Imaginez un peu la scène. Kinshasa, une nuit d’anniversaire pas comme les autres, cinquante et un ans après le choc des titans entre Muhammad Ali et George Foreman. Le même stade, la même moiteur, la même ferveur populaire. Et au milieu du ring, une femme qui n’était plus montée sur les planches depuis seize longs mois. Estelle Mossely. Oui, celle qui nous avait fait vibrer à Rio en 2016 avec l’or olympique autour du cou. Elle revient. Et pas n’importe où.
Un retour qui sent la terre rouge et l’histoire
Franchement, quand on m’a annoncé la nouvelle, j’ai eu des frissons. Pas seulement parce qu’une championne reprend les gants après une grosse désillusion – on en a vu d’autres –, mais parce que ce combat-là dépasse très largement le cadre sportif. C’est presque un pèlerinage. La fille d’un père congolais qui choisit justement le pays de ses racines pour renouer avec la compétition. Il y a quelque chose de profondément touchant là-dedans.
Elle-même l’a dit sans détour : « Je vais mettre un point d’honneur à mettre en avant mes origines. » Et quand on connaît un peu le parcours d’Estelle, on comprend que ce n’est pas une phrase en l’air. Vingt ans de boxe, quinze au plus haut niveau sous les couleurs françaises, un titre olympique, des ceintures professionnelles… Elle a tout donné pour le drapeau tricolore. Et là, à 33 ans, après l’élimination précoce aux Jeux de Paris l’été dernier, elle se recentre. Elle revient à l’essentiel.
Le Rumble in the Jungle, plus qu’un simple anniversaire
1974. Zaïre. Mobutu qui veut mettre son pays sur la carte mondiale. Ali qui joue sa carrière et son aura. Foreman, machine de guerre invaincue. Trente mille personnes dans la nuit africaine, des millions devant leurs postes. Le combat du siècle. On connaît la suite : le rope-a-dope, le huitième round, l’explosion de joie. Ce soir-là, la boxe est devenue bien plus qu’un sport.
Cinquante et un ans plus tard, la flamme est toujours là. Et organiser une grande soirée pour célébrer cet anniversaire n’a rien d’anodin. D’ailleurs, la présence (même en civil) d’une légende comme Mike Tyson montre l’ampleur de l’événement. Mais le vrai symbole, c’est elle. Estelle. Une femme, fille du continent, qui vient boxer là où l’histoire s’est écrite.
« Ça fait vingt ans que je boxe, j’ai mis quinze ans au haut niveau pour la France. […] Il était temps de revenir et apporter ce que j’ai à apporter sur le territoire. »
Cette phrase, elle résume tout. Un sentiment de dette, presque. Comme si après avoir reçu tant de la France, elle voulait rendre à la terre de son père ce qu’elle a appris, ce qu’elle est devenue.
Ellen Simwaka : l’adversaire venue du Malawi
En face, il y aura du répondant. La Malawite Ellen Simwaka n’est pas là pour faire de la figuration. Dix rounds de deux minutes en poids légers, un format olympique qui change un peu des habitudes professionnelles. Ce sera technique, rapide, intense. Estelle le sait : pas question de prendre ce combat à la légère, même si l’enjeu dépasse la simple victoire.
On peut d’ailleurs se demander si la forme physique sera au rendez-vous après une si longue pause. Seize mois sans combat officiel, c’est énorme à ce niveau. Mais ceux qui ont suivi ses entraînements récents parlent d’une Mossely affûtée, motivée comme jamais. L’envie de prouver qu’elle n’est pas finie, qu’elle peut encore écrire de belles pages.
Des origines qu’on assume à 100 %
Ce qui frappe le plus dans cette histoire, c’est la fierté tranquille avec laquelle elle parle de ses racines multiples. Française, congolaise, ukrainienne par sa mère. Un mélange qui aurait pu être compliqué à porter dans une carrière où l’on représente souvent un seul drapeau. Elle, elle refuse de choisir.
Et si demain elle défendait les couleurs de la République démocratique du Congo ? Elle ne ferme aucune porte. Pas forcément sur un ring – elle en est consciente, les années passent –, mais peut-être dans d’autres rôles. Présidence de fédération, développement de la boxe féminine sur le continent, transmission. Elle a les idées claires.
- Créer des académies pour les jeunes filles en Afrique
- Faire venir des entraîneurs qualifiés dans des pays où les moyens manquent
- Montrer que championne olympique et africaine, c’est compatible
- Prouver que l’on peut réussir sans renier d’où l’on vient
En ça, elle est déjà un modèle. Combien de petites Congolaises, de petites Maliennes, de petites Ivoiriennes vont regarder ce combat en se disant : « Elle me ressemble. Elle a réussi. Pourquoi pas moi ? » C’est peut-être ça, le vrai KO de la soirée.
Paris 2024, la blessure encore vive
On ne peut pas parler de ce retour sans évoquer la déception des Jeux olympiques à domicile. Éliminée dès le premier tour, chez elle, devant son public. Le genre de moment qui vous coupe les jambes. Beaucoup auraient rangé les gants pour de bon. Pas elle.
J’ai revu les images. Le visage fermé, les larmes retenues. On sentait que quelque chose s’était brisé. Mais en réalité, c’est souvent dans ces moments-là que naissent les plus belles renaissance. Kinshasa, c’est sa réponse. Pas un adieu à la boxe, mais un au revoir à une certaine idée de sa carrière.
Et après ? Vers un nouveau chapitre
À 33 ans, elle n’est plus toute jeune dans le monde de la boxe féminine, surtout dans les catégories légères où la vitesse prime. Mais l’expérience, la maturité, la lecture du combat, ça ne s’achète pas. Et puis elle a cette aura maintenant. Celle des championnes qui ont marqué leur époque.
Certains parlent déjà d’un possible passage en MMA – elle n’a jamais caché son intérêt –, d’autres d’un rôle plus institutionnel. Moi, je crois qu’on n’a pas fini d’entendre parler d’elle. Parce que des sportives comme Estelle, qui portent en elles plusieurs cultures et qui refusent de choisir entre elles, on en a besoin. Plus que jamais.
Alors samedi soir, quand les lumières s’allumeront sur le ring de Kinshasa et que le gong retentira, ce ne sera pas qu’un combat de boxe. Ce sera un peu de l’histoire qui se réécrit. Un peu de fierté africaine qui reprend ses droits. Et beaucoup d’émotion pour ceux qui, comme moi, croient encore que le sport peut changer des vies.
Allez Estelle. On sera nombreux derrière l’écran à pousser avec toi.
(Article écrit avec le cœur, un soir de novembre 2025, en pensant à toutes les petites filles qui rêvent de monter sur un ring un jour.)
