Il est à peine cinq heures du matin, le froid de novembre colle aux murs, et déjà deux hommes ne sont plus là où ils auraient dû passer encore de longs mois. À la maison d’arrêt de Dijon, dans le quartier disciplinaire – oui, celui réservé aux profils les plus compliqués –, deux détenus en attente de jugement ont tout simplement… scié leurs barreaux et filé à l’anglaise. Franchement, quand on entend ça, on se dit que certains films sont moins rocambolesques que la réalité.
Une évasion à l’ancienne qui pose de sacrées questions
Reprenons depuis le début. Les deux hommes étaient placés en détention provisoire, autrement dit ils n’avaient même pas encore été jugés. On les avait isolés au quartier disciplinaire, un secteur censé être parmi les plus surveillés de l’établissement. Pourtant, entre la ronde de nuit et celle du petit matin, ils ont trouvé le temps, le calme et surtout le matériel pour découper proprement les barreaux de leur cellule respective.
Une lame de scie. Rien que ça. Comment une telle chose arrive-t-elle entre les mains de détenus ? C’est la question qui brûle toutes les lèvres, et croyez-moi, elle ne date pas d’aujourd’hui.
Comment on scie des barreaux en 2025 sans se faire repérer ?
Les barreaux, ce ne sont pas des cure-dents. Même vieux, même rouillés par endroits, il faut du temps, de la patience et un outil costaud pour venir à bout d’un seul. Alors deux cellules, plusieurs barreaux chacun… On parle d’heures de travail. Le bruit, déjà, aurait dû alerter quelqu’un. Sauf que, visiblement, soit le bruit a été étouffé, soit personne n’était assez près pour l’entendre.
J’ai déjà visité quelques établissements pénitentiaires dans le cadre de reportages, et je peux vous dire une chose : quand on manque cruellement de personnel, les rondes s’espacent, les caméras sont parfois hors service, et les agents font ce qu’ils peuvent avec les moyens du bord. Résultat ? Des failles. Parfois béantes.
« Les signalements sur l’état de sécurité de cet établissement duraient depuis des mois, voire des années. Rien n’a bougé. Cette évasion est la conséquence directe d’un manque criant de moyens humains et matériels. »
Un représentant syndical du personnel pénitentiaire
Le quartier disciplinaire, le paradoxe absolu
On place les détenus jugés les plus « à risque » dans ce qu’on appelle le QD – quartier disciplinaire. En théorie, c’est l’endroit où la surveillance est maximale. En pratique… c’est souvent l’endroit où les effectifs sont les plus tendus, parce qu’il faut gérer des profils compliqués avec parfois un seul agent pour tout un couloir.
Et là, deux gars arrivent à se coordonner (parce qu’on imagine mal qu’ils aient agi chacun de leur côté sans concertation), à se procurer le même type d’outil, à travailler de nuit, à sortir par les fenêtres, à descendre (on parle de cellules en étage) et à s’évaporer dans la nature sans déclencher la moindre alarme. Chapeau l’artiste, mais surtout : alerte rouge pour le système.
Les précédents : on prend les mêmes et on recommence ?
Ce n’est pas la première fois qu’une évasion par sciage de barreaux fait la une. On se souvient tous de cas célèbres, parfois dignes des plus grands films d’action. Ce qui change, c’est que ces méthodes « à l’ancienne » reviennent en force alors qu’on nous vendait la prison ultra-moderne, bardée de caméras, de détecteurs de mouvement et de portiques dernier cri.
- Barreaux sciés à Fresnes en 2001
- Évasion par la fenêtre à Sequedin en 2013 (Rédoine Faïd, rien que ça)
- Fuite par les toits à Réau en 2018 (encore lui, en hélicoptère cette fois)
- Et maintenant Dijon en 2025… avec une simple lame de scie
On a beau renforcer les portes blindées, poser des filets anti-hélico, si on laisse les fenêtres avec des barreaux d’un autre siècle et qu’on ne contrôle plus ce qui rentre dans les cellules, on court droit dans le mur.
Où sont-ils passés ? La traque est lancée
À l’heure où j’écris ces lignes, les deux hommes sont activement recherchés. Hélicoptères, chiens, barrages routiers… tout le dispositif classique est déployé. Mais on sait très bien que les premières 48 heures sont déterminantes. Passé ce délai, les chances de les retrouver diminuent fortement, surtout s’ils ont bénéficié de complicités extérieures.
Et là encore, une question qui dérange : étaient-ils seuls ? Avoir une lame de scie, c’est déjà énorme. Mais avoir le temps, le calme et peut-être un véhicule qui attend dehors… ça sent la préparation minutieuse.
Et maintenant ? Vers un énième rapport qui dormira dans un tiroir ?
Chaque évasion spectaculaire est suivie du même scénario : enquête interne, rapport accablant, promesses de moyens supplémentaires, et puis… plus rien. Ou si peu. La surpopulation carcérale continue, le turn-over du personnel aussi, et les vieux établissements continuent de vieillir.
Ce qui s’est passé à Dijon ce matin n’est pas qu’un fait divers croustillant. C’est le symptôme d’un système qui craque de partout. Et tant qu’on refusera de regarder la réalité en face – à savoir qu’on ne peut pas gérer 75 000 détenus avec les moyens d’il y a vingt ans –, eh bien ces histoires continueront de se répéter.
Une prison sécurisée, ce n’est pas seulement des murs plus hauts ou des caméras en plus. C’est d’abord des femmes et des hommes en nombre suffisant, formés, et valorisés.
Ce matin, deux hommes ont réussi l’impossible avec une simple lame de scie. Demain, ça pourrait être pire. Et ça, franchement, ça fait froid dans le dos.
Affaire à suivre, évidemment. Mais une chose est sûre : cette évasion-là, on va en parler encore longtemps.
