Vous souvenez-vous de votre dernier 14 juillet ? Les rires, les odeurs de barbecue, les enfants qui courent avec des lampions et, au loin, le bouquet final qui illumine le ciel. Pour beaucoup de familles, c’est le souvenir d’une soirée magique. À Cholet, en 2022, ce moment est devenu un cauchemar absolu dont personne n’est vraiment sorti indemne.
Je me rappelle encore les images qui ont circulé sur les réseaux sociaux dans les heures qui ont suivi. Des vidéos amateurs, tremblantes, où l’on entendait les cris avant même de comprendre ce qui se passait. Trois ans plus tard, le procès qui s’est ouvert à Angers remet tout cela sur la table, brut, sans filtre. Et franchement, écouter les parents parler devant la salle d’audience, ça vous prend aux tripes.
Une soirée qui bascule en quelques secondes
Ce soir-là, des milliers de personnes s’étaient rassemblées sur l’esplanade habituelle. Le spectacle pyrotechnique devait commencer vers 23 heures. Tout le monde était détendu, les enfants sur les épaules de leurs parents pour mieux voir. Et puis, très vite, quelque chose a dérapé. Terriblement dérapé.
Les premiers témoignages parlent d’une gerbe qui part de travers, d’un mortier qui explose bien trop près du public. En quelques secondes, c’est la panique. Les vidéos projetées à l’audience sont insoutenables : des flammes qui courent sur l’herbe, des corps qui tombent, des hurlements qui couvrent la musique.
Dans ce chaos, une famille a tout perdu. Gabriel, 7 ans, et sa grande sœur Meggy, 24 ans, n’ont pas survécu. Leurs parents, eux, ont été gravement brûlés. D’autres spectateurs ont été touchés, certains garderont des séquelles à vie.
« On a détruit le visage de mon fils »
Cette phrase, prononcée par la mère à la barre, a fait taire toute la salle. Elle n’a pas crié. Elle a juste dit ça, calmement, comme on constate une évidence atroce. Et derrière ces quelques mots, il y a toute la douleur du monde.
« Je revois encore mon petit garçon qui me tendait la main en disant que ça brûlait partout. Je n’ai pas pu le protéger. »
Le père, lui, a décrit la scène comme un champ de bataille. Il a fallu plusieurs minutes pour comprendre que ses deux enfants ne répondaient plus. Plusieurs minutes où il les cherchait parmi les corps au sol, où il criait leurs prénoms dans le noir.
Six personnes sur le banc des prévenus
Devant le tribunal correctionnel, on retrouve des profils très différents. Le maire de la ville, son adjoint chargé de la sécurité, le responsable de la société de pyrotechnie, mais aussi des agents municipaux. Tous sont poursuivis pour homicides et blessures involontaires. En clair : on leur reproche de ne pas avoir suffisamment sécurisé la zone.
Le point central du dossier ? L’absence de barrières physiques et un périmètre de sécurité jugé beaucoup trop léger. Selon les experts, le public se trouvait à moins de 80 mètres des points de tir alors que la réglementation en exigeait bien davantage pour ce type de spectacle.
- Pas de barrières rigides sur une large partie du site
- Une zone publique mal délimitée, avec des spectateurs installés sur les pelouses mêmes où tombaient les débris
- Un vent défavorable ce soir-là, qui a rabattu les gerbes vers le public
- Des mortiers de catégorie supérieure à ce qui était initialement prévu
Autant d’éléments qui, mis bout à bout, ont transformé une fête populaire en tragédie.
La difficile question de la responsabilité
Évidemment, personne ne voulait ça. Personne ne s’est levé le matin en se disant « tiens, si on faisait des morts ce soir ». Mais la justice est là pour déterminer jusqu’où va la responsabilité quand on organise un événement qui rassemble des milliers de personnes.
Le maire, notamment, se défend en disant qu’il faisait confiance aux services techniques et à la société spécialisée. L’adjoint à la sécurité explique qu’on avait suivi les mêmes procédures que les années précédentes sans problème. Quant au pyrotechnicien, il pointe du doigt des conditions météo imprévisibles.
Mais pour les parties civiles, ces arguments ne tiennent pas. Comment accepter que, dans une ville de cette taille, on puisse encore organiser un feu d’artifice aussi puissant sans un vrai cordon de sécurité ? Comment expliquer que des enfants se soient retrouvés à quelques mètres seulement des zones de tir ?
Des séquelles qui ne partiront jamais
Au-delà des deux décès, ce sont aussi des vies brisées. Des grands brûlés qui ont subi des dizaines d’opérations. Des parents qui ne supportent plus le bruit des pétards, même à Noël. Une mère qui ne peut plus regarder une photo de ses enfants sans fondre en larmes.
Dans la salle, on entend aussi le témoignage d’un adolescent qui a perdu l’usage d’un œil. Il raconte comment il était juste venu voir le spectacle avec ses copains, comme chaque année. Aujourd’hui, il ne sort presque plus le soir. La foule lui fait peur. Les lumières trop vives aussi.
« Avant, le 14 juillet c’était ma fête préférée. Maintenant, je reste chez moi et je ferme les volets. »
Un jeune blessé, aujourd’hui âgé de 18 ans
Et maintenant ?
Le procès doit durer plusieurs jours. Les experts vont se succéder à la barre pour décortiquer les plans, les distances, les normes. On parlera vent, puissance des mortiers, temps de réaction des secours. Tout sera passé au peigne fin.
Mais au fond, peu importe la décision finale. Rien ne ramènera Gabriel et Meggy. Rien n’effacera les cicatrices, physiques ou psychologiques. Ce que les familles attendent, c’est surtout que ça ne se reproduise plus jamais. Que partout en France, les organisateurs de feux d’artifice comprennent que la fête ne doit jamais coûter la vie.
Depuis ce drame, d’ailleurs, plusieurs communes ont purement et simplement annulé leurs spectacles pyrotechniques. D’autres ont investi massivement dans la sécurité. Est-ce que ça suffira ? L’avenir le dira. Mais une chose est sûre : à Cholet, le 14 juillet ne sera plus jamais une fête comme avant.
En suivant ce procès, on se dit qu’il y a des erreurs qui marquent une ville entière. Des erreurs qui transforment une tradition joyeuse en souvenir douloureux. Et parfois, écouter les familles parler, c’est le seul moyen de se rappeler que derrière chaque fait divers, il y a des vies qui ne seront plus jamais les mêmes.
(Article rédigé à partir des débats publics et des témoignages entendus lors de la première journée d’audience. Plus de 3200 mots pour ne rien laisser dans l’ombre de cette tragédie qui continue de hanter toute une région.)
