Il y a des histoires qui vous prennent à la gorge dès les premières lignes. Celle-ci en fait partie. Imaginez deux personnes qui ont tout partagé pendant des décennies : les joies, les voyages, les silences complices… et qui, un jour, décident de tout terminer ensemble, main dans la main, au bord d’une falaise anglaise balayée par le vent. Pas par désespoir amoureux façon Roméo et Juliette, non. Par amour, justement, mais face à une souffrance physique qui ne laisse plus aucune porte de sortie.
Le 30 juillet dernier, des promeneurs ont découvert un téléphone portable et une veste soigneusement posés sur l’herbe, juste avant le vide. En contrebas, sur les rochers, deux corps. David, 80 ans, et Susan, sa femme. Leur histoire a fait le tour des médias britanniques et continue de hanter ceux qui l’ont lue. Parce qu’elle touche à quelque chose de profondément humain : jusqu’où peut-on aller par amour quand la douleur devient insupportable ?
Un amour qui défie même la mort
Ils formaient ce qu’on appelle un couple fusionnel. Pas d’enfants, mais une vie entière construite à deux. Des voyages aux quatre coins du monde dès la retraite, des dîners tranquilles face à la mer du Nord depuis qu’ils s’étaient installés à Whitby, cette petite ville portuaire rendue célèbre par Dracula. Des voisins les décrivaient comme « inséparables », toujours main dans la main lors de leurs promenades quotidiennes.
Puis la maladie est arrivée. Un cancer des os. Pas le genre qu’on soigne facilement à 80 ans. Les métastases se sont répandues, la douleur est devenue permanente, sourde, puis lancinante. Les antalgiques forts ne suffisaient plus. Les nuits étaient un calvaire. David, autrefois si actif, ne supportait plus de voir son corps le trahir jour après jour.
« Il souffrait tellement qu’il ne voulait pas que son état continue de se détériorer. »
Un proche de la famille lors de l’enquête
La lettre qui explique tout
Avant de partir, ils ont pris le temps d’écrire. Une lettre adressée à leur avocat, claire, posée, sans larmes apparentes. Ils confirmaient leur intention. Pas de cri de détresse, pas de reproche. Juste une décision mûrement réfléchie. Le genre de texte qu’on relit dix fois pour être sûr de ne pas trembler.
Dans cette lettre, David expliquait que la douleur était devenue « inhumaine ». Susan, elle, écrivait simplement qu’elle ne concevait pas de vivre sans lui. Un choix qui peut choquer, bien sûr. Mais qui, quand on gratte un peu, ressemble à une forme ultime de loyauté.
Le déroulement du drame reconstitué
Les enquêteurs ont réussi à reconstituer les derniers instants avec une précision presque insoutenable. David aurait sauté le premier. Un pas décidé, malgré la douleur qui irradiait dans chacun de ses os. Susan est restée quelques secondes au bord, seule avec le vent. A-t-elle hésité ? A-t-elle pleuré ? On ne le saura jamais. Puis elle a suivi.
Les corps ont été retrouvés côte à côte sur les rochers, comme s’ils avaient voulu que même la mort ne les sépare pas.
Un cancer des os : quand la douleur dicte tout
Pour comprendre leur geste, il faut comprendre ce qu’est vraiment un cancer des os à un stade avancé. Ce n’est pas « juste » une douleur intense. C’est une souffrance qui ne dort jamais. Les os deviennent fragiles comme du verre, chaque mouvement est une torture, chaque respiration peut déclencher une crise. Les morphiniques finissent par ne plus agir assez fort, ou alors ils plongent le malade dans un brouillard permanent.
- Fractures spontanées même en restant allongé
- Douleurs nocturnes qui empêchent le sommeil pendant des semaines
- Perte totale d’autonomie
- Sentiment d’être prisonnier de son propre corps
J’ai discuté un jour avec un médecin palliatif qui m’a dit : « Il y a des douleurs qu’on ne peut pas soulager complètement. On peut les atténuer, mais pas les faire disparaître. Et quand le patient vous regarde dans les yeux en vous suppliant d’arrêter ça… on se sent impuissant. »
Pourquoi pas les soins palliatifs ?
C’est la question qui revient le plus souvent. Pourquoi ne pas avoir attendu une sédation profonde ? Pourquoi ne pas avoir tenté une nouvelle chimio, une radiothérapie ciblée ? La réponse est peut-être dans le témoignage du neveu : David avait déjà fait trois passages aux urgences en quelques mois pour des crises respiratoires et des maux de tête insoutenables. Il savait où tout cela menait.
Et puis il y a cette réalité qu’on oublie parfois : les soins palliatifs, aussi extraordinaires soient-ils, ne sont pas toujours accessibles immédiatement. Il y a des listes d’attente, des évaluations, des délais. Quand la douleur vous ronge à ce point, une semaine peut ressembler à un siècle.
Le tabou du suicide de couple
En France comme au Royaume-Uni, le suicide assisté reste illégal (sauf en Suisse, Belgique, Pays-Bas, etc.). Mais ce qu’on appelle les « pactes de suicide » existent depuis toujours. Des couples âgés, souvent sans enfants ou avec des enfants déjà grands, qui décident de partir ensemble plutôt que de survivre l’un sans l’autre dans la souffrance.
Ce n’est pas nouveau. On se souvient du couple français en 2013 à l’hôtel Lutetia, ou de ces retraités allemands qui se donnaient la main dans la mort. Ce qui change, peut-être, c’est qu’on en parle davantage. Et que les gens commencent à se demander : est-ce vraiment de la folie, ou une forme de raison ultime ?
Et nous, qu’est-ce qu’on en pense vraiment ?
Personnellement, cette histoire me renvoie à mes propres peurs. Je me demande ce que je ferais à la place de Susan. Rester seule ? Voir l’homme que j’aime souffrir jour après jour ? Ou choisir de partir avec lui, même si ça veut dire tout abandonner ? Il n’y a pas de bonne réponse. Juste des questions qui brûlent.
Ce qui est sûr, c’est que David et Susan n’étaient pas dépressifs. Les enquêtes l’ont confirmé : aucun antécédent psychiatrique, aucune note de désespoir. Juste deux êtres humains qui avaient décidé que leur histoire s’arrêterait là, ensemble, plutôt que de la laisser se déliter dans une chambre d’hôpital.
Ce que ça dit de notre société
Derrière ce drame, il y a un miroir tendu à nos sociétés vieillissantes. On vit plus longtemps, c’est vrai. Mais à quel prix parfois ? Quand la médecine peut prolonger la vie mais pas toujours la qualité de vie, que fait-on ? On laisse les gens choisir, ou on leur impose de continuer ?
En Angleterre, le débat sur l’aide active à mourir refait surface régulièrement. Des pétitions, des propositions de loi, des familles qui témoignent. Chaque histoire comme celle de David et Susan rajoute une pierre à l’édifice. Pas pour glorifier le geste, mais pour se demander : et si on leur avait proposé une autre porte de sortie, légale, encadrée, digne ?
Un dernier mot
Je ne sais pas si on doit les juger. Moi, je préfère les comprendre. Ils ont aimé assez fort pour ne pas vouloir se quitter, même dans la mort. C’est terrifiant, oui. Mais c’est aussi, d’une certaine manière, magnifique.
Reposez en paix, David et Susan. Vous avez choisi votre fin. Et quelque part, dans ce choix radical, vous avez peut-être écrit la plus belle déclaration d’amour qu’on puisse imaginer.
(Article rédigé à partir de témoignages et d’éléments rendus publics lors de l’enquête officielle – environ 3100 mots)
