Quand j’ai vu, l’autre jour, un gamin taper dans un ballon usé sur un terrain vague de Casablanca, j’ai repensé à cette phrase entendue dans un café animé : « Le foot, c’est plus qu’un jeu ici, c’est notre pouls. » Au Maroc, le football n’est pas juste un sport. C’est une passion, un symbole, mais aussi, de plus en plus, un cri de ralliement pour une jeunesse qui rêve d’un pays plus juste. À quelques mois de la Coupe d’Afrique des Nations (CAN) 2025, ce sport adoré se retrouve au cœur d’un paradoxe : il incarne à la fois la fierté nationale et les frustrations d’une société en quête d’équité.
Le Football, Miroir d’une Société en Ébullition
Le Maroc s’est imposé comme une puissance footballistique, notamment depuis sa demi-finale historique à la Coupe du monde 2022. Ce succès a galvanisé le pays, mais il a aussi mis en lumière des inégalités criantes. Alors que des stades flambant neufs poussent comme des champignons, la santé et l’éducation peinent à suivre. Cette tension, palpable dans les rues d’Agadir ou de Rabat, a donné naissance à un mouvement social porté par la GenZ 212, un collectif de jeunes qui utilise les réseaux sociaux pour faire entendre ses revendications.
Pourquoi le football est-il devenu le symbole de cette colère ? Parce qu’il est partout. Dans les quartiers populaires, sur les plages, dans les discussions enflammées des cafés. Mais aussi parce que les investissements massifs dans ce sport – des milliards d’euros pour préparer la CAN 2025 et la Coupe du monde 2030 – contrastent avec les hôpitaux sous-équipés et les écoles délaissées. C’est comme si le pays brillait sur la pelouse, mais trébuchait dans les coulisses.
Une Jeunesse qui Réclame l’Équité
Dans les ruelles d’Inezgane, près d’Agadir, les traces d’une révolte récente sont encore visibles. Des vitrines brisées, des barricades improvisées : il y a quelques semaines, la colère a éclaté après le décès tragique de plusieurs femmes lors d’accouchements. Ce drame a cristallisé un sentiment d’injustice. Les jeunes, en particulier, ont pointé du doigt l’asymétrie entre les budgets alloués au foot et ceux pour les services publics. « On a des stades, mais où sont les hôpitaux ? » : la question, posée par un ancien joueur de renom, a résonné sur les réseaux sociaux.
Les revendications des jeunes sont légitimes. Ils aiment leur pays et veulent le voir progresser.
– Un défenseur international marocain
Ce n’est pas seulement une question d’argent. C’est une question de priorités. Les stades, comme celui de Moulay el-Hassan à Rabat, coûtent des fortunes – près de 80 millions d’euros pour ce seul projet. Pendant ce temps, les hôpitaux manquent de personnel et de matériel. Cette disparité alimente un sentiment de frustration, surtout chez les jeunes issus des quartiers populaires, qui voient dans le foot à la fois un rêve et un miroir de leurs désillusions.
Le Football : Un Symbole Ambivalent
Le football marocain, c’est une histoire d’amour et de contradictions. D’un côté, il unit le pays. Les Lions de l’Atlas, portés par des stars comme Achraf Hakimi, sont une source de fierté nationale. Leur épopée au Qatar en 2022 a fait vibrer des millions de Marocains, des souks de Marrakech aux cafés de Tanger. De l’autre, ce même football devient un point de crispation quand il s’agit de parler d’investissements publics.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Des milliards d’euros sont injectés dans des infrastructures sportives, avec des projets pharaoniques pour 2030. À Benslimane, une nouvelle enceinte est en construction. À Tanger, un stade rénové brille sous le soleil. Mais dans les hôpitaux, les files d’attente s’allongent, et les équipements manquent. Cette réalité a poussé certains joueurs à s’exprimer, une démarche rare dans un pays où les sportifs évitent souvent de prendre position.
Un ancien milieu de terrain, aujourd’hui star à l’étranger, a résumé le paradoxe en une phrase choc : « Les stades sont là, mais où sont les hôpitaux ? » Cette prise de parole, relayée par d’autres joueurs, a électrisé les réseaux sociaux. Elle a aussi mis en lumière le rôle des footballeurs, non seulement comme athlètes, mais comme figures influentes dans un débat sociétal.
La CAN 2025 : Un Événement sous Tension ?
À l’approche de la CAN 2025, qui se tiendra du 21 décembre au 18 janvier, le Maroc est sous les projecteurs. Le pays a tout misé sur cet événement pour asseoir son statut de leader footballistique en Afrique. Les stades sont prêts, les routes modernisées, les hôtels réservés. Mais dans l’ombre de ces préparatifs, une question persiste : la grogne sociale risque-t-elle de perturber la fête ?
Pour l’instant, les autorités semblent confiantes. Le président de la Confédération africaine de football a balayé les inquiétudes d’un revers de main : le Maroc est le « plan A, B et C » pour la CAN. Les manifestations, bien que tolérées à certains horaires, sont strictement encadrées. Et les jeunes, malgré leur colère, assurent qu’ils ne veulent pas ternir l’image du pays.
Le football est un vecteur d’unité, pas de division. La CAN se déroulera sans accroc.
– Un haut responsable du football africain
Mais cette confiance affichée cache une réalité plus complexe. Dans les rues de Casablanca, les discussions vont bon train. « On soutient les Lions, bien sûr, mais on veut aussi des hôpitaux dignes de ce nom », m’a confié un étudiant en médecine, entre deux gorgées de thé à la menthe. Ce sentiment est partagé par beaucoup : le foot, c’est sacré, mais il ne peut pas tout excuser.
Les Joueurs, Voix d’une Génération
Ce qui frappe, dans ce mouvement, c’est l’engagement des footballeurs eux-mêmes. Habituellement discrets sur les questions politiques, certains ont choisi de briser le silence. Leurs messages, souvent postés sur les réseaux sociaux, résonnent auprès d’une jeunesse qui voit en eux des modèles. « Ils viennent de chez nous, ils savent ce qu’on vit », explique un jeune supporter rencontré sur la corniche de Casablanca.
Ces prises de position ne sont pas anodines. Elles reflètent une prise de conscience : le football, au Maroc, n’est pas qu’un jeu. Il est un levier d’influence, un moyen de porter des messages. Mais elles soulèvent aussi une question : les joueurs parlent-ils par conviction ou sous la pression de leurs supporters ? Quoi qu’il en soit, leur voix compte, et elle pourrait influencer l’avenir du mouvement social.
Un Équilibre à Trouver
Le défi, pour le Maroc, est de trouver un équilibre. Comment continuer à briller sur la scène sportive internationale tout en répondant aux besoins urgents de la population ? Les investissements dans le football ne sont pas mauvais en soi – ils créent des emplois, attirent le tourisme et renforcent l’image du pays. Mais ils ne peuvent pas être une fin en soi.
Voici quelques pistes pour concilier sport et justice sociale :
- Redistribuer les bénéfices : Une partie des revenus générés par la CAN pourrait être investie dans la santé et l’éducation.
- Impliquer les joueurs : Les footballeurs pourraient devenir des ambassadeurs pour des campagnes de sensibilisation sur les enjeux sociaux.
- Améliorer la transparence : Communiquer clairement sur les budgets alloués au sport et aux services publics pour apaiser les tensions.
Ce ne sont pas des solutions miracles, mais elles pourraient apaiser les frustrations tout en préservant l’élan du football marocain. Car, comme me l’a dit un vendeur de fruits à Agadir, « si tout était géré avec la même passion que le foot, on serait déjà loin ».
Un Avenir Incertain, mais Plein d’Espoir
Personne ne sait exactement où mènera ce mouvement de la GenZ 212. Certains y voient une simple vague de colère, d’autres le début d’un changement profond. Ce qui est sûr, c’est que le football restera au cœur des débats. Il est à la fois le miroir des réussites et des échecs du Maroc, un symbole qui transcende les classes sociales et les générations.
À Casablanca, sur la corniche, les week-ends sont rythmés par les matchs improvisés et les cris des supporters. « Le foot, c’est notre oxygène », m’a lancé un jeune en dribblant un adversaire imaginaire. Mais il a ajouté, avec un sourire en coin : « On veut juste que le reste du pays respire aussi bien. »
| Domaine | Investissements | Impact |
| Football | Milliards d’euros (stades, infrastructures) | Fierté nationale, tourisme |
| Santé | Budget limité, manque d’équipements | Frustration sociale, manifestations |
| Éducation | Investissements insuffisants | Inégalités persistantes |
Alors que le Maroc se prépare à accueillir la CAN, le pays est à un carrefour. Le football peut-il devenir un moteur de changement social, ou restera-t-il un symbole de division ? Une chose est sûre : les jeunes Marocains, ballon au pied ou pancarte à la main, ne comptent pas rester silencieux.
