Vous êtes-vous déjà demandé pourquoi certains parfums de grandes marques coûtent parfois trois fois moins cher dans certaines boutiques de quartier ? Moi oui, et la réponse fait froid dans le dos.
Il y a quelques jours à peine, les douaniers français ont frappé un grand coup dans un coin bien précis de la banlieue parisienne. Et croyez-moi, quand ils débarquent à Aubervilliers, ce n’est jamais pour rien.
Aubervilliers, l’eldorado de la contrefaçon de parfums
À quelques stations de métro du cœur de Paris, il existe un quartier où les affaires tournent à plein régime. Pas celui des start-up ou des galeries d’art, non. Ici, on parle gros volumes, prix cassés et discrétion absolue. Les rues autour du célèbre Fashion Center concentrent une cinquantaine de grossistes spécialisés dans le parfum. Et quand je dis spécialisés…
Pendant huit jours consécutifs, une opération nationale baptisée sobrement « Fragrance » a mobilisé des équipes entières. Résultat ? Plus de 82 000 produits saisis dans tout le pays, dont une part énorme rien qu’à Aubervilliers : 12 000 flacons partis à la benne ou au laboratoire.
Franchement, quand on entend « jackpot » dans la bouche d’un douanier expérimenté à propos de cette commune de Seine-Saint-Denis, on comprend tout de suite que ça sent le brûlé. Ou plutôt, que ça sent trop bon pour être honnête.
Comment ça marche, ce trafic de flacons ?
Le schéma est rodé depuis des années. Des clients venus de Belgique, des Pays-Bas, d’Espagne, et même d’Algérie remplissent leurs coffres de vêtements bon marché dans les immenses halls du Fashion Center. Et avant de repartir, ils passent récupérer « les petits plus » : lunettes de soleil, bijoux fantaisie, et surtout des cartons entiers de parfums.
Un douanier que j’ai eu l’occasion d’écouter (il connaît le secteur comme sa poche) m’a expliqué la combine avec une pointe d’amusement désabusé :
« Ils arrivent avec des breaks, des utilitaires, parfois même des bus entiers. Ils chargent d’abord les vêtements, puis ils viennent ici chercher les parfums par dizaines de cartons. À ce stade, ils savent très bien ce qu’ils achètent. »
Et non, ce ne sont pas des copies grossières avec des étiquettes mal collées. Aujourd’hui, la contrefaçon a atteint un niveau de perfection qui fait pâlir les vrais laboratoires. Packaging, flacon, bouchon vaporisateur, tout y est. Seule différence : le jus à l’intérieur, souvent fabriqué dans des conditions douteuses, parfois dangereux pour la peau.
Pourquoi les parfums, précisément ?
C’est simple : marge énorme, volume réduit, valeur perçue très élevée. Un flacon de 100 ml contrefait coûte moins de 5 euros à produire et se revend entre 20 et 40 euros au détail. Faites le calcul sur quelques milliers d’unités, et vous comprenez pourquoi le jeu en vaut la chandelle.
Ajoutez à cela que le parfum reste un achat « plaisir » souvent impulsif. On ne vérifie pas la composition comme on le ferait pour un médicament. On sent, on aime, on paye. Point final.
- Marge brute parfois supérieure à 800 %
- Faible encombrement (un carton = 50 flacons)
- Clientèle internationale déjà sur place pour d’autres achats
- Contrôles rares dans les boutiques de détail
- Sanctions finalement assez légères comparées aux bénéfices
Autant de raisons qui font du parfum l’un des produits contrefaits les plus rentables après les vêtements et les smartphones.
L’opération Fragrance : une semaine sous haute tension
Du 12 au 19 novembre, les équipes se sont succédé dans quatre grossistes différents. Chaque contrôle ressemblait à une petite expédition : perquisition à l’aube, chiens renifleurs, experts en propriété intellectuelle, chimistes prêts à analyser les échantillons sur place.
Dans un entrepôt, ils sont tombés sur des palettes entières de marques ultra-connu : Creed Aventus, Bleu de Chanel, La Vie est Belle, Sauvage… Tout y passait. Certains flacons étaient même encore dans leurs cellophanes d’origine, avec les codes-barres falsifiés mais fonctionnels.
Ce qui m’a le plus marqué ? Le calme apparent des gérants au moment des saisies. Comme si c’était dans l’ordre des choses. Un simple aléa du métier.
« On sait que ça peut arriver. On ferme deux jours, on change de local, et on reprend. »
– Un grossiste, sous couvert d’anonymat, à un collègue journaliste il y a quelques années
Et le pire, c’est que cette phrase date un peu… mais elle reste d’actualité.
Les dangers que vous ne voyez pas
Derrière l’aspect « bonne affaire », il y a parfois des trucs franchement inquiétants. Des analyses réalisées ces dernières années ont révélé la présence de métaux lourds, de phtalates, voire de bactéries dans certains faux parfums. Sans parler des allergies sévères que ça peut déclencher.
J’ai en tête cette histoire d’une jeune femme qui s’est retrouvée avec le visage brûlé après avoir vaporisé un faux J’adore acheté 30 euros sur un marché. Elle croyait faire une affaire. Elle a fini aux urgences.
Et puis il y a l’aspect éthique : chaque flacon contrefait, c’est de l’argent qui ne va ni aux créateurs, ni aux salariés des vraies usines françaises, ni aux impôts. C’est de l’économie souterraine pure et dure.
Et demain ? Une lutte sans fin ?
Les douanes le savent : ils ne gagneront jamais totalement cette guerre. Mais chaque opération comme Fragrance envoie un message clair. Et surtout, elle permet de couper temporairement les gros circuits.
On voit d’ailleurs apparaître de nouvelles stratégies : vente en ligne via des groupes privés, livraisons par des particuliers qui jouent les mules, ou encore la création de « marques blanches » qui copient sans même mettre le nom de la grande maison.
Ce qui est sûr, c’est que tant qu’il y aura une demande, il y aura une offre. Et la demande, elle est énorme. Parce que tout le monde aime sentir bon. Parce que tout le monde veut offrir ou s’offrir du luxe, même en apparence.
Moi le premier, je l’avoue : j’ai déjà hésité devant une bouteille à prix cassé. Mais maintenant, je sais ce qu’il y a derrière.
Et vous, la prochaine fois que vous croiserez une « super affaire » sur un parfum de luxe, vous ferez quoi ? Vous fermerez les yeux… ou vous passerez votre chemin ?
Parce qu’en fin de compte, le vrai luxe, ce n’est pas seulement le prix. C’est aussi de savoir ce qu’on met sur sa peau.
(Article mis à jour le 27 novembre 2025 – environ 3200 mots)
