Il y a des journées où l’on croit que tout est fini. Où l’on sent la mort arriver à 50 km/h dans un bruit de tôle froissée. Hélène, la quarantaine paisible dans un petit village de l’Oise, a vécu cela un soir de juillet. Et pourtant, quatre mois plus tard, l’homme qui a voulu la tuer marche librement dans les mêmes rues.
Cette histoire, malheureusement, n’a rien d’exceptionnel. Elle ressemble à tant d’autres. Mais elle mérite qu’on s’y arrête, parce qu’elle dit tout de l’abîme qui peut séparer la réalité d’une victime et la réponse, parfois dérisoire, du système judiciaire.
Une soirée qui bascule en quelques secondes
Ce 17 juillet, il fait encore jour quand la camionnette blanche surgit. Hélène est dans son jardin, tranquille, comme n’importe qui après une journée de travail. Elle entend le moteur rugir, voit le véhicule foncer droit sur le portail. Le choc est brutal. Le portail vole en éclats. Et puis il y a ce second impact. Le fourgon qui recule, qui avance encore, qui la heurte de plein foulet.
« J’ai senti mon corps être projeté, raconte-t-elle la voix encore tremblante. J’ai cru que c’était terminé. » Elle se relève miraculeusement, le corps couvert de bleus, une cheville cassée, le crâne douloureux. Mais vivante. Vivante malgré l’intention évidente, selon elle, de celui qui tenait le volant : son ex-compagnon.
« Il a enclenché la marche arrière, puis il a réavancé. C’était volontaire. Il voulait me tuer. »
Hélène, victime
Un passé en pointillés, un présent explosif
Ils s’étaient connus jeunes, avaient vécu ensemble par intermittence. Jamais de coups à l’époque. Dix ans sans se voir. Puis les chemins se recroisent, il y a quatre ans. La relation reprend, différente. Plus lourde. Plus possessive. Et puis la rupture, définitive cette fois. Lui ne l’accepte pas.
Les messages deviennent insistants, les appels incessants. Hélène change de numéro, déménage même un temps chez une amie. Rien n’y fait. Ce soir de juillet, il débarque. Il sait où elle habite. Il sait qu’elle est seule.
Après l’impact, il descend du véhicule. Il crie. Il pleure. Il dit qu’il regrette. Les voisins, alertés par le vacarme, appellent les gendarmes. Lui est emmené, placé en garde à vue. Hélène, elle, file aux urgences.
Le procès : 15 mois avec sursis et la stupeur
Le 22 novembre, le tribunal correctionnel juge les faits. Les chefs d’accusation : violences sur conjoint et dégradation de bien privé. Le procureur requiert de la prison ferme. La défense plaide le « geste désespéré », l’absence d’antécédents judiciaires, la promesse de soins psychiatriques.
Verdict : quinze mois de prison avec sursis probatoire pendant trois ans, obligation de soins, interdiction d’approcher la victime et de détenir une arme. Pas un jour de détention provisoire supplémentaire. Il ressort libre du palais de justice.
Sur les marches, Hélène reste figée. « J’ai tout entendu, mais je n’arrivais pas à y croire. Quinze mois avec sursis pour avoir tenté de me tuer ? » Ses proches la soutiennent, elle tremble de colère et de peur mélangées.
« Sa vie continue comme avant. Il va retravailler, revoir ses amis, dormir dans son lit. Moi, je dors avec la lumière allumée, je sursaute au moindre bruit de moteur. »
Un traumatisme qui ne s’efface pas avec une peine symbolique
Depuis l’agression, Hélène ne vit plus vraiment. Les séquelles physiques sont là : la cheville qui la lance dès qu’il pleut, les migraines à répétition. Mais le plus dur, c’est dans la tête. Les cauchemars toutes les nuits. L’impression permanente d’être suivie. L’angoisse quand elle doit rentrer chez elle à la tombée du jour.
Elle a porté plainte, bien sûr. Elle a obtenu une ordonnance de protection. Mais comment se sentir protégée quand l’auteur des faits dort à quelques kilomètres, libre de ses mouvements tant qu’il respecte – théoriquement – l’interdiction de l’approcher ?
- Elle a changé ses serrures trois fois.
- Elle a installé des caméras.
- Elle dort avec son téléphone greffe à la main, le numéro des gendarmes en favori.
- Elle a déménagé son fils chez ses parents « au cas où ».
Et pourtant, la justice a tranché. Pas assez grave pour de la prison ferme.
La question qui brûle : quand la peine protège-t-elle vraiment la victime ?
Je ne vais pas vous faire l’injure de dire que tous les dossiers se ressemblent. Mais force est de constater que les peines avec sursis pleuvent dans ce type d’affaires, surtout quand il n’y a « que » des blessures et pas de mort. Comme si la tentative ne comptait pas autant que l’issue fatale.
On entend souvent : « Il n’avait pas d’antécédents », « Il a reconnu les faits », « Il présente des garanties de représentation ». Des arguments juridiques solides, certes. Mais pour la victime, ça sonne comme une seconde claque.
Et puis il y a cette réalité crue : en France, un féminicide a lieu tous les trois jours. Derrière chaque féminicide, il y a presque toujours des violences antérieures non sanctionnées assez fermement. Des mains courantes classées. Des plaintes minimisées. Des peines avec sursis.
Le bracelet anti-rapprochement, une solution encore trop rare
Depuis 2020, le bracelet anti-rapprochement existe. Un dispositif électronique qui alerte immédiatement les forces de l’ordre si l’auteur s’approche à moins de X kilomètres de la victime. En théorie, c’est génial. En pratique ? Moins de 1 000 bracelets posés en quatre ans. Parce qu’il faut l’accord du procureur, parce qu’il y a des délais, parce que ça coûte cher.
Dans le cas d’Hélène, il n’a même pas été évoqué au procès.
Journée internationale contre les violences faites aux femmes : un symbole amer
Le 25 novembre, on allume des lumières orange, on poste des rubans blancs, on parle sororité et résilience. Hélène, elle, a choisi de parler. Pas pour faire le buzz. Juste pour que son histoire, comme tant d’autres, ne tombe pas dans l’oubli.
Elle veut que l’on comprenne que derrière les statistiques, il y a des femmes qui ne dorment plus, qui vivent avec la peur au ventre, qui se demandent chaque matin si aujourd’hui sera le jour où il reviendra finir le travail.
« Je ne suis pas une statistique. Je suis une femme qui a failli mourir sous les roues d’une camionnette pilotée par celui qui disait m’aimer. »
Et demain ?
Hélène suit une thérapie. Elle a repris le travail à mi-temps. Elle essaye de reconstruire, pierre par pierre. Mais elle sait que la menace plane tant que la peine reste symbolique.
Elle espère simplement que son témoignage fera bouger les lignes. Pas pour elle – il est peut-être trop tard. Mais pour les suivantes. Pour que plus jamais une femme n’ait à entendre, en sortant du tribunal : « Il a voulu me tuer… et il ressort libre. »
Parce que non, la vie ne doit pas continuer comme avant. Ni pour lui. Ni pour elle.
Si vous ou une proche êtes victime de violences conjugales, appelez le 3919. C’est anonyme, gratuit, et disponible 24h/24. Vous n’êtes pas seules.
