Vous est-il déjà arrivé de croiser une patrouille de police et de sentir, malgré vous, un frisson vous parcourir le dos ? Pas par peur du crime, non. Par peur de ceux censés nous protéger. En Seine-Saint-Denis, ce sentiment est devenu, pour certains, une réalité brutale.
Le 12 septembre dernier, deux personnes qui ne se connaissaient ni d’Ève ni d’Adam ont vécu le même cauchemar entre les mains de membres de la CSI 93, cette unité spécialisée qui traque la délinquance dans les quartiers sensibles. Un adolescent de 15 ans et un jeune homme de 24 ans. Deux plaintes déposées coup sur coup. Et des mots qui glacent le sang : actes de torture, violences en réunion, humiliations filmées.
La CSI 93, une unité sous le feu des critiques depuis des années
Revenons un peu en arrière, parce que cette histoire ne sort pas de nulle part. Cette compagnie a déjà un passé lourd. En juin 2023, quatre de ses fonctionnaires ont été condamnés pour faux en écriture publique et violences volontaires. À l’époque, l’ancien préfet de police de Paris avait carrément annoncé sa dissolution. Promesse tenue ? Pas vraiment. L’unité a été réorganisée, placée sous tutelle parisienne, et elle continue d’opérer.
Et aujourd’hui, rebelote. La Ligue des droits de l’Homme parle carrément d’une structure « structurellement à la dérive » et demande, sans détour, son démantèlement pur et simple. Le mot est lâché. Et il pèse.
Ce qui s’est passé le 12 septembre : le récit des victimes
Commençons par le plus jeune. 15 ans. Il sort de chez lui, entend des mortiers, panique, se réfugie dans un local poubelles. Mauvais choix. Des policiers le débusquent.
Ce qui suit est difficile à lire. Une dizaine de coups de poing avec des gants coqués. Des insultes. Puis dans le fourgon, menotté : coups de matraque au visage, coups répétés avec une bombe lacrymogène métallique. Et le pire : un policier filme la scène et oblige l’adolescent à miauler comme un chat, puis à aboyer comme un chien après chaque coup.
« La volonté d’humiliation et la durée des violences » justifient la qualification d’acte de torture, selon l’avocat du mineur.
L’autre victime, 24 ans, roulait en moto. Il remarque qu’on le suit. Accélère. Un policier en moto le percute volontairement. Il tombe, perd connaissance. Reprend ses esprits dans le fourgon… et assiste, impuissant, aux violences infligées à l’adolescent à côté de lui.
Pourquoi parle-t-on de torture et pas simplement de violences ?
En droit français, la torture n’est pas qu’une question d’intensité physique. C’est aussi l’intention d’humilier, de briser psychologiquement. Forcer quelqu’un à imiter des animaux tout en le frappant et en filmant ? Beaucoup d’avocats et d’associations y voient la définition même de l’infra-délit.
Et le fait de filmer n’est pas anodin. C’est une pratique qui revient régulièrement dans les affaires de violences policières ces dernières années. Trophée ? Preuve pour se couvrir ? Les deux ? Toujours est-il que la vidéo existe, selon les plaignants, et qu’elle pourrait bien constituer une pièce centrale du dossier.
- Violences physiques graves avec armes par destination (matraque, bombe lacrymo)
- Humiliations répétées et filmées
- Victime mineure (15 ans)
- Absence apparente de motif légitime d’interpellation
Autant d’éléments qui font que l’affaire a été signalée à l’IGPN et au parquet de Bobigny dès la mi-septembre.
Un département sous tension permanente
Il faut vivre ou avoir mis les pieds en Seine-Saint-Denis pour comprendre le climat. Narcobanditisme en explosion, fusillades quasi quotidiennes, sentiment d’abandon d’une partie de la population, défiance viscérale envers la police chez certains jeunes… et parfois, malheureusement, des comportements inacceptables des deux côtés.
Mais là, on touche à un point de rupture. Quand une unité spécialisée, censée être l’élite du maintien de l’ordre dans les zones sensibles, se retrouve accusée de tels actes, c’est tout le contrat social qui vacille.
J’ai discuté avec des habitants, des éducateurs, des avocats. Beaucoup me disent la même chose : « Ça fait des années que ça dure, mais là c’est trop. » Trop visible. Trop jeune. Trop humiliant.
Réorganisation ou maquillage ?
On nous avait vendu une dissolution. On a eu un jeu de chaises musicales. L’unité a changé de nom, de rattachement hiérarchique, mais les effectifs, les méthodes, les secteurs d’intervention ? Beaucoup restent les mêmes.
Et pourtant, on sait que certaines unités développent, au fil du temps, une culture interne qui peut dériver. Pression énorme, sentiment d’impunité relatif, usure psychologique… Les ingrédients d’un cocktail dangereux.
Une compagnie « structurellement à la dérive » – Ligue des droits de l’Homme
Ce n’est pas la première fois qu’on entend cette expression. Et probablement pas la dernière si rien ne change vraiment.
Et maintenant ?
L’enquête de l’IGPN est en cours. Le parquet de Bobigny reste discret – comme souvent dans ce genre de dossiers sensibles. Mais la pression monte. Les associations sont mobilisées. Les avocats des victimes préparent déjà la suite.
La question que tout le monde se pose : va-t-on, cette fois, aller jusqu’au bout ? Ou assistera-t-on encore à une simple sanction symbolique, un ou deux fonctionnaires sacrifiés sur l’autel de l’exemplarité, pendant que l’unité continue son bonhomme de chemin ?
Parce que derrière les mots – réorganisation, tutelle renforcée, audits internes – il y a des vies abîmées. Un gamin de 15 ans qui, peut-être, ne regardera plus jamais une uniforme de la même façon. Un jeune homme qui se souviendra toute sa vie du bruit des coups à côté de lui dans le fourgon.
La police a un métier impossible. On le sait. On le répète. Mais justement : quand l’impossible devient l’inacceptable, il faut savoir trancher dans le vif.
La Seine-Saint-Denis mérite mieux que des unités gangrénées par leurs propres dérives. Ses habitants méritent mieux que de choisir entre l’insécurité des trafics et celle, parfois, de ceux qui sont censés les protéger.
Au moment où j’écris ces lignes, l’enquête suit son cours. Mais une chose est sûre : cette affaire ne disparaîtra pas dans les oubliettes. Trop de regards sont braqués. Trop de colère contenue. Trop de questions sans réponse.
Et vous, qu’en pensez-vous ? Jusqu’où peut-on tolérer que des dérives individuelles gangrènent des unités entières ? La dissolution pure et simple est-elle la seule solution ? Ou existe-t-il encore un moyen de sauver ce qui peut l’être ?
Une chose est certaine : en Seine-Saint-Denis comme ailleurs, la confiance entre police et population est un trésor fragile. Et quand on le brise, le reconstituer prend des années.
Affaire à suivre. De très près.
