Vous est-il déjà arrivé de croiser quelqu’un dans la rue et de vous dire : « Lui, il a toujours été là » ? À Thoiry, dans les Yvelines, c’était exactement le cas avec François Moutot. Depuis 1989, il portait l’écharpe tricolore. Trente-six années. Quand certains maires font un ou deux mandats et disparaissent dans l’oubli, lui a traversé les époques, les crises, les joies et les tempêtes locales comme une figure immuable du paysage.
Et puis, un jour, il a décidé que c’était fini. Pas dans la précipitation, non. Il l’avait vu venir depuis dix ans, dit-il. Ce vendredi soir, il organise son pot de départ avec plus de 200 invités. Un vrai événement dans ce village de 1 500 âmes connu surtout pour son parc zoologique et ses safaris photo.
La fin d’une ère longue de trente-six années
1989. François Moutot a 38 ans quand il devient maire pour la première fois. Jacques Chirac est Premier ministre, François Mitterrand président, et internet n’existe quasiment pas. Depuis, il a vu passer six présidents de la République, neuf Premiers ministres, et surtout six mandats complets à la tête de sa commune.
Trente-six ans, ça représente presque la vie entière de certains habitants. Des bébés nés l’année de son élection ont aujourd’hui parents eux-mêmes. Des adolescents qui l’ont toujours connu derrière le bureau de la mairie. Une longévité exceptionnelle qui place François Moutot parmi les records de France en matière de durée de mandat.
« Je m’y prépare depuis dix ans. À partir de 70 ans, il faut savoir passer la main. »
François Moutot, maire sortant de Thoiry
Cette phrase, il l’a répétée plusieurs fois ces derniers mois. Pas de lassitude apparente, pas d’amertume. Juste une forme de sagesse tranquille. L’idée qu’un mandat, même réussi, ne doit pas devenir une propriété personnelle.
Pourquoi partir maintenant ?
À 73 ans (74 en février prochain), François Moutot n’est pas malade, n’a pas de scandale sur le dos, n’a pas été désavoué par sa majorité. Au contraire, beaucoup le suppliaient presque de rempiler. Mais il a fixé sa propre limite : l’âge.
Dans un pays où le maire est parfois perçu comme un notable intouchable, cette décision fait figure d’exemple. D’autant que la loi sur le non-cumul des mandats et les nouvelles règles de limitation ont déjà poussé beaucoup d’élus historiques vers la sortie. Lui choisit librement.
- Il a vu arriver la décentralisation des années 80-90
- Il a géré l’explosion touristique liée au parc de Thoiry
- Il a accompagné la transformation rurale en zone périurbaine chic
- Il a résisté aux pressions immobilières tout en développant le village
Autant de défis qui auraient pu user n’importe qui. Lui semble partir au sommet, avec le sentiment du devoir accompli.
Thoiry, ce petit village qui voit grand
Parler de Thoiry sans évoquer son parc animalier serait une erreur. Depuis les années 60, le château et le zoo-safari ont fait la renommée mondiale de la commune. François Moutot a grandi avec cette double identité : un village authentique et une attraction touristique majeure.
Pendant ses mandats, le nombre de visiteurs a explosé. Les routes ont dû être adaptées, les parkings agrandis, les nuisances sonores limitées. Il a fallu trouver le bon équilibre entre développement économique et qualité de vie des habitants. Mission plutôt réussie quand on voit l’état du village aujourd’hui : propre, fleuri, dynamique.
J’ai moi-même roulé un jour dans la réserve africaine de Thoiry, fenêtres ouvertes, un zèbre à deux mètres. Et je me suis dit que le maire qui a accompagné cette croissance sans laisser le village se transformer en parc d’attractions géant a forcément fait du bon boulot.
Et maintenant ? La grande question de la succession
C’est là que tout devient intéressant. Parce que trente-six ans de règne, ça laisse des traces. Dans le bon sens (expérience, réseaux, vision long terme) et parfois dans le moins bon (difficulté à imaginer autre chose, poids de l’habitude).
François Moutot n’a pas officiellement désigné de dauphin. Officiellement. Mais dans les cafés du village, on parle déjà de plusieurs noms. Un adjoint de longue date ? Une figure nouvelle ? Une femme, pourquoi pas ? Les élections des 15 et 22 mars 2026 approchent et la campagne s’annonce animée.
Ce qui est certain, c’est que le futur maire héritera d’une commune saine financièrement, bien équipée, attractive. Pas le pire des cadeaux de départ.
Le renouvellement générationnel en politique locale : un enjeu national
Le cas de Thoiry n’est pas isolé. Partout en France, des maires historiques raccrochent les uns après les autres. Parfois contraints par la loi, parfois par choix. L’âge moyen des maires français dépasse les 60 ans. Beaucoup ont été élus dans les années 80-90 et se posent aujourd’hui la même question : jusqu’à quand ?
François Moutot, en fixant sa propre limite à 70 ans, envoie un message fort. Il montre qu’on peut être passionnément aimer sa commune et accepter de la confier à plus jeune. C’est presque révolutionnaire dans certains territoires où le fauteuil de maire se transmet parfois comme un bien familial.
Et franchement, ça fait du bien de voir un élu quitter la scène sans drame, sans proc, sans division. Juste avec un pot entre amis et voisins, un discours sûrement émouvant, et l’envie de profiter enfin de ses petits-enfants.
Ce qu’il laisse derrière lui
Difficile de tout résumer en quelques lignes, mais voici les grandes lignes de son bilan, telles qu’on les entend dans le village :
- Une commune passée de 900 à 1 500 habitants sans perdre son âme
- Un parc animalier devenu référence européenne
- Des finances saines et des impôts locaux maîtrisés
- Une école rénovée, une salle polyvalente moderne, un city-stade
- Un tissu associatif dynamique
- Une image de village « où il fait bon vivre »
Pas mal pour quelqu’un qui n’a jamais fait de la politique son métier. François Moutot est resté un élu de terrain, proche des gens, toujours disponible. Le genre de maire qu’on appelle encore pour un nid-de-poule ou une fête des voisins.
Un pot de départ et puis s’en va
Ce vendredi soir, donc, plus de 200 personnes sont attendues. Des anciens adjoints, des employés municipaux, des habitants de la première heure, mais aussi des élus voisins, des parlementaires, peut-être même quelques personnalités. L’occasion de trinquer une dernière fois avec celui qui a incarné Thoiry pendant plus d’une génération.
Je parie qu’il y aura des larmes. Des rires aussi. Des souvenirs qui remonteront. Et puis, doucement, la page se tournera.
Parce qu’une commune, ce n’est pas qu’un maire. C’est une histoire collective. François Moutot en a écrit un très beau chapitre. À d’autres maintenant d’écrire la suite.
Et quelque part, c’est plutôt rassurant de voir qu’en 2025, il reste encore des élus capables de partir la tête haute, au bon moment, sans se cramponner au pouvoir. Ça redonne presque foi en la politique locale.
Bon vent, monsieur le maire. Et merci pour ces trente-six années.
