Vous souvenez-vous de votre premier Festival d’Angoulême ? Cette foule compacte dans les rues pavées, l’odeur de l’encre fraîche, les auteurs qui signent jusqu’à l’épuisement et ces bulles de bonheur partout. Moi oui. Et pourtant, en cette fin novembre 2025, j’ai l’estomac noué en tapant ces lignes : le mythique rendez-vous de la bande dessinée est au bord du gouffre. Peut-être même déjà tombé.
Ce n’est pas une petite tempête dans un salon. C’est un ouragan qui emporte tout : auteurs, éditeurs, financements publics, confiance. Et pour la première fois en plus de cinquante ans d’histoire, l’édition 2026 pourrait tout simplement ne pas exister.
Un Festival au Bord du Vide Absolu
Imaginons la scène fin janvier 2026. Les chapiteaux ne se lèvent pas. Les rues restent désespérément calmes. Les hôtels affichent complet… pour personne. Ce scénario, qui aurait paru délirant il y a encore un an, est aujourd’hui l’hypothèse la plus probable.
Les auteurs ont dégainé les premiers. Un boycott ferme, collectif, irrévocable tant que l’organisation reste entre les mêmes mains. Puis les éditeurs, ceux qui font tourner la machine financièrement, ont suivi. Leur verdict est tombé comme un couperet : sans eux, l’édition « ne pourra plus se tenir ».
Comment on en est arrivé là ? Retour sur la poudrière
Tout a explosé après des révélations accablantes sur la gestion de la structure qui organise le festival depuis près de vingt ans. Opacité des comptes, soupçons de dérives mercantiles, licenciement brutal d’une salariée après une plainte pour agression sexuelle en marge de l’événement… Le cocktail était déjà explosif.
Pendant des mois, on a cru que changer le capitaine suffirait. Départ annoncé du directeur historique, mise en place d’une gouvernance transitoire. Mais pour beaucoup d’auteurs, c’était trop peu, trop tard. Le problème n’était pas seulement une personne, mais tout un système.
« Le paysage politique des auteurs et autrices a changé. Le boycott est maintenu tant que la structure actuelle pilote la manifestation. »
Communiqué collectif des organisations d’auteurs
Quand les éditeurs lâchent la rampe
Le coup de grâce est venu des maisons d’édition. Réunis en urgence, ils ont décidé de ne pas exposer, de ne pas financer, de ne pas venir. Point final. Sans stands, sans nouveautés, sans auteurs sous contrat venus dédicacer, un festival de bande dessinée n’a plus de raison d’être.
Et là, la phrase qui fait mal :
« L’horizon n’a jamais semblé aussi apocalyptique. Cette annulation pourrait bien signifier la disparition définitive du festival. »
Un des codirecteurs artistiques actuels
Quand quelqu’un qui est dedans depuis des années vous dit ça, on commence à trembler sérieusement.
L’État met la pression financière
Comme si ça ne suffisait pas, le ministère de la Culture a décidé de serrer la vis. Une réduction de plus de 60 % des subventions annoncée froidement. Soutien affiché d’un côté (« événement incontournable »), coup de massue budgétaire de l’autre.
Franchement, on a connu plus cohérent comme façon de sauver un festival.
Entre les lignes, le message est clair : on ne signe plus de chèque en blanc à une structure contestée par toute la profession.
Angoulême, plus qu’un festival : un symbole
Il faut comprendre ce que représente Angoulême. Ce n’est pas juste un salon. C’est le cœur battant de la BD francophone, un des rares endroits au monde où la bande dessinée est traitée comme un art majeur. Cannes du 9e art, disent certains. Et quand Cannes vacille, c’est tout le cinéma français qui s’inquiète.
Perdre Angoulême, c’est perdre :
- Le plus grand marché professionnel de la BD en Europe
- Le lieu où se font et se défont les carrières
- Un rayonnement international unique pour la création française
- Des centaines d’emplois directs et indirects
- Un morceau d’identité culturelle
Et tout ça pour des questions de gouvernance et de confiance brisée.
Y a-t-il encore une porte de sortie ?
Certains veulent y croire. Une association de médiation travaille à une mise en concurrence pour désigner un nouvel organisateur. L’idée : repartir de zéro avec une structure propre, transparente, respectueuse de tous les acteurs.
Mais le temps presse. Il faut reconstruire la confiance, trouver des financements, convaincre auteurs et éditeurs de revenir. Et surtout, inventer un modèle économique viable sans les subventions d’avant.
Sincèrement ? Je suis pessimiste. Quand tout le monde claque la porte en même temps, il est rarissime que le bateau reparte comme si de rien n’était.
Et les auteurs dans tout ça ?
On parle beaucoup des éditeurs, mais les premiers concernés restent les créateurs. Ceux qui galèrent déjà avec des à-valoir minuscules, des droits d’auteur rikiki et une précarité chronique.
Leur révolte n’est pas sortie de nulle part. Elle est le symptôme d’une profession qui en a marre d’être considérée comme la variable d’ajustement d’un business où d’autres s’en mettent plein les poches.
Et quelque part, je ne peux pas leur donner tort.
Que va-t-il se passer maintenant ?
Trois scénarios se dessinent :
- Un miracle de dernière minute : nouvelle équipe, retour des éditeurs, festival sauvé (j’y crois moyen)
- Annulation pure et simple de 2026, avec tentative de renaissance en 2027 sous une autre forme
- Disparition définitive et dispersion des énergies vers d’autres événements (Lyon, Paris, etc.)
Le plus probable, hélas, c’est le scénario 2 ou 3.
Une page qui se tourne, quoi qu’il arrive
Même si le festival renaît de ses cendres, il ne sera plus jamais le même. La fracture est trop profonde. La naïveté d’avant, celle où l’on venait les yeux fermés faire la fête à la BD, est morte.
Peut-être que c’est le prix à payer pour une profession qui veut enfin être respectée. Peut-être que c’était nécessaire.
Mais putain, ça fait mal.
Angoulême était plus qu’un événement. C’était un rêve collectif. Et aujourd’hui, ce rêve est en train de s’effacer sous nos yeux.
Alors oui, on parlera encore de bande dessinée. On en fera toujours. Mais quelque chose d’unique est en train de mourir. Et personne ne semble capable de l’empêcher.
Fin janvier 2026, les rues d’Angoulême seront peut-être silencieuses. Pour la première fois depuis 1974.
Et ça, franchement, ça fout les boules.
