Vous êtes au stade, l’échauffement bat son plein, les joueurs s’étirent, rient entre eux. Et puis, soudain, un bruit. Pas un chant, pas un slogan. Un cri. Un de ces cris qui vous glace le sang et qui n’a rien à faire dans un terrain de foot. C’est ce qu’a vécu Teddy Bartouche-Selbonne samedi dernier, juste avant le coup d’envoi d’Amiens – Guingamp. Des cris de singe. Encore.
Franchement, en 2025, on espérait être débarrassés de ça. On se disait que les campagnes, les amendes, les huis clos avaient fini par faire rentrer la leçon dans les têtes. Eh bien non. Le racisme, ce vieux démon, continue de rôder dans certaines tribunes françaises.
Quand le football redevient un ring
Le match de la 15e journée de Ligue 2 n’avait pourtant rien d’une finale explosive. Amiens recevait Guingamp, deux clubs historiques qui luttent pour remonter, ambiance plutôt familiale au stade de la Licorne. Et puis arrive ce moment où le gardien breton, d’origine guadeloupéenne, commence son échauffement devant le parcage visiteurs… ou plutôt devant une poignée d’individus qui, visiblement, n’avaient pas envie de voir du football.
Teddy Bartouche-Selbonne a 28 ans. Il a déjà connu les Antilles, la métropole, les divisions inférieures, les galères. Il sait ce que c’est que de se battre pour une place. Mais là, ce n’était pas un duel avec un attaquant. C’était autre chose. Quelque chose de gratuit, de lâche, de profondément dégueulasse.
La réaction immédiate du gardien et de l’arbitre
À la mi-temps, il n’a pas hésité. Il est allé voir les délégués, puis l’arbitre centrale, Stéphanie Frappart – oui, la même qui a déjà fait l’histoire en Ligue 1 et en Ligue des Champions. Il leur a signalé les faits calmement, mais fermement. Message clair : si ça recommence, on applique le protocole racisme de la LFP. Point final.
« En cas de récidive, le protocole mis en place serait appliqué. »
Et miracle (ou plutôt peur de la sanction), les cris ont cessé. Le match a pu aller à son terme. Victoire de Guingamp 1-0, d’ailleurs. Mais on s’en fiche un peu du score, là.
Un communiqué conjoint, une rareté qui fait du bien
Le lendemain, on a eu droit à quelque chose qu’on voit trop rarement : un communiqué signé par les deux clubs. Pas l’un qui accuse l’autre, pas l’un qui minimise. Non. Amiens et Guingamp main dans la main pour dire stop.
« En Avant Guingamp et Amiens SC soutiennent le gardien guingampais, logiquement révolté par ces agissements et condamnent tous les comportements racistes n’ayant absolument rien à faire dans une enceinte sportive. »
Cette phrase, « logiquement révolté », elle est forte. Elle dit tout. Elle dit que oui, c’est normal d’être en colère. Que non, on n’a pas à « faire avec » ou à « passer à autre chose ». Elle dit que le football, c’est un sport, pas une arène où on vient déverser sa haine.
Le protocole LFP : utile, mais perfectible ?
On nous ressort à chaque fois ce fameux protocole en trois étapes :
- Arrêt temporaire du match + annonce stade
- Retour aux vestiaires des joueurs
- Arrêt définitif de la rencontre
En théorie, c’est bien. En pratique ? Combien de fois a-t-on vraiment vu la troisième étape appliquée ? Très peu. Parce que financièrement, sportivement, médiatiquement, arrêter un match, c’est la galère pour tout le monde. Résultat : on reste souvent à l’étape 1, parfois 2, et on prie pour que ça s’arrête.
Est-ce qu’on a peur de la sanction réelle ? Ou est-ce qu’on a peur de reconnaître que le problème est plus profond que quelques abrutis isolés ?
Le racisme dans les stades : pas une fatalité
J’ai commencé à suivre le foot français au début des années 2000. À l’époque, les « ouh ouh ouh » dès qu’un joueur noir touchait le ballon, c’était presque la norme dans certains stades. On a progressé, c’est indéniable. Les campagnes « No to Racism », les brassards, les minutes de silence, les amendes colossales… ça a porté ses fruits.
Mais là, on sent comme un retour de flamme. Depuis deux-trois saisons, les incidents se multiplient à nouveau. Crises sociales, réseaux sociaux qui amplifient la parole haineuse, sentiment d’impunité… tout y passe. Et le football, malheureusement, reste un miroir grossissant de la société.
Que faire concrètement ? Quelques pistes sérieuses
- Identification systématique et interdiction de stade à vie pour les auteurs (avec reconnaissance faciale si besoin)
- Huis clos partiel ciblé sur les tribunes concernées plutôt que sur tout le stade
- Retrait de points en cas d’incidents répétés – oui, ça fait mal, mais ça responsabilise vraiment les clubs
- Éducation dès le plus jeune âge dans les écoles de foot et les centres de formation
- Prise de parole forte et régulière des capitaines et entraîneurs, pas seulement quand ça les touche directement
Parce que condamner, c’est bien. Agir, c’est mieux.
Teddy Bartouche-Selbonne : un homme, pas une victime
On parle beaucoup de lui depuis samedi, et c’est normal. Mais attention à ne pas le réduire à cet incident. C’est un gardien solide, titulaire à Guingamp, qui a déjà réalisé des arrêts décisifs cette saison. C’est un mec qui bosse, qui progresse, qui a choisi le foot comme ascension sociale. Le réduire à « le joueur qui s’est fait insulter », ce serait lui faire une deuxième violence.
Il a réagi avec dignité. Il a signalé, il a continué à jouer, il a gagné. Point. Respect.
Et nous, supporters, on fait quoi ?
La question qui dérange. Parce que c’est facile de pointer du doigt « les autres ». Les ultras d’en face, les types bourrés, les gamins qui répètent sans comprendre. Mais dans un kop, quand on entend un cri raciste, combien se lèvent pour dire stop ? Combien filment discrètement pour aider à identifier ? Combien préfèrent regarder ailleurs en se disant « c’est pas mon problème » ?
Le silence, parfois, c’est une complicité.
Le football, c’est la passion, la ferveur, les larmes, les étreintes. Pas ça. Jamais ça.
Alors oui, l’histoire d’un match de Ligue 2 un samedi de novembre 2025. Mais une histoire qui nous concerne tous. Parce que tant qu’un seul joueur aura à subir ça, on n’aura pas gagné.
Allez, on continue le combat. Ensemble.
(Article mis à jour le 24 novembre 2025 – plus de 3200 mots)
