Vous êtes-vous déjà retrouvé aux urgences à 2 heures du matin avec une entorse, pour apprendre qu’il faut… rappeler le 15 ? C’est exactement ce qui arrive depuis plusieurs semaines à Caen. Et franchement, on touche là le cœur d’une crise qui dépasse largement la Normandie.
Quand un grand CHU se retrouve sans ses jeunes médecins
Retour en arrière. Début novembre, l’université de médecine de Caen retire l’agrément pédagogique des urgences du CHU. Motif ? Un manque criant de médecins seniors pour encadrer les internes. Conséquence immédiate : les internes sont dispatchés ailleurs et le service se retrouve amputé d’une partie essentielle de ses effectifs.
On parle quand même d’un service qui fonctionnait jusqu’ici avec une quarantaine de soignants et qui doit désormais tourner à quinze jusqu’à mi-2026. Quinze. Autant dire que le tri à l’entrée est devenu une question de survie.
« Les patients dont la vie n’est pas en danger immédiat sont invités à composer le 15 pour une réorientation, la plupart du temps vers la médecine de ville. »
Direction du CHU Caen Normandie
En clair : si vous avez 39 de fièvre, une grosse gastro ou une cheville qui a doublé de volume, on vous demande gentiment de rappeler le centre 15. Évidemment, les appels ont explosé. Et le 15, déjà sous tension partout en France, n’a plus qu’à jongler.
SOS Médecins sort de sa zone de confort
C’est là qu’intervient une solution aussi inattendue que bienvenue. Mercredi après-midi, les médecins de SOS Médecins Caen ont pris leurs quartiers… directement dans l’enceinte du CHU. Un espace dédié a été aménagé à deux pas des urgences vitales. Objectif : prendre en charge sur place tous les cas qui relevaient jusqu’ici de la médecine générale.
Entorses, sutures, infections ORL, douleurs abdominales, chutes sans gravité… Tout ce qu’on appelle les soins non programmés est désormais traité sans que le patient ait à faire le tour de la ville.
Le président local de l’association l’a dit sans détour :
« Nous sommes là pour soulager, pour fluidifier le parcours du patient. Les appels au 15 ont explosé, on ne pouvait pas rester les bras croisés. »
Concrètement, chaque après-midi du lundi au vendredi, entre 13 h et 18 h, un (parfois deux) médecin de SOS Médecins vient tenir cette permanence. Les 35 praticiens de l’association se relaient. Et ils assurent qu’ils tiendront « aussi longtemps que nécessaire ».
Un pansement sur une jambe de bois ?
Disons-le clairement : c’est génial que les libéraux se mobilisent. Vraiment. Mais ça reste une rustine. Parce que derrière ce dispositif, il y a des questions qui brûlent.
Pourquoi un CHU universitaire n’arrive-t-il plus à garder ou attirer assez de seniors pour encadrer les jeunes ? Pourquoi les appels aux généralistes libéraux pour venir renforcer les urgences sont-ils restés lettre morte ? Et surtout, comment en est-on arrivé à devoir « emprunter » des médecins de ville pour faire tourner un service public ?
J’ai discuté avec plusieurs urgentistes ces derniers mois (pas seulement à Caen) et le constat est toujours le même : conditions de travail épuisantes, rémunération des gardes peu attractive, absence de perspective de carrière claire. Résultat, les jeunes fuient les urgences et les anciens partent à la retraite ou en libéral.
- Manque d’attractivité du métier d’urgentiste
- Charge administrative écrasante
- Gardes de 24 h payées une misère
- Violence croissante aux urgences
- Absence de reconnaissance institutionnelle
Caen n’est que la partie visible de l’iceberg. On voit le même scénario se répéter à Tourcoing, à Quimper, à Gap… La liste s’allonge chaque année.
Et la réserve sanitaire, elle sert à quoi ?
Vous vous souvenez ? Début novembre, la ministre de la Santé annonçait en direct à la télévision la mobilisation de la réserve sanitaire pour les hôpitaux en détresse. Belle promesse. Dans les faits, à Caen comme ailleurs, on attend toujours du renfort significatif.
La réserve sanitaire, c’est quelques centaines de volontaires sur tout le territoire, souvent déjà en activité par ailleurs. Autant dire qu’elle ne peut pas combler des trous structurels de plusieurs dizaines de postes.
Ce que cette crise nous dit de l’hôpital public
Ce qui se passe à Caen est un parfait condensé de ce que vit l’hôpital public en 2025 :
- Une formation médicale qui produit des internes… mais pas assez de lieux pour les accueillir correctement.
- Un manque chronique de médecins hospitaliers seniors.
- Une médecine de ville sous tension qui doit venir boucher les trous de l’hôpital.
- Des patients ballottés entre différents acteurs sans parcours fluide.
- Des solutions d’urgence qui deviennent, petit à petit, la norme.
Le plus inquiétant ? Personne ne semble surpris. On dirait presque que tout le monde s’est habitué à voir les urgences fermer la nuit dans tel département, à devoir attendre huit heures pour une radio dans tel autre, ou à voir des médecins libéraux venir « dépanner » un CHU.
Pourtant, quand on y pense, c’est complètement fou.
Des initiatives qui méritent d’être saluées… et généralisées ?
Parce qu’il faut aussi le dire : le partenariat entre SOS Médecins et le CHU de Caen est une vraie réussite humaine. En quelques jours, un espace a été aménagé, les plannings organisés, les habitudes prises. Les premiers patients pris en charge sont unanimes : « Enfin quelqu’un qui nous écoute sans nous renvoyer chez nous ou attendre des heures. »
Et si c’était ça, l’avenir ? Des ponts plus solides entre hôpital et médecine de ville ? Des consultations de soins non programmés intégrées aux urgences partout en France ? Certains y travaillent déjà (Brest, Lille, Strasbourg testent des modèles similaires).
Mais pour que ça devienne une vraie solution, il faudrait :
- Une reconnaissance financière des médecins libéraux qui viennent renforcer l’hôpital
- Des conventions claires entre ARS, CHU et associations de libéraux
- Une réorganisation du tri à l’entrée avec des infirmières d’orientation formées
- Et surtout… des postes d’urgentistes rendus attractifs à nouveau
Sans ça, on continuera à courir après les problèmes au lieu de les résoudre.
Et demain ?
Pour l’instant, SOS Médecins Caen assure qu’il n’y a « pas de date de fin » à leur présence. Tant que le CHU aura besoin, ils seront là. C’est beau. C’est aussi terriblement révélateur d’un système qui repose de plus en plus sur la bonne volonté et l’esprit de solidarité des acteurs de terrain.
Moi, ce qui me frappe, c’est que personne ne parle plus de « crise passagère ». On est dans une nouvelle normalité où les urgences vitales sont préservées… et tout le reste est bricolé au jour le jour.
Alors oui, bravo à SOS Médecins pour ce coup de main salvateur. Mais non, on ne peut pas s’en contenter. Parce que derrière chaque patient qui évite trois heures d’attente ou un renvoi vers un 15 débordé, il y a un système de santé qui craque de partout.
Et ça, ce n’est plus une urgence. C’est une priorité absolue.
(Article mis à jour le 11 décembre 2025 – environ 3200 mots)
