Imaginez arriver au bureau un jeudi matin comme les autres, prendre votre café, et apprendre que plus de 10 % de vos collègues pourraient bientôt partir. Pas à cause d’une faute, pas à cause de la conjoncture mondiale… juste parce que “le marché baisse”. C’est exactement ce qui vient de tomber chez Éricsson France.
134 postes en moins : le chiffre qui fait mal
Jeudi 27 novembre 2025, la direction française de l’équipementier suédois a présenté aux représentants du personnel un projet de rupture conventionnelle collective (RCC) visant à supprimer 134 emplois. Sur un effectif total d’environ un millier de personnes dans l’Hexagone, ça représente plus de 13 %. Autant dire que l’ambiance doit être glaciale dans les open-spaces.
Le plus dur ? L’immense majorité de ces suppressions va toucher le site de Massy, dans l’Essonne. Quelques postes à Lannion (Côtes-d’Armor) sont aussi concernés, mais c’est clairement le campus parisien qui va trinquer. On parle d’un site historique, un de ces endroits où on développait encore fièrement la 4G et la 5G il y a quelques années.
« On nous parle de baisse du marché, mais on voit bien que c’est une restructuration permanente »
– Un sentiment partagé par de nombreux salariés du secteur
Un plan « volontaire »… mais jusqu’à quel point ?
La direction met en avant le côté volontariat. Pas de licenciements secs, pas de PSE classique. En théorie, seuls partiront ceux qui le souhaitent. Sauf que dans la pratique, on sait tous comment ça se passe : primes de départ alléchantes, accompagnement externe, et une pression douce mais réelle sur ceux dont le poste est « redondant ».
D’expérience, quand une entreprise annonce « tout est volontaire », c’est rarement 100 % vrai. Certains partiront parce qu’ils y voient une opportunité. D’autres parce qu’ils sentiront que l’ambiance va devenir invivable s’ils restent. Et puis il y a ceux qui n’auront simplement plus de mission claire dans six mois.
- Toutes les fonctions sont concernées : R&D, commerce, support, administratif…
- Aucun calendrier précis communiqué pour l’instant
- Le projet doit encore être validé par les syndicats (condition obligatoire pour une RCC)
- La direction se dit « confiante » pour atteindre l’objectif de départs
Un air de déjà-vu avec Nokia
Ce qui rend l’annonce encore plus amère, c’est qu’elle arrive une semaine à peine après celle de Nokia. Le finlandais a annoncé vouloir supprimer plus de 400 postes en France, dont 343 à Paris-Saclay et 84 à Lannion. Même discours : marché difficile, nécessité de s’adapter, bla bla bla.
Lannion, d’ailleurs, prend cher des deux côtés. Le petit poucet breton de la télécoms, qui avait déjà morflé avec Alcatel-Lucent, se retrouve à nouveau en première ligne. On a presque l’impression que les grands groupes se passent le mot : « Besoin de tailler dans les effectifs français ? Direction la Bretagne ou l’Essonne ! »
Et pourtant, ces mêmes entreprises touchent des subventions, profitent du Crédit Impôt Recherche, forment des ingénieurs dans nos grandes écoles… pour finalement délocaliser la valeur ailleurs. C’est rageant.
Pourquoi maintenant ? Le marché télécoms tousse fort
On pourrait se dire « encore un plan social, rien de nouveau sous le soleil ». Sauf que là, on sent que quelque chose de plus profond est en train de se jouer dans le secteur des équipements télécoms.
La 5G, qui devait être le grand eldorado, patine sévèrement en Europe. Les investissements des opérateurs sont en berne, les prix des équipements ont chuté, et la concurrence chinoise (Huawei en tête, même si limité en Europe) reste féroce. Résultat : les marges fondent comme neige au soleil.
- Les opérateurs européens dépensent moins en infrastructure
- La consolidation du marché (fusions, mutualisations) réduit le nombre de clients
- Les coûts de R&D pour la 6G explosent alors que la 5G n’est pas encore rentabilisée
- Les sanctions géopolitiques compliquent tout (composants, marchés export)
Ajoutez à ça une inflation persistante et des taux d’intérêt qui restent élevés, et vous avez la recette parfaite pour des plans de « transformation » à répétition.
Et les salariés dans tout ça ?
Forcément, la question qui brûle les lèvres : qu’est-ce qu’ils deviennent, ces 134 personnes ?
Dans le meilleur des cas, certains retrouveront vite. Le bassin parisien reste dynamique, et un ingénieur télécoms expérimenté, ça reste recherché. Mais soyons honnêtes : à 45-50 ans, avec 20 ans d’ancienneté dans la même boîte, rebondir n’est pas si simple.
Et puis il y a l’effet psychologique. Quand vous avez passé des années à construire des réseaux qui connectent des millions de gens, vous découvrir « non essentiel », ça fait mal. Très mal.
« On construit l’avenir numérique de l’Europe… et on finit sur LinkedIn à chercher un job. Cherchez l’erreur. »
– Un témoignage anonyme qui résume tout
Une tendance lourde qui ne va pas s’arrêter là
Soyons lucides : ce n’est pas fini. Le secteur télécoms européen est en pleine consolidation. Entre les fusions d’opérateurs, la pression sur les prix, et la montée en puissance des acteurs asiatiques et américains (Samsung, Cisco, etc.), les équipementiers historiques suédois et finlandais sont coincés.
J’ai l’impression qu’on assiste à la fin d’une époque. Celle où l’Europe dominait la téléphonie mobile mondiale. Aujourd’hui, on sous-traite, on délocalise la R&D en Inde ou en Chine, et on garde en France… les coûts fixes et les plans sociaux.
Et pendant ce temps, les discours politiques sur la « souveraineté numérique » européenne sonnent de plus en plus creux.
Alors, que faire ?
La question n’est pas seulement pour les salariés d’Éricsson. Elle est pour tout un écosystème. Faut-il accepter cette hémorragie continue d’emplois qualifiés ? Ou faut-il enfin poser des conditions aux aides publiques accordées à ces multinationales ?
Personnellement, je trouve aberrant qu’on continue à subventionner des entreprises qui, quelques années plus tard, suppriment des centaines d’emplois en France tout en engrangeant des bénéfices records au niveau groupe. Il serait temps d’avoir un vrai débat là-dessus.
En attendant, les salariés de Massy et Lannion vont devoir faire face. Avec dignité, comme toujours. Mais avec aussi une sacrée dose d’amertume.
Et vous, qu’en pensez-vous ? Le secteur télécoms français est-il condamné à perdre ses fleurons un par un ? Ou y a-t-il encore de l’espoir pour une réindustrialisation numérique made in France ?
Une chose est sûre : cette annonce d’Éricsson n’est pas qu’un chiffre. C’est le symptôme d’un malaise bien plus profond. Et ça mérite qu’on s’y arrête plus de cinq minutes.
