Vous souvenez-vous de l’ambiance électrique du dernier festival d’Angoulême ? Ces files d’attente interminables devant les stands, ces auteurs qui dédicacent jusqu’à l’épuisement, cette odeur de papier neuf qui flotte partout… Et si, l’an prochain, tout cela n’était plus qu’un souvenir ? Franchement, l’idée me noue l’estomac.
Depuis quelques jours, le plus grand rendez-vous mondial de la bande dessinée navigue en pleine tempête. Les appels au boycott pleuvent, les financeurs publics tapent du poing sur la table et, cerise sur le gâteau, la présidente de l’association historique vient de se mettre en retrait. On est loin de la fête joyeuse qu’on connaît tous.
Un festival au bord du précipice
Pour comprendre où on en est, il faut remonter un peu. L’incendie a vraiment pris juste avant l’édition 2025. Des accusations graves : opacité financière, gestion jugée trop mercantile, et surtout une affaire dramatique autour d’une salariée qui avait porté plainte pour des faits survenus en marge du festival. Le genre de cocktail qui fait exploser la poudrière quand on touche à la BD, un milieu où la passion le dispute souvent à la susceptibilité.
La société qui organisait l’événement depuis près de vingt ans s’est retrouvée dans le collimateur. Les pouvoirs publics, qui mettent près de la moitié du budget sur la table (quand même), ont commencé à grincer des dents. Et quand les éditeurs, les auteurs et les autrices se mettent à parler de boycott, là, ça devient sérieux.
La confiance est rompue : les mots qui font mal
Le syndicat des éditeurs ne mâche pas ses mots. Pour eux, « la confiance est rompue ». Point final. Ils estiment que la personne qui dirigeait l’association porte une large part de responsabilité dans le chaos actuel. Difficile de leur donner totalement tort quand on voit la succession de décisions qui ont mis le feu aux poudres.
« Artisan du chaos » : l’expression est dure, mais elle résume bien le sentiment général dans la profession en ce moment.
J’ai discuté avec plusieurs auteurs ces derniers jours (en off, évidemment). Beaucoup sont épuisés par ces guerres de tranchées. Ils aiment leur festival, ils y ont grandi, ils y ont rencontré leurs lecteurs. Mais là, ils ont l’impression qu’on leur demande de choisir entre leurs convictions et leur événement fétiche. Pas simple.
Le retrait qui change tout (ou presque)
Monday 17 novembre, coup de théâtre : la présidente de l’association historique annonce qu’elle se met en retrait. Officiellement, c’est pour « apaiser » la situation. En réalité, les financeurs publics ne lui ont pas vraiment laissé le choix. Le maire d’Angoulême l’a dit sans détour : c’était un impératif.
Mais attention, ce n’est pas la fin de l’histoire. Loin de là.
Une nouvelle structure pour reprendre la main
Les collectivités (région, département, ville, agglomération) proposent maintenant qu’une autre association, créée en 2017 après une précédente crise (oui, ce n’est pas la première fois), prenne le pilotage du prochain appel d’offres. L’idée ? Élargir la gouvernance, donner enfin une vraie place aux professionnels – auteurs, autrices, éditeurs – et sortir du tête-à-tête historique qui empoisonne tout depuis des années.
- Mise à jour des statuts pour intégrer réellement la profession
- Assemblée générale prévue pendant le festival 2026
- Un représentant historique et respecté pour faire la transition
- Un appel d’offres totalement relancé pour l’après-2027
Sur le papier, c’est plutôt malin. En pratique… on verra.
Et le boycott dans tout ça ?
La grande question que tout le monde se pose : est-ce que ces annonces vont suffire à calmer les esprits ? Franchement, j’en doute encore un peu. Beaucoup d’auteurs et d’éditeurs attendent des actes concrets, pas seulement des promesses. Ils veulent des garanties sur la transparence, sur la sécurité, sur le respect de la création.
Certains me disent en privé : « On verra en janvier. Si rien n’a vraiment changé d’ici là, on ne viendra pas. » Et quand on sait que le festival vit avant tout de la présence des auteurs… vous imaginez le désastre possible.
Pourquoi Angoulême reste irremplaçable (malgré tout)
Parce qu’on a beau pester, râler, menacer de tout envoyer valser, Angoulême reste LE rendez-vous. Il n’y a nulle part ailleurs cette concentration folle de talents, cette ambiance unique où un gamin de 12 ans peut se retrouver à côté d’un monstre sacré en train de discuter planches originales.
Je me souviens encore de ma première fois, il y a quinze ans. J’étais étudiant, j’avais économisé trois mois pour le train et l’entrée. J’ai vu un grand nom de la BD pleurer devant une dédicace d’un lecteur. Ce genre de moments, ça ne s’invente pas ailleurs.
2026 : l’édition de la dernière chance ?
Beaucoup parlent déjà de l’édition 2026 comme d’un tournant décisif. Soit le festival réussit sa mue et sort renforcé, plus collégial, plus transparent, plus proche de ses racines. Soit il s’effondre sous le poids des rancœurs accumulées et on assiste à la fin d’une époque.
Personnellement, je veux y croire. La BD française traverse une période incroyable en ce moment – diversité des genres, nouvelles voix, succès internationaux. Ce serait trop bête de sacrifier tout ça sur l’autel de querelles de gouvernance.
Alors oui, il y a urgence. Oui, il faut nettoyer, réformer, écouter. Mais il faut aussi garder en tête pourquoi des centaines de milliers de personnes se déplacent chaque année dans cette petite ville de Charente en plein mois de janvier.
Parce que la BD, c’est vivant. Et qu’Angoulême, quand ça marche, c’est magique.
On croise les doigts pour que la magie revienne. Vraiment.
