Il est un peu plus de huit heures, un jeudi matin comme tant d’autres dans cette petite ville tranquille du Bas-Rhin. Et puis, d’un seul coup, plus rien ne sera jamais comme avant. Une femme gît sur le bitume, au pied d’un immeuble de plusieurs étages. Les passants s’arrêtent, pétrifiés. Les sirènes hurlent. Et l’on commence déjà à murmurer la question que personne n’ose formuler tout haut : accident, suicide… ou crime ?
Dans les heures qui suivent, la réponse penche dangereusement vers la troisième hypothèse. Le mari, un homme de soixante ans sans antécédents judiciaires connus, est emmené menotté. Les enquêteurs parlent d’incohérences flagrantes dans sa version des faits. Ce qui devait être un drame intime devient, en quelques heures, l’un de ces faits divers qui glacent le sang et ravivent le débat jamais vraiment clos sur les violences conjugales.
Un drame qui commence comme tant d’autres
Haguenau, 36 000 habitants, une ville paisible à une trentaine de kilomètres au nord de Strasbourg. Des rues propres, des maisons à colombages, l’odeur du pain au munster le samedi matin. Rien, a priori, qui laisse présager le pire. Et pourtant.
Ce 27 novembre 2025, les pompiers reçoivent l’appel à 8 h 10 précises. Une femme vient de faire une chute mortelle depuis une fenêtre du troisième étage. Quand les secours arrivent, il est déjà trop tard. La victime, âgée d’une cinquantaine d’années d’après les premières constatations, n’a pas survécu au choc.
Très vite, le mari est sur place. Il est bouleversé, bien sûr. Il répète la même chose aux premiers policiers : sa femme s’est défenestrée elle-même. Un geste désespéré. Une dispute, peut-être, mais rien qui justifie ce qu’il présente comme un suicide impulsif. Il pleure. Il tremble. Il semble sincère.
Les voisins, ces témoins malgré eux
Mais il y a les voisins. Et les voisins, eux, ont entendu autre chose dans la nuit ou tôt le matin – les enquêteurs préciseront l’horaire exact plus tard. Des cris. Des insultes. Des meubles qu’on déplace violemment. Le genre de dispute qui fait dresser l’oreille et fermer ses volets à double tour en espérant que ça se calme.
L’un d’eux, interrogé dans la matinée, lâche une phrase qui change tout : « Ils se disputaient souvent ces derniers temps, mais là c’était pire que d’habitude ». Un autre raconte avoir entendu une voix d’homme hurler, puis un bruit sourd, comme un corps qui tombe. Et ensuite, le silence. Ce silence lourd, presque plus effrayant que les cris.
Dans ce genre d’affaires, le témoignage des voisins est souvent déterminant. Ils entendent ce que le couple pense garder pour lui.
– Un enquêteur spécialisé en violences intrafamiliales
Un récit qui ne tient pas la route
Face aux policiers, le sexagénaire maintient sa version. Sa femme était dépressive. Elle avait déjà parlé de « partir ». Il avait tenté de la raisonner, en vain. Selon lui, elle aurait ouvert la fenêtre et sauté sous ses yeux, presque sans un mot.
Sauf que plusieurs détails clochent. Gravement.
- Pourquoi la fenêtre était-elle grande ouverte en plein mois de novembre ?
- Pourquoi aucune trace de lettre, aucun message d’adieu, rien qui ressemble à une préparation de suicide ?
- Et surtout : comment expliquer les bleus récents sur les bras de la victime, relevés par le médecin légiste ?
Autant de questions qui transforment rapidement l’audition libre en garde à vue. L’homme, jusque-là inconnu des services de police, se retrouve dans une cellule du commissariat de Haguenau. L’ambiance n’a plus rien à voir avec le café du commerce du coin.
L’ombre toujours plus lourde des féminicides
Ce drame arrive dans un contexte particulièrement douloureux. Les derniers chiffres officiels, publiés il y a quelques semaines à peine, font état d’une hausse de 11 % des féminicides conjugaux entre 2023 et 2024. 107 femmes tuées par leur conjoint ou ex-conjoint rien que l’an dernier. Et 2025, hélas, semble parti pour faire pire.
Derrière ce chiffre froid, il y a des prénoms, des visages, des familles brisées. Et très souvent le même scénario : un couple en crise, des disputes qui dégénèrent, un geste fatal présenté d’abord comme un accident ou un suicide. Avant que la vérité, lentement, ne finisse par éclater.
J’ai couvert suffisamment de ces affaires pour savoir que la première version est rarement la bonne. Le conjoint minimise, nie, pleure. Et puis viennent les expertises, les témoignages, les analyses toxicologiques. Et là, le masque tombe.
Une expertise psychiatrique déjà programmée
Dès le jeudi après-midi, les enquêteurs décident d’aller vite. L’homme doit être vu par un psychiatre. Pas seulement pour évaluer sa dangerosité ou son état au moment des faits, mais aussi – et c’est souvent le cas – pour déterminer s’il est accessible à une sanction pénale.
Car oui, dans certains dossiers, l’argument de la « crise de folie » ou du « passage à l’acte irrépressible » resurgit. Parfois à raison. Souvent comme ultime carte de la défense.
Ce que ce drame nous dit, encore une fois
On pourrait se dire qu’on a tout entendu, tout lu. Et pourtant, chaque nouveau cas fait mal. Parce qu’on se rend compte, à chaque fois, que les signaux étaient là. Les disputes répétées. Les plaintes classées sans suite. Les mains courantes jamais suivies d’effet. Les voisins qui n’osent pas appeler la police « pour ne pas créer d’histoires ».
Et puis il y a cette terrible impression de déjà-vu. Le conjoint « sans histoire », le couple « normal » vu de l’extérieur, la chute présentée comme un suicide. Un schéma qui se répète, presque à l’identique, dans trop de villes de France.
Alors oui, l’enquête est en cours. Oui, la présomption d’innocence doit jouer. Mais quand on voit le nombre de dossiers où la version initiale s’effondre comme un château de cartes, on ne peut s’empêcher de penser que l’histoire, malheureusement, risque de se répéter.
Et maintenant ?
Pour l’instant, l’homme reste en garde à vue, prolongeable jusqu’à 48 heures, voire plus si les faits sont requalifiés en homicide volontaire. L’autopsie, pratiquée dans les prochains jours, dira si la victime présentait d’autres lésions que celles liées à la chute. Les téléphones seront épluchés. Les ordinateurs aussi. Chaque message, chaque appel pourra compter.
Dans le quartier, le choc est immense. Des bouquets de fleurs commencent à s’accumuler au pied de l’immeuble. Des riverains se recueillent en silence. Et beaucoup se disent la même chose : « Si seulement on avait su… ».
Comme toujours dans ces affaires, la vérité mettra du temps à émerger complètement. Mais une chose est déjà sûre : une femme est morte. Et derrière ce drame, il y a toute une société qui doit se regarder en face et se demander, encore une fois, ce qu’elle est prête à faire pour que ça s’arrête.
Parce qu’on ne peut plus se contenter de compter les mortes.
