Parfois, une simple phrase lue dans les faits divers vous glace le sang plus que n’importe quel thriller. « Visage tuméfié ». Deux mots qui suffisent à faire surgir des images insoutenables. C’est ce qui est arrivé à Beaucaire, dans le Gard, quand une femme de 50 ans a été retrouvée morte dans sa chambre. Et celui qui a prévenu les autorités ? Son compagnon, un homme de 61 ans, connu localement comme journaliste.
On imagine mal un scénario plus sordide. Et pourtant, ce drame s’inscrit dans une terrifiante banalité : celle des violences conjugales qui finissent mal, trop souvent.
Une découverte macabre qui laisse peu de place au doute
Jeudi matin, un homme se présente au commissariat de Tarascon, dans les Bouches-du-Rhône, juste à côté. Il dit calmement qu’il vient de découvrir sa compagne sans vie chez elle. Les policiers se rendent immédiatement sur place, à Beaucaire. Ce qu’ils trouvent dépasse l’entendement.
La victime gît sur son lit, le visage gravement tuméfié. Les traces de coups sont évidentes. L’homme est aussitôt placé en garde à vue pour meurtre sur conjoint. L’autopsie, pratiquée rapidement, confirmera ce que tout le monde redoute : il existe un lien direct entre les violences subies et le décès.
Le suspect parle d’une chute. D’une soirée arrosée – ils buvaient beaucoup tous les deux, dit-il. Il prétend l’avoir retrouvée endormie, puis froide quelques heures plus tard. Mais les blessures racontent une tout autre histoire.
Un passé déjà marqué par la violence
Ce n’est pas la première fois que ce couple fait parler de lui aux forces de l’ordre. Le 24 mai 2024, un épisode violent avait déjà eu lieu. À l’époque, une procédure avait été ouverte et une ordonnance de protection prononcée : interdiction d’approcher la victime pendant trois mois.
Pendant cette période, aucun incident signalé. Le calme avant la tempête ? En tout cas, une fois l’interdiction levée, le couple s’est visiblement retrouvé. Avec les conséquences que l’on connaît.
« Aucun incident n’était rapporté pendant la durée d’interdiction de contact »
Communiqué du parquet de Nîmes
Cette phrase administrative, froide, en dit long. Elle rappelle à quel point ces mesures sont parfois des pansements sur une plaie béante.
L’alcool, ce faux ami qui revient sans cesse
Dans ses déclarations, le mis en cause insiste lourdement sur leur consommation d’alcool « très importante au quotidien ». Comme si cela pouvait expliquer, voire excuser, ce qui s’est passé. C’est une ritournelle que l’on entend trop souvent dans ce genre d’affaires.
L’alcool n’est pas une circonstance atténuante. Il est parfois un déclencheur, souvent un révélateur de violences déjà présentes. Et dans ce cas précis, il n’explique pas les coups portés au visage.
J’ai couvert assez de faits divers pour savoir que l’alcool revient dans 40 à 50 % des féminicides selon certaines études. Mais il n’est jamais la cause unique. Il désinhibe, il exacerbe, il rend aveugle à la souffrance de l’autre. Point.
Un profil inattendu : un journaliste de 61 ans
C’est peut-être l’élément le plus troublant. On s’attend à tout, sauf à ça. Un homme de 61 ans, exerçant une profession intellectuelle, respectée. Quelqu’un qui sait parler, qui sait écrire, qui connaît probablement le poids des mots.
Et pourtant. La violence n’a pas de catégorie sociale, pas de diplôme, pas de métier. Elle frappe partout. Elle se cache derrière des façades impeccables. C’est ce qui rend ces affaires si difficiles à prévenir.
- Un couple qui vivait séparé mais continuait à se voir
- Une consommation d’alcool massive reconnue par les deux
- Un précédent épisode violent sanctionné par la justice
- Une interdiction de contact levée quelques mois avant le drame
- Un visage tuméfié qui contredit la version de la « chute »
Tous ces éléments formaient une bombe à retardement. Et elle a explosé.
Les féminicides en France : des chiffres qui ne baissent pas
Cette affaire n’est malheureusement pas isolée. Chaque année, on nous ressort les mêmes statistiques accablantes. Plus de 100 femmes tuées par leur conjoint ou ex-conjoint. En 2024, la tendance est même à la hausse selon les derniers chiffres officiels.
Plus de trois féminicides ou tentatives par jour. Laissez-moi vous dire que quand on écrit ce genre de phrase tous les deux ou trois jours, on finit par se demander si quelque chose va vraiment changer un jour.
Et le pire ? Beaucoup de ces drames étaient évitables. Des signaux d’alerte avaient été donnés. Des plaintes déposées. Des mesures prises. Parfois, comme ici, une ordonnance de protection. Et pourtant…
Que nous apprend cette affaire sur les failles du système ?
La question qui brûle les lèvres : l’interdiction de contact de trois mois a-t-elle été suffisante ? Évidemment non. Trois mois, c’est ce que l’on donne parfois pour un stationnement gênant. Pour des violences conjugales, c’est dérisoire.
Ensuite, il y a la question du suivi. Que se passe-t-il quand l’interdiction prend fin ? Y a-t-il un accompagnement renforcé ? Une alerte ? Un signalement systématique ? Dans la majorité des cas, non.
Et puis il y a l’alcoolisme du couple. Un facteur aggravant que les services sociaux connaissent souvent. Mais là encore, les prises en charge sont rares, surtout quand les deux partenaires boivent ensemble.
Le parcours judiciaire qui s’annonce
Pour l’instant, l’homme a été mis en examen pour meurtre sur conjoint et placé en détention provisoire. Il conteste farouchement les faits. L’instruction va durer des mois, voire des années.
Les enquêteurs vont éplucher les téléphones, les messages, les témoignages des voisins. Ils vont reconstituer minute par minute cette soirée fatale. L’autopsie sera complétée par des expertises toxicologiques et médico-légales poussées.
Mais une chose est sûre : la version de la « simple chute » a déjà du plomb dans l’aile. Les blessures au visage ne collent pas avec ce scénario.
Et après ? Quand est-ce qu’on arrêtera de compter les mortes ?
Je ne vais pas vous faire le couplet habituel sur « il faut briser le silence ». On le sait. On le répète à chaque fois. Ce que je veux dire, c’est que cette affaire de Beaucaire, comme tant d’autres, montre que le problème n’est pas seulement individuel. Il est systémique.
On forme mal les policiers à repérer les signes. On sous-estime encore trop souvent les plaintes pour violences conjugales. On manque cruellement de places en hébergement d’urgence. Les bracelets anti-rapprochement sont déployés au compte-gouttes. Et surtout, surtout, on continue de croire que « chez les gens bien », ça n’arrive pas.
Erreur. Ça arrive partout. Chez le journaliste de 61 ans comme chez l’ouvrier, le cadre, le chômeur. La violence n’a pas de visage type.
Cette femme de 50 ans avait une vie, des proches, probablement des rêves qui ne se réaliseront jamais. Elle mérite qu’on parle d’elle autrement que comme une statistique de plus.
Et nous, on mérite un monde où ce genre d’article ne sera plus nécessaire.
Cette affaire est encore en cours. L’instruction dira si le mis en cause sera jugé pour meurtre ou pour une qualification moindre. Mais une chose est certaine : une femme est morte, probablement sous les coups de celui qui disait l’aimer. Et ça, ça ne passe pas.
