Imaginez-vous déposer votre enfant au collège un matin d’hiver, comme tous les jours, et recevoir le soir même un mail de la direction vous annonçant qu’un élève a failli être enlevé à 400 mètres de l’établissement. Ce n’est pas le scénario d’un film d’angoisse. C’est ce qui vient d’arriver à des centaines de familles en Seine-Saint-Denis.
En moins de sept jours, deux affaires similaires ont semé la terreur entre Villepinte et Montreuil. Deux enfants, deux collèges différents, le même mode opératoire : un homme à bord d’une camionnette blanche qui tente d’attirer un collégien. Vrai danger ou terrible coïncidence ? Difficile de rester calme quand on est parent.
Quand la routine du matin devient cauchemar
Tout commence un lundi matin comme un autre, fin novembre. Un garçon de 12 ans marche tranquillement vers son collège à Montreuil. Il est presque arrivé quand une camionnette blanche ralentit à sa hauteur. L’homme au volant baisse la vitre et lui adresse la parole. L’enfant refuse de répondre et accélère le pas. L’individu insiste, ouvre même la portière. Paniqué, le collégien court jusqu’à l’établissement et raconte tout à un surveillant.
Moins d’une semaine plus tôt, à Villepinte, une histoire presque identique. Un autre enfant, même âge, même type de véhicule, même tentative d’approche. Là encore, l’élève parvient à s’échapper et alerte immédiatement les adultes.
Deux affaires en si peu de temps, à une trentaine de kilomètres l’une de l’autre. Forcément, ça interpelle.
La camionnette blanche, nouveau fantasme collectif ?
On a tous en tête ces histoires qu’on se racontait gamins : la camionnette blanche qui rôde autour des écoles. Pendant longtemps, c’était une légende urbaine. Sauf que là, deux enfants décrivent exactement le même véhicule. Blanc, sans inscription, vitres teintées à l’arrière. Le genre de détail qui glace le sang.
Et puis il y a cette récurrence qui fait peur. Quand on est parent, on se surprend à vérifier deux fois que son enfant est bien rentré, à lui répéter les consignes de sécurité qu’on pensait presque inutiles en 2025.
« Je ne dors plus. Je fais le trajet avec lui maintenant, même si ça me fait faire 40 minutes de détour chaque matin. »
– Une mère de Montreuil, jointe par téléphone
Les établissements scolaires passent en mode alerte maximale
Dès le lundi soir, le mail de la direction du collège privé de Montreuil tombe comme un couperet. Ton neutre, mais les mots font l’effet d’une bombe : « tentative d’agression », « homme à bord d’une camionnette blanche », « vigilance renforcée ». Les parents se mettent à échanger frénétiquement sur les groupes WhatsApp. Certains décident de ne plus laisser leurs enfants venir seuls.
À Villepinte, même scénario. Les chefs d’établissement rappellent les consignes : ne jamais monter dans un véhicule inconnu, crier, courir vers un commerce ou un groupe d’adultes. Des réunions d’urgence sont organisées. On parle même de faire accompagner les sorties par des parents bénévoles.
- Renforcement des surveillances aux abords des collèges
- Demande de présence policière accrue aux heures d’entrée et de sortie
- Diffusion massive de numéros d’urgence dans les carnets de correspondance
- Ateliers de sensibilisation aux dangers de la rue prévus en décembre
Franchement, on se croirait revenus vingt ans en arrière, quand les écoles faisaient des exercices « inconnus dangereux ».
Les forces de l’ordre face à la vague de signalements
Du côté de la police, on prend l’affaire très au sérieux. Deux plaintes ont été déposées, deux enquêtes sont ouvertes. Les enquêteurs cherchent surtout à savoir si les deux faits sont liés. Même type de véhicule, même tranche horaire (entre 8h et 8h30), même tranche d’âge des victimes ciblées. Tout laisse penser qu’il pourrait s’agir du même individu.
Mais il y a aussi cette réalité : les signalements de ce genre se multiplient depuis quelques années en Île-de-France. Parfois, il s’agit de malentendus (un parent qui cherche son propre enfant, un chauffeur VTC qui se trompe d’adresse), parfois de faits réels et gravissimes. Le problème, c’est que tant que l’auteur n’est pas identifié, chaque camionnette blanche devient suspecte.
J’ai discuté avec un policier qui patrouille régulièrement dans le secteur. Il me confiait, sous couvert d’anonymat : « On voit bien la panique monter. Les gens nous signalent tout et n’importe quoi. Ça complique le travail, mais en même temps, on préfère ça à l’indifférence. »
Les rumeurs, ce poison qui amplifie la peur
Et puis il y a les réseaux sociaux. En 48 heures, les groupes Facebook locaux se sont enflammés. On parle de « réseau organisé », de « trafic d’enfants », de « plusieurs tentatives non déclarées ». Des vidéos de caméras de surveillance circulent, montrant parfois… rien du tout. Mais peu importe : la peur est là, bien réelle.
Ce qui est frappant, c’est la vitesse à laquelle l’information (et la désinformation) se propage. Un parent poste un message alarmiste, dix autres le partagent sans vérifier. Résultat : des quartiers entiers se retrouvent en état d’alerte permanente.
« Ma fille de 10 ans a pleuré hier soir en me disant qu’elle ne voulait plus aller à l’école. Comment voulez-vous expliquer à un enfant que c’est peut-être juste une coïncidence ? »
– Un père de famille de Montreuil
Comment protéger nos enfants sans les terrifier ?
C’est peut-être la question la plus difficile. Bien sûr, il faut parler aux enfants. Leur apprendre à identifier les situations à risque, à crier « au feu ! » plutôt que « au secours ! » (parce que ça fait plus réagir les passants), à noter les plaques d’immatriculation. Mais à partir de quel âge ? Et jusqu’où aller sans leur voler leur insouciance ?
Certains parents optent pour les traceurs GPS dans les cartables, les applications de géolocalisation, les cours de self-défense dès le CM1. D’autres refusent de céder à la psychose et continuent à laisser leurs enfants prendre le bus seuls. Il n’y a pas de bonne réponse universelle.
Ce que je remarque, moi qui ai couvert pas mal d’affaires similaires ces dernières années, c’est que la peur est souvent pire que le danger réel. Mais quand il s’agit de nos enfants, peut-on vraiment prendre le risque de minimiser ?
Et maintenant ?
Pour l’instant, les enquêtes se poursuivent. Les policiers visionnent des heures de vidéosurveillance, interrogent les témoins, cherchent cette fameuse camionnette blanche qui semble s’être évaporée dans la nature. En parallèle, les mairies promettent plus de patrouilles et de caméras.
Mais au-delà des mesures immédiates, ces deux affaires posent une question de fond : comment vit-on dans une société où la simple idée de laisser son enfant marcher seul jusqu’au collège devient anxiogène ?
En attendant les conclusions des enquêtes, une chose est sûre : en Seine-Saint-Denis comme ailleurs, des milliers de parents regardent désormais chaque camionnette blanche avec méfiance. Et ça, c’est peut-être le plus triste dans toute cette histoire.
Parce qu’au fond, ce dont on a le plus peur, ce n’est pas seulement l’inconnu au volant. C’est de réaliser que le monde dans lequel on élève nos enfants n’est peut-être plus celui qu’on croyait.
