Imaginez la scène. Fin juin 2023, à cinq jours de la reprise de l’entraînement, l’OGC Nice n’a plus d’entraîneur. Le plan A vient de s’effondrer, le plan B aussi. Et là, presque par hasard, un nom sort du chapeau : Francesco Farioli. 34 ans, inconnu du grand public français, tout juste débarqué d’Alanyaspor en Turquie. Franchement, qui aurait parié sur lui ? Et pourtant, dix jours plus tard, il avait retourné tout le board comme une crêpe.
Cette histoire, c’est celle d’un gamin qui a toujours eu dix ans d’avance sur son âge. Et qui, en quelques saisons, est passé du statut de parfait anonyme à celui que tout le monde s’arrache en Europe. Allez, on rembobine.
Comment un quasi-inconnu a convaincu Ineos en deux entretiens
Quand le dossier Régis Le Bris tombe à l’eau – Lorient refuse catégoriquement de lâcher son coach –, le staff niçois doit improviser. Un agent commun propose alors ce jeune Italien dont personne n’a vraiment entendu parler en France. Le CV est mince : adjoint à Benevento, Sassuolo, puis entraîneur principal à Fatih Karagümrük et Alanyaspor. Rien de clinquant. Mais dès le premier échange Zoom, ça bascule.
On raconte en interne que Farioli a littéralement hypnotisé Dave Brailsford, le grand manitou de la performance chez Ineos. L’Italien arrive avec des présentations ultra-détaillées, des analyses vidéo décortiquées au millimètre, un projet de jeu clair et moderne. Il parle possession, relations entre les lignes, intensité sans ballon. Tout y est. Le genre de discours qui fait briller les yeux des dirigeants qui rêvent de « process » à l’anglaise.
« Il était curieux, brillant, novateur. Et surtout, il avait cette obsession de la tactique qu’on adore chez les jeunes coachs italiens d’aujourd’hui. »
Un membre du board niçois, anonyme
Deuxième entretien, en présentiel cette fois. Farioli débarque avec son paperboard, ses feutres, ses schémas. Il démonte, remontre, explique pourquoi chaque mètre compte. En quelques heures, il a convaincu tout le monde : Florent Ghisolfi, Jean-Claude Blanc, Jean-Pierre Rivère… Même les plus sceptiques sortent de la salle en se disant : « celui-là, il voit des choses que les autres ne voient pas ».
Un style « à l’italienne »… mais version 3.0
Ce qui frappe d’abord chez Farioli, c’est ce mélange paradoxal. D’un côté, un pragmatisme défensif très transalpin : bloc compact, duels gagnés, solidité avant tout. De l’autre, une ambition folle de dominer le ballon et d’étouffer l’adversaire haut. En clair, il veut le beurre (la possession), l’argent du beurre (la solidité) et le sourire de la crémière (le spectacle).
À son arrivée, il fixe un objectif réaliste : top 6. Mais très vite, son Nice dépasse toutes les attentes. Treize matchs sans défaite en début de saison, jamais mené au score, victoire de prestige au Parc des Princes (2-3), autre succès à Monaco (0-1). À la trêve, le Gym pointe même leader. Leader ! Qui l’aurait cru ?
- 1ère place provisoire en novembre 2023
- Meilleure défense de Ligue 1 pendant de longues semaines
- Seul club à battre le PSG à l’extérieur cette saison-là
Quand l’exigence devient un poison
Mais le football a ceci de cruel : ce qui te porte au sommet peut aussi te faire chuter. Le style Farioli est magnifique sur un tableau… mais diablement énergivore sur un terrain. Pressing incessant, replacements permanents, intensité maximale même quand le score est acquis. Les joueurs courent partout. Tout le temps.
« Une mauvaise position d’un mètre peut tout changer. On doit être actifs avec ou sans ballon. On n’a jamais de repos. Ça prend énormément d’énergie. »
Francesco Farioli lui-même, en conférence de presse
Et l’énergie, justement, finit par manquer. À partir de février 2024, l’équipe s’effondre physiquement et mentalement. Cinq défaites en sept matchs, élimination en Coupe de France, dégringolade au classement. Le même groupe qui survolait l’automne ressemble soudain à une équipe usée jusqu’à la corde.
En interne, on pointe aussi la rigidité du discours. Farioli ne lâche rien. Un retard à l’entraînement ? Sanction. Un replacement approximatif ? Remontrance publique. Certains joueurs apprécient cette exigence « à l’italienne ». D’autres saturent. Jean-Clair Todibo, notamment, finira par entrer en conflit ouvert avec son coach.
Un vestiaire qui parle anglais… mais pas français
Autre détail qui pèse : Farioli ne parle pas français. Ou très peu. Tout passe par l’anglais ou par ses adjoints. Dans un vestiaire cosmopolite, ça peut passer. Mais quand la fatigue s’installe et que les résultats s’effritent, la barrière linguistique devient un vrai problème. Les messages passent moins bien. Les nuances se perdent.
À cela s’ajoute un calendrier infernal, des blessures en cascade, et un effectif qui n’avait peut-être pas les jambes pour tenir son système sur 50 matchs. Résultat : 35 points à la phase aller, seulement 20 au retour. Cinquième place finale honorable… mais sentiment d’une occasion manquée pour la Ligue des Champions.
L’Ajax paie 1 M€ et tout le monde respire
Quand l’Ajax Amsterdam se manifeste au printemps 2024, prêt à verser une indemnité d’environ un million d’euros pour récupérer Farioli, personne ne fait de rétention. Ni le club, ni le coach. C’était devenu une évidence : il fallait passer à autre chose.
Le Gym recrute alors Franck Haise, plus expérimenté, plus pédagogue, capable de gérer un groupe sur la durée. Farioli, lui, file à Amsterdam… avant de rebondir à Porto dès l’été suivant. Preuve que son passage niçois, malgré la fin difficile, a renforcé son aura en Europe.
Le bilan : positif, mais avec des nuances
Alors, Farioli a-t-il réussi à Nice ? Clairement oui, si on regarde les chiffres : 5e place, meilleure défense sur une large partie de la saison, des victoires références. Non, si on pense à la seconde partie de saison et à l’usure prématurée du groupe.
Ce qui est sûr, c’est qu’il a laissé une empreinte. Beaucoup de supporters gardent un souvenir contrasté : un football souvent séduisant quand ça marchait, parfois ennuyeux quand le bloc était trop bas en fin de match. Mais personne ne conteste son intelligence tactique ni son ambition.
Aujourd’hui, quand Nice se déplace à Porto en Ligue Europa, c’est un peu un miroir tendu. D’un côté, le club azuréen version Haise, plus équilibré, plus constant. De l’autre, Farioli version 2025, chez un géant portugais, avec sans doute plus de marge et d’expérience.
Une chose est certaine : à 36 ans seulement, l’Italien n’a pas fini de faire parler de lui. Et quelque part, sur la Côte d’Azur, on se dit que cette parenthèse d’un an aura marqué l’histoire récente du Gym. Peut-être plus qu’on ne le pense.
Et vous, vous en pensez quoi ? Farioli, génie incompris ou coach trop exigeant pour un effectif de Ligue 1 ? Dites-le moi en commentaire, j’adore lire vos retours là-dessus.
