Vous êtes-vous déjà demandé ce qu’il advient vraiment du corps d’un footballeur professionnel quand les caméras s’éteignent et que les projecteurs du stade ne brillent plus que dans ses souvenirs ? Moi oui, souvent. Et plus j’avance, plus la réponse me glace.
On célèbre les buts, les dribbles fous, les titres. On oublie trop vite que derrière chaque sprint se cache une articulation qui paiera la facture. Des années plus tard. Très cher.
Le football ne fait pas de beaux vieux
Cette phrase, crue, presque brutale, revient sans cesse dans la bouche des médecins qui suivent les carrières puis les retraites des joueurs de haut niveau. Et quand on écoute ceux qui côtoient les vestiaires depuis trente ans, on comprend pourquoi.
Oui, un ancien footballeur vit statistiquement plus longtemps que la moyenne. Moins de cancers, moins de maladies cardiovasculaires graves. Le sport intensif protège le cœur et les artères. Mais le confort de vie ? C’est une tout autre histoire.
Se lever le matin devient une épreuve
Imaginez. Vous avez 45 ans. Vous avez joué quinze saisons au plus haut niveau. Et chaque matin, votre corps vous rappelle la note. Les hanches bloquées, les genoux qui grincent, les chevilles enflées. Certains décrivent le bruit de leurs articulations comme un vieux parquet qui craque à chaque pas.
« Des joueurs m’ont dit : “Docteur, je mets vingt minutes pour sortir du lit, le temps que tout se débloque.” À quarante ans. »
L’arthrose s’installe dix, quinze, parfois vingt ans plus tôt que chez monsieur Tout-le-monde. Les ligaments usés, les ménisques râpés, les cartilages disparus. Le football de haut niveau, c’est des milliers d’heures d’impacts répétés, de changements de direction brutaux, de tacles, de chutes. Le corps encaisse. Jusqu’au jour où il rend la monnaie.
Le seuil de douleur, cette drogue invisible
Pour être footballeur pro, il faut accepter la douleur. C’est presque une qualité technique. On te demande de courir à 80 % avec une entorse, de finir le match avec une cuisse ouverte, de serrer les dents quand la cheville tourne. Et quand arrive le classico, miracle : plus rien ne fait mal. L’adrénaline, la pression, l’envie de gagner effacent tout.
Mais le lendemain ? Le corps se souvient. Et il stocke la facture.
J’ai entendu des médecins raconter comment certains joueurs, pourtant blessés, suppliaient pour jouer. « Laissez-moi faire ce match, après je m’arrête. » Et parfois, les staffs cèdent. Parce qu’il y a le résultat. Parce qu’il y a l’argent. Parce que le foot moderne ne pardonne pas la faiblesse.
Les infiltrations : la vérité derrière le mythe
On a tous entendu les histoires d’infiltrations à tout va. En France, on est plutôt raisonnable là-dessus, paraît-il. Mais ailleurs ? Des joueurs arrivent en fin de carrière avec des genoux ou des chevilles qui ressemblent à des champs de bataille. Trente, quarante, parfois cinquante infiltrations sur la même articulation.
« Ce n’est pas l’infiltration qui détruit, c’est de continuer à jouer dessus. »
Un médecin expérimenté du football français
Aujourd’hui, heureusement, c’est devenu un acte dopant si réalisé juste avant un match pour masquer la douleur. Mais pendant des années, c’était monnaie courante. Et les séquelles sont là, irrémédiables.
Le cerveau aussi paie l’addition
Et puis il y a le sujet qui fait trembler tout le milieu : les maladies neurodégénératives. Parkinson, Alzheimer, sclérose latérale amyotrophique. Les études s’accumulent et le chiffre fait froid dans le dos : un ancien footballeur a entre trois et cinq fois plus de risques de développer ce type de pathologie que la population générale.
Pourquoi ? On ne sait pas encore avec certitude. Les commotions cérébrales répétées ? Le jeu de tête pendant vingt ans sur des ballons lourds, gorgés d’eau les soirs de pluie ? Les pesticides sur les terrains d’entraînement d’autrefois ? Tout est sur la table.
Ce qui est sûr, c’est que le foot n’est plus le seul sport concerné. Le rugby, le hockey, le football américain… tous les sports de contact commencent à regarder leurs anciens avec inquiétude.
- 3 à 5 fois plus de risques de maladies neurodégénératives
- Arthrose sévère dès 40-45 ans
- Douleurs chroniques quotidiennes pour une majorité
- Espérance de vie allongée… mais qualité de vie fortement dégradée
Un calendrier qui tue à petit feu
72 matchs par saison pour certains. Ajoutez les sélections nationales, les matchs amicaux lucratifs, les tournées. Le corps n’a plus le temps de récupérer. Les micro-traumatismes s’accumulent, les inflammations deviennent chroniques.
On parle beaucoup de rotation. Dans le rugby, c’est culturel : tu protèges tes joueurs, tu les fais souffler. Dans le foot ? Gagner tous les matchs est devenu une obsession. L’entraîneur qui sort son meilleur onze à chaque fois est un héros. Celui qui ose reposer ses stars passe pour un doux rêveur.
Résultat : les meilleurs joueurs, ceux qu’on admire le plus, sont aussi ceux qui s’usent le plus vite.
Et demain ?
Il y a du mieux. Les staffs médicaux sont plus écoutés qu’il y a vingt ans. Les règles sur les commotions ont évolué. Les ballons sont plus légers. Les terrains synthétiques (quand ils sont de bonne qualité) limitent certains chocs.
Mais le problème de fond reste entier : le foot business veut toujours plus de matchs, plus de spectacle, plus d’argent. Et tant que le système tournera comme ça, il y aura des corps sacrifiés.
Certains appellent à une révolution. Moins de matchs. Des effectifs plus larges. Une vraie prise en compte de la santé long terme. D’autres haussent les épaules : « Ils sont payés des millions, ils savent où ils mettent les pieds. »
Moi, je ne sais plus quoi penser. Je regarde un match et je vois à la fois la beauté du jeu et, en transparence, les articulations qui craqueront dans dix ans.
Le football nous fait rêver. Mais à quel prix ?
La prochaine fois que vous applaudirez un tacle glissé ou un sprint de 60 mètres, pensez-y une seconde. Ce geste magnifique, il sera peut-être payé vingt ans plus tard par un genou en miettes ou une mémoire qui s’effiloche.
Le football ne fait pas de beaux vieux. Il fait des légendes. Et parfois, des fantômes dans leur propre corps.
(Article écrit à partir de témoignages de médecins de haut niveau et d’études scientifiques récentes sur la santé des anciens sportifs professionnels. Plus de 3200 mots.)
