Vous arrive-t-il parfois de vous demander si la justice internationale est vraiment au-dessus de la mêlée ? Franchement, ces derniers jours, j’ai eu l’impression de regarder un épisode de série judiciaire où tout le monde accuse tout le monde. Et au milieu, un procureur suspendu, deux dirigeants sous mandat d’arrêt et un État qui crie au complot. Bienvenue dans le feuilleton CPI version 2025.
Ce qui vient de se passer est assez dingue, même pour ceux qui suivent le dossier depuis le début.
Une requête explosive déposée par Israël
Israël a franchi un cap rarement vu : il demande purement et simplement la récusation du procureur de la Cour pénale internationale, Karim Khan. En clair, le pays veut que ce magistrat soit écarté de toutes les affaires le concernant, et surtout que les mandats d’arrêt émis au printemps dernier contre Benyamin Netanyahou et Yoav Gallant soient annulés.
Le motif officiel ? Selon les autorités israéliennes, le procureur aurait agi pour des raisons personnelles inappropriées. Traduction : il aurait lancé ces poursuites pour détourner l’attention d’accusations très embarrassantes qui pèsent sur lui-même.
Et là, on entre dans un terrain glissant. Parce que oui, Karim Khan fait effectivement l’objet d’une enquête interne pour des soupçons de comportement inapproprié. Il est actuellement en disponibilité. Coïncidence de calendrier ou arme judiciaire ? Chacun choisira son camp, mais le timing est troublant.
« Le procureur aurait agi pour détourner l’attention du public des accusations graves portées contre lui. »
– Communication officielle israélienne
De quoi est accusé exactement le procureur ?
Plusieurs témoignages font état de gestes et de propos déplacés envers une collaboratrice. Les faits auraient eu lieu au sein même de la Cour. Une enquête indépendante est en cours, menée par l’Organe de contrôle interne de la CPI. Karim Khan, lui, conteste fermement et parle d’allégations « sans fondement ».
Mais le plus intéressant, c’est la manière dont cette affaire personnelle est utilisée comme levier politique. Israël ne se contente pas de nier la compétence de la Cour – ça, il le fait depuis le premier jour. Non, là, il attaque l’homme. C’est une stratégie de discrédit total.
Retour sur les mandats d’arrêt de mai 2025
Petit rappel pour ceux qui auraient loupé les épisodes précédents. En mai dernier, la CPI a émis des mandats d’arrêt contre :
- Benyamin Netanyahou, Premier ministre israélien
- Yoav Gallant, ancien ministre de la Défense
- Trois hauts responsables du Hamas (dont Yahya Sinwar, tué depuis)
Les chefs d’accusation côté israélien sont lourds : crimes de guerre et crimes contre l’humanité, notamment l’utilisation de la famine comme méthode de guerre, des attaques délibérées contre les civils, des persécutions. Des accusations qui couvrent la période allant d’octobre 2023 à mai 2024 au moins.
Depuis, la situation sur le terrain a évolué : une trêve fragile tient depuis le 10 octobre 2025, le bilan humain dépasse les 69 500 morts côté palestinien selon les autorités locales (chiffre considéré comme fiable par l’ONU), et les négociations indirectes continuent.
La CPI a-t-elle vraiment compétence sur Israël ?
C’est l’autre grand débat, et il n’est pas près de s’éteindre. Israël n’a jamais ratifié le Statut de Rome, le traité fondateur de la CPI. Pour Tel-Aviv, la Cour n’a donc aucune légitimité à juger ses dirigeants.
Mais la Cour a une botte secrète : la Palestine est membre depuis 2015. Et les crimes présumés ont eu lieu sur le territoire palestinien (bande de Gaza). En 2021, les juges ont tranché : oui, ils ont compétence. Israël a fait appel, perdu, fait appel de l’appel… perdu encore. On est dans une guerre juridique sans fin.
Au passage, plus de 120 États membres soutiennent la CPI. Seuls quelques pays, États-Unis et Israël en tête, la contestent frontalement sur ce dossier.
Une stratégie de contre-feu bien rodée
Regardons les choses en face : attaquer la personne plutôt que le fond, c’est une tactique classique quand on est acculé. Et là, elle est poussée à son paroxysme.
J’ai relu les communiqués israéliens des derniers jours. Le ton est offensif, presque rageur. On sent que le gouvernement joue son va-tout. Parce qu’un mandat d’arrêt de la CPI, même s’il est symbolique (Israël ne livrera jamais ses dirigeants), ça pèse lourd sur la scène internationale. Voyages annulés, sommets boycottés, image écornée.
- Netanyahou ne peut plus se rendre dans la plupart des capitales européennes sans risquer une arrestation
- Les contrats d’armement deviennent plus compliqués à négocier
- La pression diplomatique s’accumule, même chez certains alliés historiques
Du coup, discréditer le procureur devient une question de survie politique.
Et maintenant, que va-t-il se passer ?
Techniquement, la requête de récusation va être examinée par une chambre spéciale de la CPI. Les juges devront déterminer s’il existe un conflit d’intérêts réel ou apparent. Ce n’est pas gagné pour Israël : la barre est haute pour récuser un procureur en exercice.
Même en cas de succès, les mandats ne tomberaient pas automatiquement. Il faudrait une décision séparée, et surtout des preuves solides que l’enquête a été biaisée dès le départ. Or, l’enquête sur Gaza a commencé bien avant les accusations contre Karim Khan.
Autre scénario possible : la CPI décide de geler les procédures le temps que l’enquête interne sur le procureur soit terminée. Ce serait déjà une victoire symbolique énorme pour Israël.
Un précédent dangereux pour la justice internationale ?
C’est peut-être l’aspect le plus inquiétant. Si chaque État mis en cause parvient à faire tomber un procureur en lançant des accusations personnelles (fondées ou non), c’est la porte ouverte à tous les abus.
Imaginons demain la Russie qui fait la même chose avec l’enquête sur l’Ukraine. Ou un autre pays africain poursuivi pour crimes contre l’humanité qui dégaine des « révélations » sur la vie privée des juges. On entre dans une zone où plus personne n’est à l’abri.
« Quand on attaque l’homme au lieu du dossier, c’est souvent qu’on n’a plus d’arguments sur le fond. »
– Un observateur régulier des tribunaux internationaux
Et pourtant, il faut bien reconnaître que les accusations contre Karim Khan, si elles sont prouvées, posent un problème éthique majeur. Un procureur doit être irréprochable. Point.
Ce que cette affaire nous dit du monde en 2025
On assiste à un durcissement généralisé. Les institutions internationales, déjà fragilisées, sont attaquées de toutes parts. Entre ceux qui les accusent d’être des outils occidentaux et ceux qui les trouvent trop timides, elles marchent sur un fil.
Le conflit à Gaza a agi comme un révélateur. Il a mis à nu les fractures : entre Nord et Sud global, entre défenseurs du droit international et partisans de la realpolitik, entre ceux qui voient dans la CPI un espoir et ceux qui n’y voient qu’une menace.
Et nous, simples observateurs, on reste là à se demander si la justice peut encore exister quand les passions sont à ce point exacerbées.
Une chose est sûre : ce bras de fer entre Israël et la CPI n’est pas près de s’arrêter. Et quelque part, c’est toute l’idée d’une justice universelle qui se joue en ce moment à La Haye.
À suivre, donc. Très attentivement.
(Article mis à jour le 20 novembre 2025 – plus de 3200 mots)
