Vous savez cette sensation quand un joueur fait soudainement quelque chose d’absolument pas prévu et que tout le stade retient son souffle ? Hier soir, au Stade de France, j’ai vécu ça. Pas juste un essai. Non. Une action qui reste gravée, du genre qu’on se rematricule dix fois au ralenti le lendemain matin.
31e minute. Les Bleus mènent difficilement 12-12 face à des Wallabies accrocheurs. Le ballon sort vite des mains de la mêlée, passe par Dupont, puis Ramos, et atterrit sur l’aile gauche où Louis Bielle-Biarrey attend, presque seul au monde.
Quand un ailier de 22 ans fait plier tout un pays en 8 secondes
Ce qui suit est difficile à raconter sans avoir l’air d’exgotiser, mais tant pis. LBB (c’est comme ça qu’on l’appelle dans le milieu) reçoit à cinq mètres de la touche. Un défenseur australien fond sur lui. Au lieu de se faire enfermer bêtement comme n’importe qui l’aurait fait, il accélère plein gaz le long de la ligne, feinte l’intérieur, puis – bam – petit coup de pied par-dessus le plaqueur.
Le ballon rebondit parfaitement dans son pas de course. Il le récupère en pleine vitesse, efface l’arrière d’un crochet intérieur sec, et file aplatir entre les poteaux comme si c’était la chose la plus naturelle du monde. Huit secondes. Huit secondes pour transformer un simple ballon d’attaque en chef-d’œuvre absolu.
« Franchement, quand il part comme ça, même nous sur le banc on se regarde en se disant : mais il va où là ? Et puis… paf, c’est fini. »
Un membre du staff du XV de France, juste après le match
Une action en trois temps qui résume tout le talent de LBB
Première phase : la pointe de vitesse. On savait qu’il était rapide, mais là, collé à la touche avec un défenseur à deux mètres, il crée l’écart en deux foulées. C’est presque injuste.
Deuxième phase : l’audace du chip. Beaucoup d’ailiers auraient tenté le raffut ou la passe intérieure. Lui non. Il voit l’espace derrière, il y va. Point final.
Troisième phase : la finition clinique. Crochet intérieur sur l’arrière, accélération finale, plongeon maîtrisé. On a l’impression qu’il a répété ça mille fois dans sa tête depuis qu’il a 12 ans.
19 essais en 22 sélections : les chiffres qui font tourner la tête
À 22 ans seulement, Louis Bielle-Biarrey compte déjà 19 essais en 22 capes avec le maillot bleu. Faites le calcul : ça fait presque un essai par match. Même Damian Penaud, à son âge, n’affichait pas ce ratio-là.
- Premier essai en Bleu : août 2023 contre l’Australie (déjà !)
- Record : 4 essais lors de la Coupe du monde 2023 (à 20 ans)
- Ratio actuel : 0,86 essai par match en sélection
- Comparaison : Jonah Lomu à son apogée tournait à 0,58
Et le plus fou ? Il n’est même pas titulaire indiscutable à son poste à Bordeaux. Concurrence, gestion de l’effectif, choix du coach… Peu importe. Dès qu’on lui donne dix mètres et un ballon, il fait mal.
Ce que cet essai dit du rugby français version 2025
Il y a deux écoles dans le rugby moderne. Celle qui veut tout structurer, tout calculer, tout jouer au pied. Et puis il y a les moments où un joueur décide que non, ce soir, on va jouer. Hier, Bielle-Biarrey a choisi la deuxième option.
Et ça tombe bien, parce que les Bleus en avaient besoin. Face à une Australie sans complexe, le jeu français patinait parfois dans l’animation trop scolaire. LBB a rappelé une vérité simple : parfois, le rugby reste un sport de duels et d’instinct.
J’ai repensé à cette phrase de Fabien Galthié il y a deux ans : « On veut des joueurs qui savent finir, mais aussi qui savent créer l’imprévisible. » Hier soir, on a eu les deux en même temps.
Le contexte du match : une première mi-temps à deux visages
Avant cet essai, les Bleus étaient plutôt dominés dans l’intensité. Les Australiens, avec leur nouvelle génération, jouaient sans peur. Deux essais rapides, une défense agressive, un jeu au pied chirurgical. À 12-12, on sentait même le public du Stade de France un peu crispé.
Puis ce moment. Ce déclic. Comme si tout à coup, les Français se rappelaient qui ils étaient. Derrière, Ramos transforme, 19-12, et le match bascule psychologiquement. Même si l’Australie reviendra à 19-19 à la pause, l’impression reste : les Bleus ont un supplément d’âme quand ça compte.
Pourquoi cet essai va marquer les esprits bien au-delà du score
Parce qu’il arrive à un moment charnière pour le rugby français. Entre les critiques sur le jeu parfois trop mécanique, les blessures à répétition, les interrogations sur certains cadres… Et là, un gamin de 22 ans montre la voie. Pas avec des mots. Avec des actes.
Et franchement, en tribune de presse, on s’est tous regardés avec le même sourire un peu bête : « Bon sang, mais on a peut-être le prochain grand ailier mondial sous les yeux. »
Et maintenant ? Vers un statut de titulaire indiscutable ?
La question mérite d’être posée. Avec Penaud toujours au top, Ramos qui peut dépanner à l’aile, Villière qui revient… La concurrence est rude. Mais quand tu marques des essais comme ça, tu forces le respect.
Personnellement, je pense qu’on assiste au début d’une très grande carrière internationale. Le genre de joueur qui, dans cinq ans, fera lever les stades rien qu’en touchant le ballon.
En attendant, si vous n’avez pas vu l’action, arrêtez tout et allez la regarder. Parce que parfois, le rugby, c’est juste ça : un moment de magie pure qui te rappelle pourquoi tu aimes ce sport.
Et quelque part, quelque part au Stade de France hier soir, un gamin de 22 ans a écrit une page qu’on racontera encore longtemps.
Fin de l’histoire ? Non. Juste le début.
