Imaginez la scène : une fusée Soyouz s’élance dans la nuit kazakhe, traînée de feu magnifique, tout semble parfait. L’équipage arrive à bon port sur l’ISS quelques heures plus tard. Et puis, au petit matin, les techniciens qui descendent dans la fosse de lancement découvrent l’ampleur du désastre. Ce n’est pas juste quelques éraflures. C’est une partie entière de la plateforme qui s’est effondrée dans le brasier. Et là, tout bascule.
Je suis passionné d’espace depuis toujours, et quand j’ai vu les premières photos circuler hier soir, j’ai eu un vrai pincement au cœur. Parce que ce n’est pas qu’un incident technique. C’est potentiellement la fin d’une ère pour le programme spatial habité russe.
Une rampe unique au monde vient de prendre très cher
Le site 31/6 du cosmodrome de Baïkonour, c’est un peu le dernier dinosaure encore en activité. Construit à l’époque soviétique, modernisé à la va-vite au fil des décennies, il reste aujourd’hui le seul pas de tir capable d’envoyer des Soyouz habités vers la Station spatiale internationale. Tous les autres sites historiques (Plesetsk, Vostochny) ne sont pas certifiés pour les vols avec équipage.
Et voilà qu’après le décollage du Soyouz MS-28, le 27 novembre 2025, on apprend que la plateforme mobile de service – cette énorme structure qui entoure la fusée avant le lancement – s’est en partie effondrée dans la fosse d’évacuation des flammes. Les images sont impressionnantes : des poutres tordues, des câbles pendant dans le vide, le fond de la tranchée complètement ravagé.
« Des dommages ont été détectés sur plusieurs éléments clés de la rampe. Une évaluation complète est en cours. »
Communiqué officiel russe, 28 novembre 2025
Officiellement, tout va bien, les pièces de rechange existent, ça sera réparé rapidement. Sauf que les spécialistes qui connaissent vraiment le terrain sont beaucoup plus pessimistes. Certains parlent déjà de 18 à 24 mois de travaux. Deux ans sans vol habité russe depuis Baïkonour, c’est énorme.
Pourquoi c’est si compliqué à réparer ?
Parce que ce n’est pas une simple tour de service. C’est tout un écosystème. La fosse d’évacuation des gaz doit résister à des températures infernales et à des pressions colossales. Les structures qui ont cédé sont des pièces uniques, fabriquées il y a plus de vingt ans dans des usines qui n’existent parfois plus.
- Les bras de service qui alimentent la fusée en ergols et en électricité sont tordus
- Les plateformes d’accès équipage sont partiellement détruites
- Le déflecteur de flammes est endommagé sur plusieurs mètres
- Des câbles haute tension ont fondu ou ont été arrachés
Et tout ça dans un contexte où l’industrie russe souffre cruellement des sanctions occidentales depuis 2022. Trouver des composants électroniques, des alliages spéciaux, des systèmes de contrôle… c’est devenu une vraie galère.
L’ISS sans les Progress, c’est tenable combien de temps ?
Là, on touche au cœur du problème. On a beaucoup parlé des astronautes, mais le vrai nerf de la guerre, ce sont les cargos Progress. Ces vaisseaux sans pilote décollent aussi depuis le pad 31/6 et assurent trois fonctions vitales pour la station :
- Le ravitaillement en nourriture, eau, oxygène, pièces détachées
- Les rehaussements d’orbite (l’ISS redescend naturellement de quelques kilomètres par mois)
- Le contrôle d’attitude et les corrections de trajectoire
Sans Progress réguliers, l’ISS commence à descendre dangereusement. À terme, elle pourrait devenir incontrôlable et devoir être désorbitée en urgence. On parle de mois, pas d’années.
Oui, les Américains ont Dragon et Starliner (quand ça marche), mais aucun de ces vaisseaux n’a les moteurs ni la capacité de rehausser l’orbite comme le fait Progress depuis vingt-cinq ans. C’est une dépendance russe que tout le monde avait un peu oubliée… jusqu’à hier.
Et les alternatives russes, elles existent vraiment ?
On entend souvent parler du nouveau cosmodrome de Vostochny, à l’extrême est de la Russie. Magnifique sur les brochures, mais en réalité, il n’est toujours pas certifié pour les vols habités. Le premier lancement humain depuis Vostochny n’est même pas programmé avant… 2028 dans le meilleur des cas.
Quant à la nouvelle fusée Angara et au vaisseau Orel (l’ex-Federatsia), on en est encore aux essais. Le dernier vol d’Angara A5 a d’ailleurs échoué il y a quelques mois. Bref, on est très loin du compte.
Conclusion : si le pad 31/6 reste hors service plus de six mois, la Russie n’a plus aucun moyen d’envoyer qui que ce soit dans l’espace. Ni cosmonaute, ni cargo automatique.
Les scénarios possibles (et ils font tous peur)
Scénario 1 – Le plus optimiste : réparations en 6-9 mois. La Russie serre les dents, réduit les rotations, demande peut-être un coup de main discret à la Chine. L’ISS tient bon.
Scénario 2 – Réaliste : 18-24 mois de travaux. Là, c’est la catastrophe. Plus de Progress pendant tout ce temps. L’orbite de l’ISS descend dangereusement. Les États-Unis doivent improviser une solution technique jamais testée (utiliser les moteurs de Dragon en urgence, bricoler un système de secours).
Scénario 3 – Pire du pire : la rampe est irréparable avec les moyens actuels. Moscou doit construire un nouveau pad… ou abandonner les vols habités jusqu’à la fin de l’ISS prévue en 2030-2031.
« Perdre Baïkonour, c’est perdre l’accès indépendant à l’espace pour des années. Et politiquement, c’est un coup terrible. »
Un analyste russe bien informé, sous couvert d’anonymat
Un symbole qui vacille
Au-delà des aspects techniques, il y a quelque chose de profondément symbolique. Baïkonour, c’est le berceau de l’astronautique. Youri Gagarine est parti de là. La première femme dans l’espace aussi. Et aujourd’hui, cette infrastructure vieillissante nous rappelle cruellement que même les plus grandes nations spatiales peuvent être fragiles.
Je trouve ça presque poignant. Pendant que SpaceX envoie des fusées comme des bus et que la Chine construit sa propre station à marche forcée, la Russie se retrouve à dépendre d’une unique rampe des années 60, louée à un pays tiers (le Kazakhstan), et qui vient de prendre un coup peut-être fatal.
C’est un peu comme si la Tour Eiffel s’effondrait d’un coup. On se rend compte à quel point on tenait à ce monument quand il n’est plus là.
Et maintenant, on fait quoi ?
Les prochaines semaines vont être décisives. Les équipes russes sont descendues dans la fosse pour évaluer vraiment l’ampleur des dégâts. Des photos plus nettes devraient circuler. Et surtout, on va voir si les autorités osent communiquer franchement ou si elles continuent le minimiser.
En attendant, le prochain Progress (MS-33) prévu fin décembre est déjà menacé. Et le Soyouz MS-29, censé ramener l’équipage actuel et en amener un nouveau au printemps, risque purement et simplement d’être annulé.
On vit peut-être les derniers mois d’une coopération spatiale russo-américaine qui aura duré plus de trente ans malgré toutes les tensions géopolitiques. C’est à la fois triste et fascinant à observer.
Je vous tiens au courant dès qu’il y a du nouveau. Parce que franchement, là, tout peut basculer très vite dans le petit monde de l’exploration spatiale habitée.
Et vous, vous pensiez que la Russie était encore une grande puissance spatiale incontestable ? Cette histoire nous rappelle que rien n’est jamais acquis. Même pas l’accès à l’orbite terrestre.
