Imaginez la scène : 80 000 personnes qui hurlent au Stade de France, sept essais plantés, 48 points au compteur face à l’Australie… et pourtant, dans le vestiaire, on parle d’insatisfaction. C’est exactement ce qu’il s’est passé samedi soir dernier. Et quand un cadre comme Gaël Fickou, 98 sélections au compteur, balance tranquillement qu’on est « à 80 % de ce qu’on peut faire », on se dit que quelque chose de gros se prépare.
Les Bleus frustrés… alors qu’ils viennent de mettre 50 points
Oui, vous avez bien lu. Mettre près de 50 points à une nation du Tier 1, ça ne court pas les rues. La dernière fois que la France avait franchi cette barre symbolique contre les Wallabies, c’était… jamais à domicile. Historique, donc. Et pourtant, personne n’a vraiment le sourire franc et massif qu’on aurait pu imaginer.
Pourquoi ? Parce que les joueurs savent. Ils savent qu’ils ont laissé énormément de points en route, qu’ils ont été indisciplinés (17 pénalités, quand même), et que défensivement, il y a eu des trous béants. Mais surtout, ils savent qu’ils peuvent faire beaucoup mieux. Et quand Fickou dit qu’on est à 80 %, il ne fait pas de la langue de bois : il pose un constat presque excitant.
« Ce qui est fou, c’est de se dire qu’il y a de la frustration. Si on m’avait dit il y a dix ans qu’on gagnerait l’Australie en mettant 50 points, j’aurais signé de suite. »
Gaël Fickou, centre du XV de France
Un bilan en demi-teinte qui cache une bonne nouvelle
Revenons deux semaines en arrière. Trois matchs, deux victoires (Japon et Australie), une défaite contre les Springboks. Sur le papier, c’est plutôt correct. En réalité, c’est perfectible. La défaite contre l’Afrique du Sud a montré que quand on perd la bataille de la discipline et du combat, on passe à côté. Le match contre le Japon a été laborieux en première période. Et même face à l’Australie, malgré le festival offensif, il y a eu trop de déchets.
Mais il y a cette phrase, cette putain de phrase qui change tout : 80 %. Ça veut dire qu’il reste 20 % de marge. 20 % sur la discipline, sur la défense, sur la continuité, sur la gestion des temps faibles. 20 %, c’est énorme à ce niveau.
- 17 pénalités contre l’Australie → à réduire de moitié au minimum
- Des plaquages manqués qui coûtent des essais → travail vidéo et physique
- Une conquête parfois fébrile → plus de liant entre anciens et jeunes
- Une gestion des fins de match encore hésitante → maturité à gagner
La discipline, le chantier numéro 1
On en parle depuis des mois, voire des années. L’indiscipline tue les Bleus dans les grands matchs. Contre les Springboks, elle a coûté la victoire. Contre l’Irlande en 2024, pareil. Fickou le dit sans détour : c’est le secteur prioritaire. Jérôme Garcès, l’ancien arbitre international intégré au staff, bosse dessus tous les jours. Et ça commence à payer… mais pas encore assez.
Parce que dans le rugby moderne, 10 pénalités de plus que l’adversaire, c’est game over. Point. Peu importe si tu as le meilleur attaque du monde.
Fickou, le grand frère qui ne veut pas lâcher
À 31 ans, Gaël Fickou est en pleine forme. Physique au top, gestion intelligente (deux matchs sur trois, sorties autour de la 60e). Il pourrait se contenter de gérer, de jouer les mentors. Non. Il veut la Coupe du Monde. Il le dit, il le répète : « J’y pense tous les jours. »
Et ce qui le motive encore plus ? Cette nouvelle génération qui débarque. Depoortere qui explose, Gourgues qui rentre et fait trembler le stade, Bielle-Biarrey qui retrouve ses jambes de feu… Il les regarde, il sourit, et il se dit qu’il doit rester au niveau. Parce que la concurrence est là. Et elle est saine.
« Je ne leur donne pas vraiment de conseils car je pense qu’ils sont plus professionnels que moi quand j’avais leur âge. J’essaie surtout de les rassurer, de les pousser. »
Il y a dix ans, c’était lui le jeune prodige qu’on balançait dans le grand bain à 18 ans. Aujourd’hui, il est le dépositaire d’une certaine idée du maillot bleu. Et il assume.
100 sélections ? Oui, mais…
Tout le monde lui en parle : le cap des 100, c’est pour le prochain Tournoi. Deux matchs et c’est fait. Ça le touche, évidemment. Devenir centurion, c’est rare. Très rare. Mais il le remet tout de suite à sa place :
« Ce n’est pas mon objectif final. Le plus important, c’est de gagner la Coupe du Monde. »
Point final. Pas de bla-bla. Le mec a vécu le quart maudit de 2023, il sait ce que c’est de passer à côté pour un rien. Il ne veut plus jamais revivre ça.
Et maintenant ?
Retour en club, récupération, puis préparation du Six Nations qui démarre début février. Objectif affiché : tout casser dès le premier match. Parce que cette fois, il n’y a plus d’excuses. Le groupe est là, l’expérience aussi, la jeunesse pousse fort.
Et quelque part, cette frustration actuelle, elle est belle. Parce qu’elle prouve que le niveau d’exigence a changé. On ne signe plus pour une victoire bonifiée contre l’Australie en se disant « c’est déjà pas mal ». Non. On veut tout. Tout le temps.
Alors oui, aujourd’hui on est à 80 %. Mais dans un an et demi, quand la Coupe du Monde 2027 arrivera en Australie (ironique, non ?), ces 20 % supplémentaires pourraient bien faire la différence entre une demi-finale héroïque… et soulever enfin ce putain de bouclier.
Et là, Gaël Fickou, on pourra enfin le voir sourire. Vraiment.
(Article rédigé après la tournée d’automne 2025 – les Bleus ont encore du boulot, mais bordel, qu’est-ce qu’on a hâte de voir la suite.)
