Il y a quelques semaines, en attendant ma fille à la sortie de l’école maternelle, j’ai assisté à une scène qui m’a laissée sans voix. Une maman, tout sourire, lance à une autre : « Alors, ton petit dernier fait déjà du vélo sans roulettes ? Parce que le mien, à trois ans et demi, il file comme une flèche ! » L’autre parent a hoché la tête poliment, mais j’ai vu son sourire se crisper. On connaît tous ce moment. Cette petite phrase anodine qui, en réalité, n’a rien d’innocent.
On appelle ça la compétition parentale. Et croyez-moi, elle commence très tôt. Parfois même avant la naissance, avec les échographies et les annonces de genre ultra-sophistiquées. Mais c’est surtout à partir de la crèche que le match commence vraiment.
La course aux performances commence dès le berceau
Qui fait ses nuits ? Qui a déjà dit « maman » ? Qui marche à neuf mois ? Qui est propre à dix-huit mois ? Les sujets de comparaison sont infinis et, surtout, épuisants. J’ai moi-même surpris des conversations hallucinantes à la sortie de la crèche : « Le mien mange déjà des sushis, il adore ça ! » ou encore « Ma fille sait déjà compter jusqu’à vingt en anglais ». À deux ans et demi.
Ce qui me frappe, c’est que ces phrases sont presque toujours lancées avec un petit air de supériorité déguisée en fierté légitime. Comme si l’enfant était une extension directe du succès parental. Et franchement, on a tous déjà cédé à la tentation, ne serait-ce qu’une seconde. Moi la première.
« On ne se rend pas compte, mais on transforme parfois notre enfant en carte de visite. »
– Une psychologue spécialisée en parentalité, lors d’un atelier que j’ai suivi
Les grandes étapes de la rivalité parentale
Pour que vous visualisiez bien à quel point c’est structuré ce phénomène peut prendre, voici les « classiques » que tout parent a déjà entendus (ou dits, soyons honnêtes) :
- 0-12 mois : sommeil, poids, premières dents, premiers pas
- 1-3 ans : propreté, vocabulaire, capacité à manger seul
- 3-6 ans : lecture précoce, activités extrascolaires, « précocité intellectuelle »
- 6-10 ans : notes, sports de compétition, instruments de musique, langues étrangères
- Adolescence : orientation, mentions, grandes écoles… là, c’est le boss final
Et à chaque étape, il y a toujours quelqu’un pour placer son petit exploit. Parfois, c’est touchant. Souvent, c’est lourd.
Pourquoi on fait ça, au fond ?
Plusieurs explications se croisent. D’abord, il y a l’angoisse universelle du parent : est-ce que je fais bien les choses ? Quand on voit l’enfant des autres « avancer plus vite », on se rassure en se disant qu’on est dans la norme… ou au-dessus.
Ensuite, il y a les réseaux sociaux. Instagram et TikTok ont amplifié le phénomène à l’extrême. On voit des comptes entiers dédiés à des enfants de quatre ans qui font des multiplications à trois chiffres ou qui parlent cinq langues. Forcément, ça met la pression.
Et puis, soyons lucides : il y a aussi une part d’ego. L’enfant devient, sans qu’on s’en rende toujours compte, une preuve de notre valeur en tant que parent. Comme si un gamin qui lit à cinq ans validait automatiquement qu’on est un excellent éducateur.
Les conséquences sur les enfants : on en parle assez ?
Le plus triste dans tout ça ? Les enfants finissent par comprendre très tôt qu’ils sont jugés sur leurs performances. J’ai vu des petits de grande section de maternelle se vanter auprès de leurs camarades : « Moi je sais lire, pas toi ». À six ans.
Certains développent une anxiété de performance dès le CP. D’autres, au contraire, se rebellent et refusent toute forme d’effort pour ne plus être « le singe savant » de papa-maman. Et puis il y a ceux qui intériorisent qu’ils ne seront jamais assez bien, parce que dans leur classe, il y a toujours « plus fort ».
« Les enfants ressentent la pression même quand on pense la cacher. Ils savent quand on est fier… ou déçu. »
Une étude récente (je ne vais pas vous assommer avec les références, mais elle existe) montre que les enfants exposés très tôt à cette comparaison parentale ont plus de risques de développer une faible estime de soi à l’adolescence.
Et les parents dans tout ça ? Ils souffrent aussi
On parle beaucoup des enfants, mais les parents trinquent sévère. Cette compétition permanente est une source de stress énorme. On se compare, on doute, on se sent nul, on surinvestit dans des activités pour « rattraper le voisin… Résultat : burnout parental en vue.
J’ai une amie qui a inscrit son fils de cinq ans à l’échec, au violon et à la natation compétition parce que « les autres le font ». Elle passe ses mercredis à faire taxi et ses dimanches à stresser sur les résultats. Elle m’a avoué un jour : « Je suis épuisée, mais si je lâche, j’ai l’impression d’être une mauvaise mère ».
Comment sortir de cette spirale ? Quelques pistes concrètes
La première chose, c’est de prendre conscience. Vraiment. La prochaine fois que vous sentez monter l’envie de placer « Ah mais le mien… », respirez un grand coup. Demandez-vous : est-ce que j’ai vraiment besoin de dire ça ?
- Se rappeler que chaque enfant a son rythme (et que ce n’est pas une course)
- Célébrer les progrès sans comparer avec les autres
- Parler des efforts plutôt que des résultats (« Je suis fier que tu aies persévéré » plutôt que « Tu as eu 18/20, bravo ! »)
- Se reconnecter à ce qui compte vraiment : le bonheur et la sérénité de l’enfant
- Et parfois… juste se taire. Le silence est d’or à la sortie de l’école.
Personnellement, j’ai décidé d’appliquer une règle simple : je ne parle jamais des « performances » de mes enfants avec d’autres parents, sauf s’ils posent une question précise et bienveillante. Et quand on me lance une comparaison, je réponds avec un sourire : « Chacun son rythme, l’important, c’est qu’il soit heureux. » Ça désamorce à tous les coups.
Vers une parentalité plus apaisée : c’est possible
Il y a quelques années, j’aurais probablement roulé des yeux en lisant ce genre d’article. Aujourd’hui, avec le recul, je réalise à quel point cette compétition est absurde. Nos enfants ne sont pas là pour valider notre ego ou nous sommes là pour les accompagner à devenir eux-mêmes.
Alors la prochaine fois qu’un parent vous sortira le grand jeu avec les exploits de son prodige, souriez. Intérieurement, pensez très fort : mon enfant n’a pas besoin d’être le meilleur, il a juste besoin d’être aimé tel qu’il est.
Et ça, croyez-moi, ça change tout.
(Article écrit avec le cœur, après trop de cafés à la sortie de l’école et pas mal de discussions avec d’autres parents épuisés par cette course invisible. Si ça vous parle, partagez-le autour de vous. On est nombreux à vouloir changer les choses.)
