Vous vous souvenez de cette sensation bizarre quand, enfant, on découvrait que certains métiers étaient « réservés » aux femmes ou aux hommes ? Institutrice, infirmière, secrétaire d’un côté ; pompier, garagiste, ingénieur de l’autre. Et puis, petit à petit, les choses ont bougé. Sauf que parfois, la réalité nous rattrape violemment et nous rappelle que certains clichés ont la peau dure. Très dure.
Ce vendredi matin à Rennes, devant l’école maternelle Clôteaux, plus de 150 personnes se sont rassemblées en silence. Pas de cris, pas de slogans agressifs. Juste des pancartes, des regards graves et une immense solidarité. Au cœur de cette mobilisation : un directeur d’école, enseignant en maternelle, qui a reçu des menaces de mort. Son crime ? Être un homme.
Un simple accompagnement aux toilettes qui déclenche la tempête
Tout a commencé il y a quelques semaines. Une petite fille de l’école a besoin, comme tous les enfants de cet âge, d’être accompagnée aux toilettes de temps en temps. Rien d’exceptionnel. Sauf que le parent, apparemment, n’a pas supporté l’idée qu’un homme – même directeur et enseignant titulaire – puisse s’en charger.
Les mots ont dépassé la pensée. Des menaces directes, suffisamment graves pour qu’une plainte soit déposée dès le 14 octobre. Le rectorat a suivi immédiatement. Depuis, l’enseignant est en arrêt. Choqué, épuisé, meurtri. Et l’école entière en souffre.
Une école décrite comme « exemplaire » avant l’incident
Ceux qui connaissent l’établissement le répètent : c’est une école où « tout se passe bien ». Pas de problèmes particuliers, une équipe soudée, des parents globalement impliqués. Et puis ce grain de sable. Ou plutôt cette bombe.
Un parent présent au rassemblement confiait, ému : ses propres enfants adorent l’équipe éducative, et jamais personne n’avait eu le moindre doute sur le professionnalisme du directeur. « On a pleinement confiance », disait-il simplement. Une phrase qui résume tout.
« On reproche simplement au collègue d’être un homme et d’encadrer des jeunes enfants »
– Un représentant syndical présent sur place
Les hommes en maternelle : encore trop rares, trop suspectés ?
Regardons les chiffres en face. En France, à peine 15 % des enseignants en maternelle sont des hommes. Quinze pour cent. Et ce chiffre stagne depuis des années. Pourquoi ? Parce que le métier reste ultra-féminisé, certes. Mais aussi parce qu’une partie de la société continue de trouver « bizarre » qu’un homme veuille travailler auprès de tout-petits.
Je me souviens d’un collègue instituteur qui m’avait raconté, il y a dix ans déjà : « Quand je dis que je suis maître d’école en maternelle, on me regarde comme si j’avais dit que j’élevais des licornes. » On rit jaune. Et pourtant, l’histoire de Rennes nous montre que certains passent directement de l’étonnement à la menace.
- Un accompagnement aux toilettes devenu sujet de menace de mort
- Un directeur expérimenté mis en arrêt pour stress extrême
- Une école entière traumatisée par une seule famille
- Des collègues qui se demandent : « Et si c’était moi demain ? »
Le rassemblement : une réponse collective et émouvante
Ce vendredi, l’école est restée fermée. Exceptionnel. Devant les grilles, les pancartes disaient tout :
- « Soutien à notre collègue »
- « Parents unis ! Respect et soutien total à nos enseignants »
- « Non à la violence, oui à la confiance »
Des enseignants d’écoles voisines sont venus. Des parents aussi, parfois avec leurs enfants dans les bras. Une adjointe à l’éducation de la ville était présente. L’ambiance ? Pas de colère bruyante. Plutôt une dignité froide. Le genre de silence qui pèse plus lourd que n’importe quel cri.
Et puis il y a ces petites phrases qui restent en tête. Un papa qui explique à son fils de 6 ans pourquoi ils sont là. Une enseignante qui essuie discrètement une larme. Un syndicaliste qui répète, presque incrédule : « On en est là en 2025… »
Et maintenant ? L’enfant va-t-elle changer d’école ?
C’est la grande question. La fillette est toujours scolarisée dans l’établissement. L’équipe enseignante, soutenue par les syndicats, souhaite un changement d’école. Pour tout le monde. Pour retrouver la sérénité. Pour que l’enseignant puisse revenir sans crainte. Pour que les autres enfants ne portent pas le poids de cette histoire.
Du côté de la municipalité, on parle de « médiation » avec la famille. On évoque la possibilité que l’enfant soit scolarisée ailleurs. Rien n’est acté. Mais une chose est sûre : personne ne veut revivre ça.
« Cette enfant, peut-être, va être scolarisée ailleurs. Il va bien falloir poursuivre une médiation avec la famille »
– Une élue locale à l’éducation
Derrière l’anecdote, un problème de société profond
On pourrait se dire : un parent extrême, un cas isolé, passons. Sauf que non. Ce qui s’est passé à Rennes est l’extrême pointe d’un iceberg qu’on préfère souvent ignorer.
Combien d’hommes en maternelle ont déjà modifié leurs pratiques par peur d’être mal interprétés ? Combien évitent d’accompagner seuls un enfant aux toilettes, même quand c’est nécessaire ? Combien ont déjà senti ce regard suspicieux d’un parent, juste parce qu’ils sont… des hommes ? J’en connais personnellement plusieurs. Et vous ?
Ce n’est pas une question de religion – les acteurs sur place l’ont répété. C’est une question de stéréotypes de genre qui pourrissent encore la vie de milliers de professionnels formidables. Et qui, parfois, explosent de la pire des manières.
La protection des enseignants : jusqu’où ira-t-on ?
Depuis quelques années, on parle beaucoup de l’autorité des professeurs. Des violences verbales, physiques. Des parents qui franchissent la ligne. Mais là, on touche à quelque chose d’autre : la possibilité même d’exercer son métier quand on est un homme en petite section.
Des protocoles existent, bien sûr. Des formations à la gestion de la séparation, à la pudeur, à la bienveillance. Mais quand un parent passe outre tout ça et menace de mort… que reste-t-il comme protection ?
L’Éducation nationale a porté plainte. C’est déjà ça. Mais au-delà du cas individuel, il y a urgence à reposer la question : comment protéger ceux qui choisissent, malgré tout, d’être des hommes en maternelle ?
Un espoir dans la solidarité
Ce qui m’a le plus marqué dans cette histoire, au-delà de l’horreur des menaces, c’est la réponse collective. Ces 150 personnes devant l’école. Ces pancartes écrites à la main. Ces parents qui disent « pas en notre nom ».
Parce que oui, il y a des dérives. Mais il y a aussi, et surtout, une immense majorité de familles qui font confiance. Qui savent que le genre n’a rien à voir avec la compétence ou la bienveillance. Qui refusent que quelques individus extrêmes salissent tout.
Peut-être que l’histoire de Rennes, aussi douloureuse soit-elle, servira à ça : rappeler que l’école est un bien commun. Que les enseignants, hommes ou femmes, méritent respect et protection. Et que la mixité dans ce métier n’est pas un luxe – c’est une richesse.
En attendant, quelque part dans cette ville bretonne, un directeur d’école essaie de se reconstruire. Et 150 personnes, ce matin-là, lui ont dit : tu n’es pas seul.
C’est déjà beaucoup.
