Imaginez une nation où un scrutin présidentiel peut à la fois galvaniser une région entière et laisser des villes entières dans une indifférence pesante. C’est exactement ce qui s’est passé en Côte d’Ivoire ce 25 octobre 2025, lors d’une élection présidentielle qui semble déjà avoir couronné son vainqueur avant même la fin des dépouillements. Alassane Ouattara, à 83 ans, s’élance vers un quatrième mandat avec des scores qui frôlent parfois l’unanimité dans certaines régions. Mais derrière ces chiffres impressionnants, une question persiste : que révèle ce scrutin sur l’état de la démocratie ivoirienne ?
Un scrutin sous haute tension
La Côte d’Ivoire, géant économique de l’Afrique de l’Ouest et premier producteur mondial de cacao, a organisé ce week-end une élection cruciale. Près de 9 millions d’électeurs étaient appelés aux urnes dans un contexte marqué par une relative stabilité, mais aussi par des cicatrices politiques encore vives. Les souvenirs des violences post-électorales de 2010, qui avaient fait 3 000 morts, et celles de 2020, avec 85 victimes, planaient comme une ombre sur ce scrutin. Pourtant, malgré un dispositif sécuritaire impressionnant – 44 000 agents déployés à travers le pays –, des incidents ont émaillé la journée de vote. Alors, que s’est-il passé ?
Des scores écrasants dans le Nord
Dans les régions du nord, fief traditionnel d’Alassane Ouattara, les résultats partiels annoncés dès le lendemain du scrutin sont sans appel. Dans des localités comme Kani ou Kong, le président sortant a frôlé les 100 % des suffrages, avec des taux de participation approchant l’absolu. Ces chiffres, bien que spectaculaires, ne surprennent personne. Le nord, à dominante malinké, soutient massivement Ouattara depuis des décennies. Mais comment expliquer de tels scores ?
Dans certaines régions, voter pour Ouattara, c’est comme une tradition, un réflexe culturel autant que politique.
– Analyste politique local
Ces résultats s’expliquent par une combinaison de facteurs : une forte mobilisation communautaire, une organisation électorale bien rodée dans ces zones rurales, et, pour certains observateurs, une certaine forme de clientélisme électoral. Mais il serait réducteur de limiter l’analyse à cela. Le nord ivoirien voit en Ouattara un leader qui a stabilisé le pays après des années de crises. Cela suffit-il à justifier des scores aussi écrasants ? Pas sûr.
Une participation en demi-teinte
Si le nord a vibré pour ce scrutin, le sud et l’ouest du pays racontent une tout autre histoire. Dans des villes comme Abidjan, notamment dans la commune huppée de Cocody, à peine 20 % des électeurs se sont déplacés. Des bureaux de vote déserts, des files d’attente inexistantes : l’image est saisissante. Selon les premières estimations, la participation nationale avoisinerait les 50 %, un chiffre honorable mais qui cache de profondes disparités régionales.
- Nord : Participation proche de 100 % dans certaines zones rurales.
- Sud et ouest : Taux de participation souvent inférieur à 30 %.
- Abidjan : Mobilisation faible, notamment dans les quartiers aisés.
Ce contraste géographique n’est pas anodin. Il reflète une fracture politique et sociale qui divise la Côte d’Ivoire depuis des décennies. Le sud, historiquement plus favorable à l’opposition, semble avoir boudé les urnes. Pourquoi ? La réponse réside en partie dans l’absence des principaux adversaires d’Ouattara.
Une opposition muselée
L’un des aspects les plus frappants de cette élection est l’absence de deux figures majeures de l’opposition : Tidjane Thiam, banquier international de renom, et Laurent Gbagbo, ancien président. Tous deux ont été écartés du scrutin pour des raisons administratives et judiciaires. Thiam a été radié des listes électorales pour des questions liées à sa nationalité, tandis que Gbagbo a été disqualifié en raison d’une condamnation pénale. Résultat ? Ouattara n’a affronté que quatre adversaires, aucun n’ayant les moyens ou le soutien nécessaires pour rivaliser.
Une élection sans opposition crédible, c’est comme un match de foot avec une seule équipe sur le terrain.
– Observateur politique
Cette situation a suscité des critiques acerbes. Pour beaucoup, l’absence de ces poids lourds a vidé le scrutin de sa compétitivité. Un député de l’opposition a même déclaré que ces résultats reflétaient une fracture claire entre le nord et le sud, remettant en question la légitimité d’un président élu dans de telles conditions. Personnellement, je ne peux m’empêcher de penser que cette exclusion a joué un rôle clé dans la démobilisation des électeurs du sud. Quand on prive une élection de ses principaux acteurs, difficile de motiver les citoyens à se déplacer.
Des tensions malgré un scrutin calme
Globalement, le scrutin s’est déroulé dans le calme, mais des incidents isolés ont rappelé la fragilité de la situation. Dans environ 2 % des bureaux de vote, des heurts ont été signalés, notamment dans le sud et l’ouest. À Gadouan, au centre-ouest, une personne est décédée dans des affrontements intercommunautaires. À Gregbeu, un adolescent de 13 ans a été tué par un tir provenant d’un véhicule. Au total, six personnes ont perdu la vie depuis mi-octobre en marge du processus électoral.
| Région | Incidents signalés | Conséquences |
| Gadouan | Affrontements intercommunautaires | 1 mort, plusieurs blessés |
| Gregbeu | Tir depuis un véhicule | 1 adolescent tué |
| Autres zones | Incidents mineurs | 22 blessés |
Ces événements, bien que limités, rappellent que la Côte d’Ivoire reste un pays où les tensions intercommunautaires peuvent rapidement dégénérer. Avec une soixantaine d’ethnies et une importante population étrangère, notamment venue des pays sahéliens, le pays navigue sur une ligne fragile. Les autorités ont réagi en déployant des forces de sécurité pour ramener le calme, mais ces incidents soulignent l’enjeu crucial d’une réconciliation nationale.
Une démocratie sous surveillance
Ce scrutin intervient dans un contexte où la Côte d’Ivoire cherche à consolider son image de pôle de stabilité en Afrique de l’Ouest, une région secouée par des coups d’État et des attaques jihadistes. Pourtant, les critiques fusent. L’interdiction des manifestations de l’opposition en octobre, accompagnée de centaines d’arrestations, a jeté une ombre sur le processus électoral. Pour certains, ces mesures traduisent une volonté de contrôler l’espace politique.
La démocratie, ce n’est pas seulement voter. C’est aussi garantir un espace où toutes les voix peuvent s’exprimer.
– Analyste des droits humains
Difficile de ne pas se poser la question : une élection où les principaux opposants sont absents peut-elle être considérée comme pleinement démocratique ? En tant que rédacteur, je trouve troublant que des figures de l’envergure de Thiam ou Gbagbo aient été écartées. Cela donne l’impression que le jeu était joué d’avance, même si Ouattara bénéficie d’un soutien réel dans certaines régions.
Et maintenant, quel avenir pour la Côte d’Ivoire ?
Avec Ouattara en route pour un quatrième mandat, les regards se tournent désormais vers l’avenir. À 83 ans, le président sortant incarne une forme de continuité, mais aussi une source de polarisation. Les défis qui attendent la Côte d’Ivoire sont immenses : réduire les inégalités régionales, apaiser les tensions intercommunautaires, et consolider la croissance économique dans un contexte régional instable.
- Réconciliation nationale : Restaurer la confiance entre les communautés et les régions.
- Relance économique : Maintenir la dynamique autour du cacao et diversifier l’économie.
- Stabilité régionale : Renforcer le rôle de la Côte d’Ivoire comme leader en Afrique de l’Ouest.
Pourtant, une question demeure : comment Ouattara, ou son éventuel successeur, parviendra-t-il à mobiliser un pays où la moitié des électeurs semblent avoir tourné le dos aux urnes ? Ce scrutin, bien que techniquement réussi, laisse un goût d’inachevé. Peut-être que l’aspect le plus fascinant de cette élection est ce qu’elle révèle sur les attentes des Ivoiriens : entre espoir de stabilité et soif de changement, le pays reste à la croisée des chemins.
En attendant les résultats définitifs, une chose est sûre : la Côte d’Ivoire continue de fasciner par sa complexité. Ce scrutin, avec ses scores écrasants et ses silences éloquents, n’est qu’un chapitre de plus dans une histoire politique tumultueuse. Et vous, que pensez-vous de ce résultat ? La démocratie ivoirienne est-elle sur la bonne voie, ou s’agit-il d’un simple mirage ?
