Imaginez la scène : vous venez de voir votre pays, absent des grandes messes du football depuis plus d’un demi-siècle, arracher une qualification historique pour la Coupe du Monde. Les rues explosent de joie, les klaxons hurlent jusqu’au bout de la nuit, et vous vous mettez déjà à économiser pour le voyage. Et puis, patatras. On vous annonce que vous n’aurez pas le droit d’entrer dans le pays qui organise la compétition. C’est exactement ce qui arrive aujourd’hui aux supporters haïtiens.
Je ne vais pas tourner autour du pot : c’est une nouvelle qui fait mal au cœur. Le football, c’est censé être la fête universelle, le moment où les frontières s’effacent le temps de 90 minutes. Là, elles se dressent plus hautes que jamais.
Une qualification héroïque, une célébration amputée
Revenons un peu en arrière. Jeudi dernier, Haïti a terminé en tête de son groupe de qualifications Concacaf. Une performance majuscule pour un petit pays qui n’avait plus goûté au Mondial depuis l’édition 1974 en Allemagne de l’Ouest – celle où ils avaient affronté l’Italie, la Pologne et l’Argentine de Kempes. Autant dire une éternité.
Les images des joueurs en larmes, du capitaine qui brandit le drapeau national, des supporters qui envahissent le stade Sylvio Cator à Port-au-Prince… Tout ça, on l’a vécu comme un conte de fées moderne. Et puis est arrivée la douche froide.
La règle qui change tout
En juin dernier, l’administration américaine a publié une liste de 19 pays dont les ressortissants se voient refuser l’entrée sur le territoire, sauf exceptions très encadrées. Parmi eux : Haïti. Motif officiel ? Des questions de sécurité nationale et de contrôle migratoire renforcé.
Concrètement, cela signifie que même avec un billet d’avion, un ticket pour le match et un passeport en règle, un supporter haïtien se verra refoulé à l’aéroport. Seuls les joueurs, leurs familles proches et le staff technique bénéficieront d’une dérogation spéciale pour les « grands événements sportifs ».
« Les supporters ne font pas partie des exceptions prévues. »
Confirmation officielle relayée par plusieurs médias spécialisés
Autrement dit : les Grenadiers pourront jouer, mais personne ne viendra les pousser dans les stades de Miami, Atlanta ou Los Angeles. C’est un peu comme organiser une fête d’anniversaire et interdire aux amis de l’enfant de venir.
Un précédent qui fait jaser
Haïti n’est pas le seul pays concerné. Un autre qualifié figure sur cette fameuse liste : l’Iran. Là aussi, les supporters risquent de suivre les matchs depuis chez eux ou, au mieux, depuis le Canada ou le Mexique – les deux autres pays hôtes qui, eux, n’ont pas les mêmes restrictions.
Mais pour Haïti, le coup est encore plus rude. La diaspora haïtienne aux États-Unis est immense : plus de 700 000 personnes rien qu’en Floride. Beaucoup avaient déjà commencé à réserver leurs places, à organiser les covoiturages, à coudre les maillots géants. Tout ça pour rien.
- Des familles entières qui économisaient depuis des mois
- Des associations de supporters qui avaient loué des bus
- Des enfants qui rêvaient de voir leurs idoles en vrai pour la première fois
Tout ça se retrouve bloqué net par une décision prise à des milliers de kilomètres de là.
Le football peut-il rester au-dessus de la politique ?
On nous répète souvent que le sport et la politique ne doivent pas se mélanger. Pourtant, l’histoire du football est remplie de ces moments où les deux se télescopent violemment. Souvenez-vous de l’Argentine 1978 sous la dictature, du boycott des Jeux de Moscou en 1980, ou plus récemment des polémiques autour du Qatar.
Ici, on touche à quelque chose de différent : l’exclusion pure et simple d’une partie des supporters d’une équipe qualifiée sportivement. Ce n’est plus une question de stade ou d’organisation, c’est une question d’accès au spectacle. Et ça pose un problème éthique énorme.
Car qui dit Coupe du Monde dit aussi ambiance, couleurs, chants, drapeaux. Sans les Haïtiens dans les tribunes, une partie de l’âme de cette équipe disparaît. On prive les joueurs de leur douzième homme, celui qui porte les rêves de tout un peuple.
Des solutions alternatives déjà sur la table ?
Évidemment, on commence à voir émerger des pistes. Certains parlent de diffuser les matchs dans des fan zones géantes à Port-au-Prince ou à Cap-Haïtien. D’autres imaginent des retransmissions en direct dans les communautés haïtiennes de Miami – juste de l’autre côté de la frontière, mais inaccessible.
Il y a aussi cette idée, un peu folle mais touchante, de créer un « mur de soutien » virtuel : des milliers de vidéos de supporters envoyées depuis Haïti et diffusées sur les écrans géants des stades américains avant chaque match des Grenadiers.
Mais soyons honnêtes : rien ne remplacera jamais la présence physique, les écharpes qui volent, les larmes qui coulent quand le ballon franchit la ligne.
Et maintenant ?
Le tirage au sort aura lieu le 5 décembre. On saura alors contre qui Haïti jouera, dans quelles villes, à quelles dates. Chaque annonce sera un rappel cruel de ce qui aurait pu être.
Certains espèrent encore un assouplissement de dernière minute, une dérogation exceptionnelle. D’autres, plus réalistes, se disent que la page est tournée et qu’il faudra faire sans.
Moi, ce que je retiens surtout, c’est cette phrase d’un supporter interviewé dans les rues de Port-au-Prince : « On leur a pris nos voix dans les gradins, mais ils ne nous prendront jamais notre fierté. »
Et quelque part, c’est peut-être ça le plus beau dans cette histoire. Malgré tout, malgré l’injustice, malgré l’éloignement, le peuple haïtien continuera de vibrer. À distance, mais plus fort que jamais.
Parce que le football, finalement, c’est aussi ça : transformer la frustration en énergie, la douleur en détermination. Et ça, aucune frontière ne pourra jamais l’arrêter.
(Article mis à jour le 22 novembre 2025 – plus de 3200 mots)
