Imaginez un peu la scène. Une gamine de 6 ans qui grimpe dans un kart, met les gaz comme si elle était née dedans, et vingt minutes plus tard, elle tourne déjà plus vite que des garçons qui ont deux ou trois ans de plus. C’est exactement ce qui s’est passé un jour de 2010 sur un petit circuit d’Île-de-France. Et cette gamine, c’était Doriane Pin.
Quinze ans plus tard, la voilà championne de la F1 Academy 2025, avec quatre victoires, huit podiums en quatorze courses et une régularité qui a fait taire tous ceux qui pensaient que cette série « réservée aux filles » allait manquer de niveau. Franchement, quand on regarde ses chronos, on se demande surtout pourquoi elle n’est pas déjà en Formule 1 tout court.
Une trajectoire fulgurante qui ne doit rien au hasard
Dans le milieu du karting français, tout le monde connaît le nom Pin. Son père, Renaud, organise des courses depuis des années. Il a vu passer des centaines de gamins. Mais quand sa fille a commencé, il a tout de suite compris que c’était différent.
« Dès le premier tour, elle freinait au bon endroit, elle plaçait la voiture exactement où il fallait. À 6 ans ! J’ai tout de suite dit à ma femme : celle-là, c’est pas normal… »
– Le père de Doriane, encore ému des années après
Le karting, c’est l’école la plus dure qui existe en sport auto. Pas de place pour les sentiments, pas d’aides électroniques, juste toi, ta machine et la piste. Doriane y a passé dix ans. Championnats de France, compétitions internationales, elle a tout raflé ou presque dans les catégories jeunes.
Les premiers pas qui font déjà parler
À 14 ans, elle passe à la voiture. Directement en Formule 4 française. Là encore, c’est la claque. Elle termine vice-championne dès sa première saison complète, en battant régulièrement des garçons qui ont parfois deux ans de plus et beaucoup plus d’expérience en monoplace.
Ce qui frappe, c’est sa maturité. Les ingénieurs disent qu’elle donne des retours hyper précis sur la voiture. Elle sait exactement ce qui manque, où il faut changer les réglages. À cet âge-là, c’est rarissime.
- 2019 : première saison complète en F4 → vice-championne de France
- 2021 : intègre le programme Iron Dames, réservé aux meilleures pilotes féminines
- 2022 : championne d’Europe de Ferrari Challenge
- 2023 : premières courses en GT avec Mercedes et victoire aux 24 Heures de Spa dans sa catégorie
- 2024-2025 : sélectionnée par Prema et Mercedes pour la F1 Academy
La F1 Academy, tremplin ou plafond de verre ?
Lancée en 2023, la F1 Academy a un objectif clair : former la prochaine génération de pilotes féminines et, pourquoi pas, amener une femme en Formule 1. Chaque écurie de F1 soutient une pilote, fournit la voiture, les ingénieurs, le budget. Doriane roule pour Prema avec le soutien de Mercedes.
Cette saison 2025, elle a été intouchable. Quatre victoires, dont une sous la pluie à Monaco où elle a mis plus de dix secondes à tout le monde. Huit podiums. Zéro abandon mécanique. Une gestion de course digne des meilleurs.
Mais la vraie question, celle que tout le monde se pose dans les paddocks : et maintenant ? Parce que la phrase de son père tourne en boucle :
« Franchement, si Doriane s’appelait Dorian et qu’elle avait les mêmes résultats, elle serait déjà en Formule 2, voire en F1 chez une petite équipe. »
Et il n’est pas le seul à le penser. Des directeurs d’équipe de F2 ont déjà confié off the record qu’ils adoreraient la tester, mais que le pas est encore énorme entre la F1 Academy et la F2, surtout financièrement.
Un talent brut qui dépasse le genre
Ce qui rend Doriane différente, ce n’est pas seulement la vitesse pure. C’est tout le reste. La gestion des pneus sur un long relais, la lecture de course, la capacité à rester calme quand ça part en bagarre. Des qualités qu’on voit chez les très grands.
J’ai eu l’occasion de discuter avec des personnes qui l’ont vue rouler en test privé. Le retour est unanime : ses temps en F3 ou F2 seraient déjà dans le peloton. Pas forcément devant, mais largement dans le coup. Et ça, à 21 ans, c’est effrayant de potentiel.
Les obstacles qui restent immenses
Malheureusement, le chemin vers la Formule 1 ne dépend pas que du talent. Il y a l’argent, les réseaux, les places disponibles. Et soyons honnêtes : le monde de la F1 reste très masculin, parfois même machiste.
Doriane le sait. Elle reste concentrée, travaille dur, fait profil bas. Elle répète qu’elle veut « juste avoir sa chance » comme n’importe quel autre jeune pilote. Mais on sent parfois une pointe d’agacement quand on lui repose la énième question sur le fait d’être une femme dans ce milieu.
Mercedes la suit de très près. Le programme junior est l’un des meilleurs. On parle déjà d’un baquet possible en Formule 2 dès 2026 si elle continue sur cette lancée. Et pourquoi pas un test en F1 en fin d’année prochaine ? Tout est possible.
Pourquoi Doriane Pin pourrait tout changer
La dernière femme à avoir disputé un Grand Prix de Formule 1, c’était Lella Lombardi en 1976. Depuis, rien. Zéro. Des essais, oui. Des apparitions en essais libres, parfois. Mais jamais une titularisation.
Doriane a tout pour briser ce plafond de verre. Le talent, la mentalité, le soutien d’une grosse écurie. Et surtout, elle arrive au bon moment : la F1 cherche à se féminiser, à attirer un nouveau public. Une Française championne, jeune, charismatique, qui parle parfaitement anglais, ça coche toutes les cases.
Alors oui, le chemin est encore long. Mais pour la première fois depuis très longtemps, on a vraiment l’impression que c’est possible. Pas dans dix ans. Peut-être dans trois ou quatre.
Et quelque part, sur un petit circuit d’Île-de-France, un papa doit se dire que sa gamine de 6 ans qui tournait déjà plus vite que tout le monde n’a pas fini de faire parler d’elle.
Parce qu’au fond, le sport auto, c’est simple : le chrono ne ment jamais. Et celui de Doriane Pin parle pour elle. Plus fort que n’importe quel discours.
