Il y a des histoires qui commencent comme un banal rendez-vous d’affaires et finissent en cauchemar dont on ne se réveille pas vraiment. Imaginez : vous arrivez dans un quartier chic de Paris, vous avez 400 grammes d’or dans votre sac, et quinze minutes plus tard vous êtes bâillonné, poignardé et jeté dans le coffre d’une voiture. C’est exactement ce qui est arrivé un soir d’avril 2023 porte Maillot. Deux ans et demi plus tard, l’affaire reste un vrai casse-tête judiciaire. Un seul homme derrière les barreaux, des preuves qui chancellent et, surtout, une ombre étrange qui plane : celle d’un possible lien avec des réseaux bien plus structurés qu’on ne veut le dire.
Une soirée qui bascule en quelques minutes
Ce 5 avril 2023, il est un peu plus de 20 heures. La victime – appelons-la Casimir, la quarantaine solide – sort du métro et marche tranquillement vers l’hôtel Marriott. Il a rendez-vous avec un acheteur potentiel, un certain « Habib ». Dans son sac, des petites pièces d’or qu’il espère vendre 24 000 euros. Un business courant dans certaines communautés africaines de Paris : on apporte l’or physique, on repart avec du cash. Simple, rapide, discret.
Sauf que ce soir-là, rien ne se passe comme prévu. À peine arrivé rue Gustave-Charpentier, Casimir est entouré par six hommes. Il se débat comme un lion, dit-on dans le dossier. Les coups pleuvent. On le force à monter dans une voiture. À l’intérieur, on le ligote, on le bâillonne. Et pour être sûr qu’il arrête de résister, on lui plante plusieurs coups de couteau : une cuisse, les fesses. Des blessures sérieuses mais qui, heureusement, ne mettront pas sa vie en danger.
Puis c’est le vol. L’or disparaît. Le téléphone aussi. Et les agresseurs abandonnent Casimir un peu plus loin, ensanglanté mais vivant. Il parviendra à appeler les secours. Commence alors une enquête qui va durer des mois, entrecoupée de rebondissements que même un scénariste de série policière aurait jugé trop gros.
Mohamad, le suspect qui divise tout le monde
Novembre 2024. Un jeune homme de 28 ans, Mohamad, est mis en examen pour enlèvement, séquestration et violences en bande organisée. Il est immédiatement placé en détention provisoire. Pourquoi lui ? Parce que la victime l’a formellement reconnu sur photo, puis en confrontation. « C’est lui qui m’a porté les coups », assure Casimir.
Mohamad, lui, tombe des nues. Il nie tout en bloc. Selon sa défense, il n’a jamais mis les pieds rue Gustave-Charpentier ce soir-là. D’ailleurs, il conteste même les éléments scientifiques : traces ADN, relevés téléphoniques… tout serait fragile, voire contestable. Ses avocats ont d’ailleurs obtenu plusieurs expertises complémentaires qui sèment le doute.
« On a un dossier qui repose presque uniquement sur une reconnaissance visuelle faite dans des conditions émotionnelles extrêmes. Et quand les analyses scientifiques commencent à être passées au crible, on voit apparaître des failles sérieuses. »
– Un proche du dossier, sous couvert d’anonymat
Fin novembre 2025, Mohamad demande sa remise en liberté. Refusée. Les juges estiment qu’il reste un risque de pression sur la victime et, surtout, que d’autres suspects courent toujours. Car oui : sur les six agresseurs présumés, un seul est sous les verrous. Les cinq autres ? Volatilisés.
L’or africain, un marché parallèle qui fait saliver
Pour comprendre pourquoi quelqu’un prend le risque de poignarder un homme en plein Paris pour 24 000 euros d’or, il faut plonger dans l’univers du commerce informel de métaux précieux. À Paris, particulièrement dans les XVIIIe et XVIIe arrondissements, des réseaux très discrets font circuler de l’or venu d’Afrique de l’Ouest ou du Cameroun. Souvent sous forme de petites pièces ou de bijoux fondus.
Pourquoi de l’or physique ? Parce qu’il est traçable beaucoup moins facilement que l’argent sur un compte bancaire. Parce qu’il permet de contourner les contrôles douaniers ou les déclarations de capitaux. Et parce qu’en période d’inflation ou d’instabilité monétaire, beaucoup préfèrent le jaune métal au papier.
- Les vendeurs viennent souvent avec plusieurs centaines de grammes
- Les acheteurs paient en espèces, parfois dans des hôtels ou des bars
- Les transactions se font sur la base de la confiance… ou de la peur
- Quand la confiance manque, la violence prend le relais
Ces dernières années, les vols ciblés se sont multipliés. Des guet-apens bien organisés, avec repérage préalable, véhicules volés ou loués sous faux noms, et une fuite éclair. Le butin ? Quelques dizaines de milliers d’euros en or, facile à écouler dans d’autres circuits.
La piste kurde qui embarrasse tout le monde
Et puis il y a cette rumeur qui court dans les couloirs du 36 quai des Orfèvres (ou plutôt du nouveau palais de justice maintenant). Mohamad serait lié, de près ou de loin, à des milieux kurdes politisés. Rien de concret, rien d’officiellement écrit dans le dossier, mais assez pour que certains enquêteurs se posent la question : et si ce vol n’était pas juste crapuleux ?
Dans les années 2010-2020, on a vu en Europe plusieurs affaires où des réseaux proches de certaines organisations kurdes levaient des fonds par des moyens… discutables. Extorsion, trafic de stupéfiants, et parfois des opérations plus musclées. L’or, liquide et universel, aurait pu être une manne intéressante.
Attention, je ne dis pas que c’est le cas ici. Mais quand un suspect porte un prénom typiquement kurde, que certains de ses contacts connus ont un passé militant, et que les cinq autres agresseurs semblent s’être évaporés dans la nature avec une efficacité presque professionnelle, on est en droit de se poser la question. D’autant que la communauté kurde de France est importante et, disons-le, parfois très solidaire.
Un dossier qui sent le règlement de comptes
Ce qui frappe dans cette affaire, c’est la violence gratuite. Poignarder quelqu’un plusieurs fois pour 24 000 euros, en plein Paris, à quelques mètres d’un palace… ce n’est pas le mode opératoire habituel des petits braqueurs du coin. Ça sent la démonstration de force. Le message envoyé à d’autres vendeurs : « Ne faites pas confiance à n’importe qui » ou, pire, « Cette route nous appartient désormais ».
Casimir lui-même, dans ses premières déclarations, semblait terrorisé. Il a mis du temps à livrer tous les détails. Comme s’il craignait des représailles. Même après l’arrestation de Mohamad, il a demandé à être protégé. Ce n’est pas anodin.
Et maintenant ?
En ce début d’année 2026, l’enquête patine. Les cinq fuyards n’ont toujours pas de visage. Les analyses ADN complémentaires demandées par la défense pourraient faire vaciller l’accusation. Mohamad, lui, attend dans sa cellule, persuadé qu’un jour la vérité éclatera.
Quant à Casimir, il a repris une vie discrète quelque part en Île-de-France. Il ne vend plus d’or, dit-on. Et quand on lui parle de cette soirée d’avril 2023, il détourne le regard. Certaines cicatrices ne sont pas que physiques.
Cette histoire, au fond, dit beaucoup de Paris aujourd’hui. Une ville où se croisent des richesses venues du monde entier, des espoirs, des réseaux parallèles et, parfois, une violence qui surgit là où on ne l’attend pas. Porte Maillot, un soir de printemps, un homme a failli y laisser sa vie pour quelques grammes de métal jaune. Deux ans et demi plus tard, on cherche encore qui a vraiment appuyé sur la gâchette du couteau.
Et quelque part, dans l’ombre, cinq hommes savent qu’ils ont réussi leur coup. Pour l’instant.
