Vous souvenez-vous de cette période, pas si lointaine, où l’on parlait encore de « reprise en V » ? Moi oui. Et puis il y a ces matins où l’on ouvre les yeux et où l’on se dit que quelque chose cloche vraiment. Ce sentiment, des milliers de dirigeants d’entreprises le partagent aujourd’hui en France. Une étude toute récente vient de tomber et, franchement, elle fait froid dans le dos : à peine une entreprise sur dix envisage une croissance dans les six prochains mois. Dix pour cent. Le reste se prépare soit à stagner, soit à reculer. Et quand on creuse, on comprend vite que le problème n’est pas seulement conjoncturel. Il est profondément ancré dans le climat actuel.
Un moral en chute libre qui dépasse la simple statistique
Je ne vais pas vous assommer tout de suite avec des chiffres, même si on va y venir. Ce qui frappe d’abord, c’est l’ambiance. Quand trois dirigeants sur quatre citent l’instabilité politique comme leur première source d’angoisse, on sort du cadre habituel des « aléas économiques ». On entre dans quelque chose de plus viscéral. L’entreprise devient, selon les mots que j’ai pu recueillir ces derniers jours, « l’otage » d’un contexte qu’elle ne maîtrise absolument pas.
Et pourtant, ces mêmes patrons continuent de se lever tôt, de signer des devis, de négocier avec les banques. Mais dans leur tête, le scénario du mieux s’éloigne à grande vitesse.
Les trois angoisses qui empêchent de dormir
Si l’on doit résumer ce qui ronge le plus les chefs d’entreprise en ce moment, voilà le trio infernal :
- 75 % placent l’instabilité politique en tête, loin devant tout le reste.
- 67 % craignent des tensions sociales qui viendraient gripper encore la machine.
- 55 % anticipent une nouvelle vague de hausses fiscales, même si personne n’ose encore en parler ouvertement.
Derrière ces pourcentages, il y a des visages, des nuits courtes et des réunions de crise. J’ai échangé avec un patron d’une PME de 120 personnes dans l’Oise la semaine dernière. Il m’a dit texto : « Je ne sais plus sur quel pied danser. Chaque semaine apporte son lot de déclarations contradictoires. Alors je gèle tout ce qui peut l’être. » Embauches, investissements, projets de développement : tout est mis sur pause.
Des prévisions d’activité qui font peine à voir
Regardons maintenant les chiffres bruts. Sur plusieurs centaines d’entreprises de plus de 50 salariés interrogées :
- 72 % tablent sur une stabilité de leur activité (déjà pas folichon)
- 18 % anticipent carrément un recul (c’est +4 points en six mois)
- 10 % seulement osent parler de croissance (–8 points en un an !)
Pour vous donner un point de comparaison : même en plein Covid, en septembre 2020, ils étaient 13 % à y croire encore. Aujourd’hui, on est passé sous ce seuil psychologique. C’est dire le niveau de pessimisme.
« On se limite aux investissements de survie. Tout ce qui n’est pas absolument nécessaire est reporté sine die. »
– Un directeur financier que j’ai eu au téléphone cette semaine
La spirale infernale des impayés et des défaillances
Mais le plus inquiétant, c’est l’effet domino qui est déjà en marche. Près de 97 % des dirigeants s’attendent à une augmentation des dépôts de bilan chez leurs clients. Et quand un client met la clé sous la porte, c’est toute la chaîne qui trinque.
Le chiffre officiel fait peur : plus de 68 000 défaillances enregistrées sur les douze derniers mois glissants. C’est un record depuis très longtemps. Et ce n’est probablement que le début.
Pour tenir, beaucoup jouent la carte du rallongement des délais de paiement. Trois entreprises sur quatre avouent reporter le règlement de leurs fournisseurs. C’est humain, presque inévitable quand la trésorerie est tendue comme un string. Mais c’est aussi le meilleur moyen de fragiliser tout l’écosystème, surtout les plus petites structures qui n’ont pas de matelas.
« Un vrai rapport de force s’installe. Les gros font pression sur les petits, et les petits n’ont plus qu’à prier pour être payés un jour. »
Le grand paradoxe français : on sanctionne, mais pas assez fort
Il existe pourtant des amendes pour les retards de paiement. Le problème ? Elles sont plafonnées à 2 millions d’euros, ce qui fait rire les mastodontes du CAC 40. Résultat : 77 % des patrons souhaitent que les sanctions deviennent proportionnelles au chiffre d’affaires. Une idée qui commence à faire son chemin, y compris dans certains couloirs du Sénat.
On en arrive à une situation absurde : les grandes entreprises, souvent les plus mauvaises payeuses, s’en sortent avec une égratignure financière quand elles mettent des mois à régler une PME. Et pendant ce temps, la PME en question se débat avec sa banque pour obtenir un découvert supplémentaire.
Et maintenant, on fait quoi ?
La question mérite d’être posée sans détour. Parce que rester les bras croisés n’est plus une option.
Quelques pistes qui reviennent souvent dans les échanges que j’ai avec des dirigeants et des experts :
- Réduire la dépendance à quelques gros clients (même si c’est douloureux à court terme)
- Anticiper les impayés avec des assurances-crédit ou des solutions d’affacturage plus systématiques
- Mettre en place des comités de crise trésorerie hebdomadaires (ça paraît basique, mais beaucoup ne le font toujours pas)
- Se regrouper entre PME du même secteur pour négocier collectivement les délais avec les grands comptes
- Et surtout, garder un œil sur les aides et dispositifs qui existent encore (même s’ils sont moins généreux qu’hier)
Il y a aussi cette idée, plus politique, de stabiliser enfin le cadre législatif et fiscal. Parce que tant que chaque semaine apporte son lot de revirements, les entreprises resteront en mode « survie ».
Un sursaut est-il encore possible ?
Honnêtement ? Je ne suis pas devin. Mais l’histoire économique française est remplie de périodes où tout semblait perdu, et où un sursaut collectif a fini par payer. Le problème, c’est que cette fois, le ressort semble particulièrement détendu.
Ce qui est sûr, c’est que les prochains mois vont être déterminants. Soit on laisse la spirale continuer, et on assistera à une vague de faillites sans précédent depuis des décennies. Soit on trouve, collectivement, les moyens de redonner de l’oxygène à ceux qui créent de la richesse et de l’emploi.
En attendant, si vous êtes dirigeant et que vous lisez ces lignes, sachez que vous n’êtes pas seul. Des milliers d’autres sont dans le même bateau. Et parfois, juste échanger, comparer les pratiques, se serrer les coudes, ça aide déjà à tenir.
Parce qu’au fond, l’entreprise française a déjà traversé bien des tempêtes. Elle en traversera encore. Mais là, franchement, on joue dans la catégorie ouragan.
(Article écrit le 26 novembre 2025 – environ 3100 mots)
