Il y a des images qui restent gravées. Samedi 15 novembre 2025, devant une petite église de Verdun, une femme brandissait une pancarte faite maison : « Catho, pas facho ! ». À l’intérieur, une messe venait de se terminer. Rien d’ordinaire, sauf que cette célébration rendait hommage à Philippe Pétain. Oui, le maréchal de Vichy. Ce n’était pas une blague d’étudiants en histoire. C’était bien réel, et autorisé par la justice après l’interdiction initiale du maire.
Depuis, l’affaire fait des vagues. Une enquête est ouverte pour contestation de crime contre l’humanité. Mais au-delà du scandale ponctuel, c’est tout un phénomène qui remonte à la surface : celui de l’entrisme identitaire au sein de l’Église catholique française. Un sujet sensible, souvent minimisé, parfois nié, mais qui préoccupe de plus en plus les évêques.
Quand l’extrême droite se sent chez elle dans certaines chapelles
On pourrait croire que c’était un épiphénomène. Une poignée de nostalgiques, un prêtre un peu trop complaisant, fin de l’histoire. Sauf que non. Ces dernières années, les signaux se multiplient. Des associations aux noms anodins qui organisent des pèlerinages, des week-ends de formation, des camps d’été pour jeunes catholiques… avec, en toile de fond, un discours sur l’identité, la France éternelle, la « remigration », ou la défense de la civilisation chrétienne contre l’islam.
Ce qui frappe, c’est la stratégie. Pas de croix gammée ni de salut romain en public. Non, c’est plus subtil. On parle de tradition, de racines, de beauté de la liturgie ancienne. On célèbre la messe en latin, on porte la soutane, on cite saint Thomas d’Aquin. Et petit à petit, on glisse des idées qui n’ont plus grand-chose de chrétien.
« Ils ne viennent pas avec des drapeaux politiques, ils viennent avec des chapelets et des missels de 1962. C’est ça qui rend l’infiltration si difficile à repérer. »
Un évêque de l’Est de la France, sous couvert d’anonymat
La messe de Verdun n’est pas un cas isolé
Revenons à Verdun. L’Association pour défendre la mémoire du maréchal Pétain (ADMP) n’est pas une inconnue. Elle existe depuis des décennies, mais ces dernières années, elle a trouvé des alliés inattendus : des prêtres traditionalistes, parfois issus de fraternités bien établies, qui acceptent de célébrer ces messes commémoratives.
Et ce n’est pas tout. Récemment, un grand rassemblement catholique annuel a failli accueillir une structure ouvertement suprémaciste. L’invitation a été annulée in extremis après la levée de boucliers interne. Trop tard : le mal était fait, l’image collait.
- Des messes pour Pétain célébrées dans plusieurs diocèses ces dernières années
- Des conférenciers aux idées racialistes invités dans des séminaires traditionalistes
- Des groupes de jeunes cathos qui reprennent les codes esthétiques de l’extrême droite (bannières, symboles celtiques, références à la « Reconquête »)
- Des prêtres qui, sur les réseaux, relaient des théories complotistes ou des discours anti-migrants
Pourquoi maintenant ? Les raisons d’une convergence
Il y a dix ans, on aurait ri. Un catho traditionaliste et un skinhead ? Deux mondes séparés par un océan idéologique. Aujourd’hui, les ponts existent. Et ils sont solides.
Première raison : la crise identitaire. Beaucoup de catholiques pratiquants, surtout jeunes, ont le sentiment que l’Église institutionnelle a capitulé face à la sécularisation. La messe en latin, les communautés tradi, apparaissent comme des bastions de résistance. Et quand on cherche des bastions, on finit parfois par fréquenter des gens qui en construisent aussi… mais pas pour les mêmes raisons.
Deuxième raison : internet. Les réseaux sociaux ont créé des bulles où un jeune qui aime la messe tridentine peut, en quelques clics, se retrouver à suivre des comptes qui parlent d’abord de liturgie… puis de grand remplacement, puis de guerre civilisationnelle. L’escalade est progressive, presque naturelle.
« On commence par défendre la messe traditionnelle, on finit par défendre la race blanche. Le glissement est réel, et il est rapide chez certains. »
Un accompagnateur de jeunes catholiques
Que font les évêques face à cette infiltration ?
La question est posée dans toutes les conférences épiscopales. Certains diocèses ont pris des mesures fermes : interdiction de louer des locaux à certaines associations, vigilance accrue sur les prêtres qui célèbrent en dehors de leur diocèse, formation des séminaristes au discernement politique.
Mais c’est compliqué. D’un côté, on ne veut pas jeter l’opprobre sur tout le monde tradi. De l’autre, on sait que le problème existe. Un évêque me confiait récemment : « Si on écarte tous ceux qui dérapent, il y a des paroisses où on n’aura plus personne pour dire la messe dominicale. » La pénurie de prêtres joue, elle aussi, en faveur de ceux qui acceptent tout et n’importe quoi.
Et puis il y a la question juridique. Un prêtre a le droit de célébrer une messe pour les intentions qu’il veut, tant qu’il ne tombe pas sous le coup de la loi. Pétain ? Historiquement, des messes ont toujours été dites pour lui, comme pour d’autres figures controversées. Le problème, c’est quand ça devient un acte militant organisé.
Les jeunes : cible privilégiée de l’entrisme
Ce qui m’inquiète le plus, personnellement, c’est la jeunesse. J’ai rencontré des garçons et des filles de 20 ans, brillants, pieux, qui vous expliquent sérieusement que l’Église doit redevenir une forteresse identitaire. Ils citent pêle-mêle Charles Maurras, Dom Gérard ou des penseurs contemporains sulfureux, sans voir la contradiction avec l’Évangile.
Leur colère est réelle : ils ont grandi dans une France déchristianisée, ils cherchent des repères forts. Et certains leur en proposent, mais empoisonnés.
- Ils veulent de la beauté → on leur donne des liturgies somptueuses
- Ils veulent de la cohérence → on leur parle de doctrine intangible
- Ils veulent appartenir à quelque chose de grand → on leur vend la « chrétienté » comme ethnie européenne
Le cocktail est redoutable.
Et demain ?
L’Église catholique en France est à la croisée des chemins. Soit elle laisse s’installer une fracture entre un catholicisme « ouvert » (accusé de mollesse) et un catholicisme « identitaire » (accusé d’hérésie nationaliste), soit elle agit. Fort.
Certains proposent des lignes rouges claires : pas de politique dans les églises, pas de conférenciers extrémistes, formation obligatoire au discernement. D’autres pensent qu’il faut surtout redonner confiance aux catholiques sans les pousser dans les bras des marchands d’identité.
Une chose est sûre : le sujet n’est plus tabou. Les évêques en parlent entre eux, les laïcs s’organisent, les médias s’en emparent. L’affaire de Verdun n’est qu’un symptôme. Le mal est plus profond.
Et vous, qu’en pensez-vous ? L’Église doit-elle durcir le ton ou tendre la main ? Le débat est ouvert. Mais une chose est certaine : on ne pourra plus dire qu’on n’a rien vu venir.
(Article rédigé à partir de témoignages, de documents internes et d’observations de terrain – plus de 3200 mots)
