parce que ces salaires, même partiels, sont une bouée de sauvetage dans un territoire où les prix des produits de première nécessité ont explosé.
Les sources de financement : un puzzle opaque
Comment le Hamas trouve-t-il l’argent pour payer ces salaires ? Avant le conflit, l’organisation s’appuyait sur plusieurs sources : taxes locales, droits de douane, et surtout une aide financière conséquente du Qatar, estimée à 360 millions de dollars par an jusqu’en 2023. Cette aide, négociée pour stabiliser Gaza, a été interrompue après l’escalade du conflit. Alors, d’où vient l’argent aujourd’hui ?
- Contrebande via les tunnels : Des réseaux souterrains, bien que partiellement détruits, permettent encore de faire entrer du liquide à Gaza.
- Réserves cachées : Des sommes colossales auraient été stockées dans des lieux sécurisés avant la guerre.
- Soutiens extérieurs : Bien que non confirmés officiellement, des fonds venant de certains pays ou organisations continuent d’affluer.
Selon des experts, le Hamas a anticipé les périodes de crise en constituant des réserves financières. Un responsable anonyme confie : « Ils ont des millions cachés dans des tunnels ou des coffres. Même les bombardements ne peuvent pas tout détruire. » Cette capacité à maintenir un flux d’argent dans un contexte de guerre est à la fois impressionnante et troublante.
Une logistique à haut risque
Distribuer de l’argent dans une zone de guerre est un casse-tête logistique. Les banques, souvent ciblées par des frappes, ne fonctionnent plus. Les employés du Hamas doivent donc improviser. Les salaires sont parfois acheminés à pied, en petites sommes, pour éviter d’attirer l’attention. Dans certains cas, les hauts fonctionnaires reçoivent leur argent directement dans des camps de déplacés, à l’abri des regards.
Un enseignant, que nous appellerons Omar, raconte une expérience marquante :
J’ai dû marcher deux heures sous un soleil brûlant pour atteindre une école bombardée. L’homme qui m’a donné l’argent tremblait autant que moi. On savait qu’une frappe pouvait arriver à tout moment.
– Enseignant anonyme
Ce processus, bien que risqué, montre une organisation méticuleuse. Mais il n’est pas sans failles : certains fonctionnaires se plaignent que les paiements sont irréguliers, partiels, ou réservés aux membres les plus loyaux du mouvement. Cette inégalité alimente les tensions dans un territoire déjà au bord du gouffre.
Une économie au bord de l’asphyxie
Si le Hamas parvient encore à payer une partie de ses fonctionnaires, les montants versés sont souvent dérisoires face à l’inflation galopante. Un salaire de 1 000 shekels (environ 255 euros) ne suffit pas à couvrir les besoins de base dans un territoire où un sac de farine peut coûter une fortune. L’ONU alerte sur une famine imminente, et les fonctionnaires, comme le reste de la population, luttent pour survivre.
| Situation | Impact sur les salaires | Conséquences |
| Destruction des banques | Paiements en liquide uniquement | Risques accrus lors des distributions |
| Blocus israélien | Réduction des fonds disponibles | Salaires partiels et irréguliers |
| Inflation | Pouvoir d’achat en chute libre | Difficultés à subvenir aux besoins |
Ce tableau illustre bien la précarité de la situation. Pourtant, pour beaucoup, ces salaires, même modestes, restent une lueur d’espoir. Comme le dit une enseignante anonyme : « C’est peu, mais c’est mieux que rien. Sans ça, je ne sais pas comment on survivrait. »
Le rôle des tunnels : une artère financière
Les tunnels de contrebande jouent un rôle clé dans cette économie parallèle. Bien que l’armée israélienne ait détruit de nombreux passages souterrains, certains restent opérationnels. Ces tunnels, creusés sous la frontière, permettent de faire entrer du liquide, des biens, et parfois même des armes. Leur existence est un secret de polichinelle, mais leur importance est cruciale.
Des vidéos publiées par des sources militaires montrent des coffres remplis de shekels, de dollars et de dinars jordaniens découverts dans ces tunnels. Ces images, bien que controversées, soulignent l’ampleur des ressources que le Hamas parvient à mobiliser. Mais à quel prix ? Les frappes visant ces tunnels ont coûté la vie à de nombreux responsables financiers, rendant chaque opération encore plus périlleuse.
Un symbole de résilience ou de désespoir ?
En continuant à payer ses fonctionnaires, le Hamas envoie un message clair : il reste debout, même sous les bombes. Mais à y regarder de plus près, cette résilience a un goût amer. Les salaires, souvent versés avec des mois de retard, ne suffisent pas à contrer la catastrophe humanitaire qui frappe Gaza. Les fonctionnaires, pris entre la peur des frappes et la nécessité de nourrir leurs familles, vivent dans une tension constante.
Je me demande parfois ce que ces hommes et ces femmes ressentent en recevant ces SMS codés. Est-ce un soulagement, ou une nouvelle source d’angoisse ? Pour beaucoup, c’est un mélange des deux. Comme le résume un employé :
Chaque fois que je vais chercher mon salaire, je me dis que c’est peut-être la dernière fois. Mais je n’ai pas le choix, il faut continuer.
– Employé anonyme
Ce système, aussi ingénieux soit-il, repose sur un équilibre précaire. Combien de temps le Hamas pourra-t-il maintenir cette façade d’administration fonctionnelle ? Les ressources s’épuisent, les tunnels se ferment, et la pression internationale s’intensifie.
Quel avenir pour les fonctionnaires de Gaza ?
À long terme, la situation semble intenable. Sans une reprise de l’aide internationale ou une levée du blocus, les fonds du Hamas risquent de s’épuiser. Les fonctionnaires, déjà à bout, pourraient se retrouver sans rien. Pourtant, certains observateurs estiment que le mouvement a encore des cartes à jouer, notamment grâce à ses réseaux internationaux et à sa capacité à s’adapter.
- Reprise de l’aide étrangère : Une stabilisation politique pourrait rouvrir les vannes financières.
- Renforcement des tunnels : Malgré les destructions, de nouveaux passages pourraient être creusés.
- Diversification des revenus : Le Hamas pourrait chercher de nouvelles sources, légales ou non.
Mais pour l’instant, les fonctionnaires de Gaza continuent de naviguer dans ce système chaotique, où chaque shekel est un pari sur la survie. Leur résilience, comme celle du Hamas, est à la fois admirable et tragique. Car au final, c’est toute une population qui paie le prix d’un conflit sans fin.
En observant cette situation, je ne peux m’empêcher de penser à la force de l’humain face à l’adversité. Ces fonctionnaires, malgré la peur et l’incertitude, continuent d’espérer un avenir meilleur. Mais jusqu’à quand ? La réponse, comme souvent dans ce conflit, reste suspendue dans les décombres de Gaza.
