Il y a des figures qu’on croit éternelles. Des hommes qui ont traversé les tempêtes politiques avec une constance presque minérale. Alain Jamet était de ceux-là. Quand la nouvelle de son décès, à 91 ans, est tombée ce vendredi 28 novembre 2025, c’est tout un pan de l’histoire de la droite nationale française qui s’est mis à vaciller doucement. Un cofondateur, un vrai. Pas un suiveur, pas un opportuniste de dernière heure : un homme présent dès la première seconde.
Je me souviens encore de la première fois où j’ai croisé son nom dans les archives. On était en 1972, l’époque sentait encore la poudre de Mai 68 et les grandes espérances déçues. Dans une petite salle parisienne, une poignée d’irréductibles décide de créer ce qui deviendra le Front national. À côté du charismatique Jean-Marie Le Pen, il y a ce parachutiste décoré, ce militant acharné originaire du Languedoc : Alain Jamet. L’aventure commence.
Un patriote forgé dans le feu de l’Histoire
Pour comprendre l’homme, il faut remonter bien avant 1972. Alain Jamet n’est pas tombé dans la politique par hasard. Ancien parachutiste, il a connu le bruit des combats pendant la guerre d’Algérie. Des faits d’armes qui lui vaudront des décorations et, surtout, une vision très claire de ce qu’il considère comme l’honneur français. Beaucoup de ceux qui l’ont côtoyé racontent cette droiture presque austère, ce refus de transiger sur les principes.
Avant même le FN, il avait déjà trempé dans le bain contestataire. Proche dans sa jeunesse du mouvement poujadiste – oui, ce Pierre Poujade qui faisait trembler la IVe République avec ses petits commerçants en colère – Jamet avait le goût de la révolte populaire. Puis il s’était rapproché de Jean-Louis Tixier-Vignancour, l’avocat flamboyant qui défendait l’Algérie française et qui, en 1965, avait osé se présenter à la présidentielle contre de Gaulle. Autant dire que le jeune Jamet n’avait pas choisi la facilité.
« Un amoureux de notre pays et un infatigable militant de la cause nationale »
– Jordan Bardella, président du Rassemblement national
1972 : la salle où tout a commencé
On oublie souvent à quel point le Front national est né dans l’indifférence générale. Quelques dizaines de personnes, des courants très différents : anciens d’Occident, nostalgiques de l’Algérie française, nationaux-catholiques, poujadistes rescapés… Alain Jamet est là, lui, l’homme du Sud, avec son accent chantant et sa détermination froide. Il croit dur comme fer que la droite traditionnelle a trahi. Qu’il faut construire autre chose.
Il ne sera jamais la star médiatique. Ça, c’est le rôle de Jean-Marie Le Pen, avec son verbe haut et son sens de la provocation. Jamet, lui, bosse dans l’ombre. Organisation, implantation locale, formation des militants. Le genre de travail ingrat mais indispensable quand on veut faire vivre un parti qu’on présente partout comme infréquentable.
L’enracinement à Montpellier : une vie d’élu local
Très vite, il choisit le terrain. L’Hérault devient son jardin. Montpellier, sa ville de combat. Quatre mandats de conseiller régional en Languedoc-Roussillon, deux fois conseiller municipal. Des scores qui grimpent doucement mais sûrement. On est loin des triomphes d’aujourd’hui, mais déjà, dans les années 80 et 90, le FN commence à exister localement.
- Élu conseiller régional pour la première fois en 1986 sur la liste de Jean-Marie Le Pen
- Réélu en 1992, 1998 et 2004
- Conseiller municipal de Montpellier à deux reprises
- Sept candidatures aux législatives – jamais élu député, mais des scores qui font grincer des dents la droite classique
Jamet incarne cette stratégie d’implantation locale que le FN mettra des décennies à maîtriser vraiment. Il connaît chaque village, chaque association, chaque patron de bar où l’on refait le monde jusqu’à pas d’heure. C’est aussi ça, le secret de la longévité du mouvement.
Le tournant Marine et la fidélité familiale
2011. Le congrès de Tours. Jean-Marie Le Pen passe la main à sa fille Marine. Beaucoup de vieux grognent, parlent de trahison, de dédiabolisation qui sent le soufre. Alain Jamet, lui, choisit sans hésiter le camp de la nouvelle présidente. Il devient premier vice-président du parti. Un symbole fort : l’un des derniers cofondateurs encore en vie valide la nouvelle ligne.
Il ne restera qu’un congrès à ce poste – il quitte la vice-présidence en 2014 – mais le message est passé. La continuité est assurée. Et puis il y a la famille : sa fille France Jamet, élue elle aussi à Montpellier puis à la région, est aujourd’hui députée européenne. Une dynastie discrète mais solide, comme il en existe plusieurs dans ce mouvement.
« Un patriote engagé, décoré pour faits d’armes pendant la guerre d’Algérie (…) qui défendait avec ardeur, courage et une ténacité exemplaires »
– Marine Le Pen
Un frère dans l’ombre de la littérature
Petit détail qui en dit long sur la diversité des parcours : Alain Jamet était le frère de Dominique Jamet, journaliste et écrivain bien connu, ancien président de la Bibliothèque de France, homme de gauche assumé. Deux frères, deux mondes. Preuve que la politique peut fracturer même les liens les plus forts, ou peut-être que la passion française pour le débat transcende tout.
Que reste-t-il d’Alain Jamet en 2025 ?
Aujourd’hui, le Rassemblement national est crédité de scores que le FN des années 70 n’aurait même pas osé rêver. Jordan Bardella préside, Marine Le Pen reste la figure tutélaire, les députés RN remplissent l’hémicycle. Et quelque part dans cette ascension, il y a la trace d’Alain Jamet. Pas la plus visible, non. Mais celle d’un homme qui a cru à l’idée quand presque personne n’y croyait.
Il y a quelque chose de poignant à voir partir ces pionniers. Ils nous rappellent que les mouvements politiques ne naissent pas d’un claquement de doigts médiatique. Ils naissent dans des salles mal chauffées, autour de tables en Formica, avec des types qui y croient assez pour y consacrer leur vie. Alain Jamet était de ceux-là.
Quand on regarde les hommages qui pleuvent – de Marine Le Pen qui parle de « courage » et de « ténacité exemplaires », de Jordan Bardella qui salue « l’infatigable militant » – on mesure le chemin parcouru. Le RN d’aujourd’hui n’est plus tout à fait le FN de 1972. Mais sans les Jamet, les Le Pen et les quelques autres qui ont tenu bon quand tout semblait perdu, il n’existerait tout simplement pas.
Alors oui, Alain Jamet s’en va. Mais il laisse derrière lui bien plus qu’un nom sur une liste de cofondateurs. Il laisse l’exemple d’une fidélité absolue à une idée. Dans un monde politique où les girouettes sont légion, ça mérite le respect, qu’on partage ou non ses combats.
Repose en paix, le parachutiste. Tu as sauté dans l’Histoire, et tu y restes.
