Il y a des métiers dont on parle peu, et puis un jour, un événement les remet sous les projecteurs. La réouverture d’une grande cathédrale ravagée par les flammes a soudain braqué les caméras sur eux. Et là, surprise : ces artisans qui posent le zinc et sculptent les toitures depuis des générations sont devenus des stars malgré eux. Résultat ? Tout le monde veut maintenant le même toit sur sa maison, et les entreprises n’arrivent plus à suivre.
Moi qui ai passé des années à observer le marché du travail, je peux vous le dire : rarement un métier manuel n’a connu un tel regain d’intérêt. On cherche aujourd’hui plusieurs centaines de couvreurs rien que sur le territoire français, et les offres pleuvent. Alors oui, il faut aimer les hauteurs, mais franchement, quand on voit la liberté et la fierté qui vont avec… ça fait réfléchir.
Le couvreur-zingueur, ce héros discret des toits
Avant toute chose, clarifions : un couvreur-zingueur, ce n’est pas juste quelqu’un qui pose des tuiles quand il pleut. C’est un spécialiste capable de travailler le zinc, l’ardoise, le cuivre, parfois même le plomb ou l’inox. Un artisan qui donne leur personnalité aux villes, surtout à Paris où les toits en zinc font partie du paysage comme les boulangeries ou les cafés.
Et depuis peu, ce savoir-faire ancestral a reçu la plus belle des reconnaissances possibles : il figure désormais sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’humanité. Autant dire que le métier vient de passer du statut d’ouvrier anonyme à celui d’ambassadeur d’un art français plusieurs fois centenaire.
Pourquoi autant de postes à pourvoir ?
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Les organismes publics qui centralisent les offres d’emploi enregistrent chaque année près de six cents annonces rien que pour les couvreurs qualifiés. Et ce n’est pas près de s’arrêter.
Plusieurs raisons à cela :
- Le boom de la rénovation énergétique : beaucoup de particuliers et de copropriétés refont leur toiture pour isoler mieux et payer moins de chauffage.
- Les chantiers exceptionnels (pensez aux monuments historiques) qui mobilisent des équipes entières pendant des années.
- Le départ en retraite d’une génération entière formée dans les années 80-90, sans assez de jeunes pour prendre le relais.
- La mode du zinc dans la construction neuve, même en province.
Résultat des courses : les entreprises se battent pour recruter. Certaines acceptent même des profils en reconversion totale, à condition qu’ils soient motivés et solides physiquement.
Un quotidien loin des bureaux ouverts
Ce qui frappe quand on discute avec ceux qui font ce métier depuis vingt ou trente ans, c’est cette sensation de liberté. Dès que les échafaudages sont posés, ils sont seuls là-haut. Pas de manager qui passe toutes les cinq minutes, pas de réunions interminables. Juste le ciel, le vent, et le plaisir de voir le chantier avancer sous ses mains.
Ils forment une vraie famille. Ils ont leur langage, leurs blagues, leurs gestes qui ne s’apprennent pas en deux jours. Et surtout, ils sont indépendants des autres corps de métier une fois sur le toit. C’est précieux pour la sécurité.
– Un responsable d’entreprise parisienne spécialisée depuis plus de cent ans
Car oui, la sécurité reste le point noir qu’on ne peut pas ignorer. Travailler en hauteur demande une rigueur absolue. Harnais, lignes de vie, chaussures antidécapantes… tout est codifié. Mais paradoxalement, les couvreurs expérimentés vous diront qu’ils se sentent plus en danger dans la circulation que sur un toit bien équipé.
Combien gagne-t-on vraiment ?
Allons droit au but : non, ce n’est pas un métier où l’on devient millionnaire. Mais oui, on vit très correctement, surtout après quelques années d’expérience.
Un débutant sorti de CAP touche autour du SMIC les premiers mois, le temps de se former sur le terrain. Ensuite, ça grimpe vite :
- Après 3-4 ans : entre 2 200 et 2 800 € net selon la région et les primes.
- Chef d’équipe ou compagnon confirmé : 3 000 à 3 800 € net, parfois plus avec les déplacements.
- Artisan à son compte : le ciel est la limite, certains facturent 50 à 70 € de l’heure.
Ajoutez à cela les avantages classiques du bâtiment : paniers, indemnités de déplacement, primes de hauteur, mutuelle solide… et vous comprenez pourquoi beaucoup ne voudraient échanger leur place pour rien au monde.
Quelle formation pour se lancer ?
La bonne nouvelle, c’est qu’on n’a pas besoin d’un bac +12. Le chemin classique reste le CAP couvreur en deux ans après la troisième, éventuellement complété par un brevet professionnel ou une mention complémentaire zingueur.
Mais la réalité du terrain a changé. Aujourd’hui, les centres de formation pour adultes débordent de trentenaires ou quarantenaires en reconversion. Et les entreprises jouent le jeu : elles financent souvent la formation en échange d’un engagement de quelques années.
Ce que demandent vraiment les patrons ? De la motivation, un minimum de condition physique et l’envie d’apprendre un vrai métier. Le reste, ils vous l’enseignent sur le tas. Et croyez-moi, il n’y a pas mieux que l’expérience directe pour maîtriser l’art de souder une noue ou de poser un entourage de cheminée.
Et les femmes dans tout ça ?
Oui, le métier reste très masculin. Mais les choses bougent. On croise de plus en plus de jeunes femmes sur les chantiers, souvent issues de formations en alternance. Elles apportent une rigueur et une finesse qui font parfois défaut aux équipes 100 % masculines. Et les retours sont unanimes : une fois la légitimité prouvée (ce qui prend parfois quelques semaines), elles sont traitées exactement comme les autres.
Les défis du métier (parce qu’il en faut)
Soyons honnêtes deux minutes. Ce n’est pas tous les jours la promenade de santé.
Il y a les intempéries : travailler sous la pluie ou par moins dix degrés, ça arrive. Il y a la condition physique à entretenir : porter 25 kg de zinc sur une échelle, ce n’est pas donné à tout le monde à 55 ans. Il y a aussi la peur du vide pour certains (même si, curieusement, elle disparaît souvent après quelques mois).
Mais quand je demande aux couvreurs s’ils changeraient de voie, la réponse fuse presque toujours : jamais de la vie.
Un avenir plutôt radieux
Avec les objectifs de rénovation énergétique fixés par l’État, avec les centres-villes qui veulent garder leur cachet, avec les particuliers qui redécouvrent le plaisir d’un vrai toit en zinc bien posé, le téléphone des entreprises ne risque pas de s’arrêter de sonner.
Et puis il y a cette fierté nouvelle. Porter le titre de détenteur d’un savoir-faire classé à l’Unesco, ça change le regard qu’on porte sur son propre travail. Fini l’époque où l’on disait « je suis juste couvreur ». Aujourd’hui, on est gardien d’un patrimoine vivant.
Alors oui, il faudra se lever tôt, oui il faudra accepter de bosser dehors par tous les temps, oui il faudra apprendre à manier le fer à souder comme un virtuose. Mais en échange, vous aurez un métier qui a du sens, qui manque cruellement de bras, et qui vous laissera chaque soir le sentiment d’avoir construit quelque chose de tangible.
Personnellement, quand je vois le nombre de jeunes (et moins jeunes) qui galèrent à trouver leur voie dans des jobs sans âme, je me dis que regarder du côté des toits pourrait bien être la solution qu’ils n’osent pas imaginer.
Après tout, comme le disent les anciens : « Quand on est sur le toit, on est plus près du ciel que les autres. » Et parfois, c’est exactement ce qu’il nous faut.
