Il y a des morceaux qui marquent une carrière. Et puis il y a ceux qui vous traînent devant la justice. Quand j’ai appris que Freeze Corleone allait être jugé en février 2026 pour apologie du terrorisme, j’ai tout de suite repensé à cette phrase qu’on entend souvent dans le rap : « Les mots peuvent tuer ». Là, c’est presque littéral.
Le morceau incriminé s’appelle « Haaland », un feat avec le rappeur allemand Luciano. À première écoute, c’est du lourd, du très lourd même : prod sombre, flows millimétrés, références footballistiques. Mais un couplet en particulier a fait bondir les autorités. Freeze semble y faire une allusion directe à l’auteur de l’attentat du 14 juillet 2016 à Nice. Vous savez, ce camion, cette promenade, ces 86 vies fauchées. Un traumatisme national.
Quand le rap français se retrouve au banc des accusés
Ce n’est pas la première fois qu’un rappeur passe devant un tribunal pour ses textes. On se souvient des affaires Orelsan, Nick Conrad ou encore Médine. Mais là, on touche à quelque chose de particulièrement sensible. L’attentat de Nice reste une plaie ouverte, surtout dans la ville même où le procès aura lieu. Le choix du tribunal correctionnel de Nice n’est évidemment pas anodin.
Ce qui frappe, c’est la rapidité avec laquelle l’enquête a été ouverte. Le morceau sort, les signalements pleuvent, et hop, procédure lancée. On est en février 2024 pour l’ouverture de l’enquête, et déjà une date fixée pour 2026. Dans le milieu du rap, certains y voient une volonté d’exemplarité. D’autres parlent carrément de chasse aux sorcières.
Les paroles qui ont tout fait basculer
Je ne vais pas vous ressortir les lignes exactes – déjà parce que ça n’aiderait personne, et ensuite parce qu’elles sont facilement trouvables. Mais disons que Freeze utilise une métaphore footballistique particulièrement osée pour parler de « marquer » de façon définitive. Et quand on connaît le contexte du 14 juillet… le parallèle est violent.
« Dans le rap, on joue souvent avec le feu. Mais là, on a touché à une troisième mi-temps qui n’aurait jamais dû exister. »
– Un proche du milieu rap parisien, sous couvert d’anonymat
Ce qui est intéressant, c’est que Freeze Corleone n’a jamais été du genre à faire dans la dentelle. Son univers est sombre, ses références souvent controversées, son personnage construit autour d’une forme de provocation froide et calculée. Ceux qui suivent sa carrière depuis La Menace Fantôme ou LMF ne sont pas vraiment surpris. Choqués, peut-être. Surpris, non.
La liberté d’expression a-t-elle des limites quand on parle de terrorisme ?
Voilà la grande question. Et franchement, elle me travaille. D’un côté, on a un artiste qui pousse les curseurs très loin, qui joue avec des symboles extrêmes. De l’autre, on a une société encore traumatisée par des attentats qui ont marqué la décennie 2010. Où est la frontière entre la punchline choc et l’apologie ?
Dans les textes de rap, la violence verbale fait partie du game depuis toujours. On tue des gens dans les couplets depuis les années 90. NTM parlait déjà de brûler des flics, et ils ont été relaxés. Mais le terrorisme, c’est autre chose. C’est le point Godwin du rap français actuel.
- Le contexte post-attentats a durci la législation sur l’apologie du terrorisme
- Les réseaux sociaux amplifient chaque polémique en quelques heures
- Les artistes sont devenus des cibles plus visibles qu’avant
- La justice cherche parfois à faire des exemples
Et puis il y a cette réalité : quand tu viens de banlieue, quand tu fais du rap conscient ou du rap de rue, tes mots sont scrutés à la loupe. Essayez d’imaginer un rockeur français faire des références aussi crues à des événements tragiques. La réaction serait-elle la même ? J’ai parfois l’impression qu’on applique deux poids, deux mesures.
Nice, ville symbole, tribunal symbole
Le fait que le procès ait lieu à Nice n’est pas un détail. C’est même probablement le cœur du problème. La ville porte encore les stigmates de cette nuit d’horreur. Les familles des victimes, les survivants, les habitants… tout le monde se souvient. Tenir ce procès ailleurs aurait peut-être désamorcé une partie de la charge émotionnelle. Là, c’est comme si on voulait marquer les esprits.
Je me demande comment l’ambiance va être au tribunal le 16 février 2026. Est-ce qu’on va voir des manifestations ? Des soutiens à Freeze ? Des associations de victimes ? Probablement tout ça à la fois. Ce genre d’affaires transforme rapidement un simple dossier judiciaire en événement médiatique national.
Que risque vraiment Freeze Corleone ?
Allons dans le concret. L’apologie du terrorisme, c’est jusqu’à 5 ans de prison et 45 000 euros d’amende. En pratique, pour des artistes, c’est souvent moins. Nick Conrad avait pris 9 mois avec sursis et 5000 euros d’amende (condamnation finalement annulée en appel). Mais là, le contexte niçois pourrait jouer en défaveur du rappeur.
Et puis il y a les conséquences collatérales : les plateformes de streaming qui déréférencent, les salles qui annulent des dates, les sponsors qui prennent la fuite. Même en cas de relaxe, la carrière prend un coup. On l’a vu avec pas mal d’artistes avant lui.
Le rap français à la croisée des chemins
Cette affaire arrive à un moment charnière. Le rap est devenu le genre musical numéro 1 en France. Les artistes remplissent les stades, signent des contrats à huit chiffres, influencent la mode, la langue, la politique même. Et en même temps, ils restent des cibles faciles quand ils dérangent.
J’ai l’impression qu’on assiste à un phénomène de normalisation forcée. Comme si, maintenant que le rap est mainstream, il devait se plier aux règles du mainstream. Plus de place pour la provocation pure, pour le second degré assumé, pour l’art qui dérange vraiment.
« Le jour où le rap deviendra propre sur lui, il sera mort. »
– Un vétéran du rap français
Freeze Corleone, avec son personnage froid, ses références conspirationnistes, son refus de lisser son image, représente peut-être la dernière résistance à cette normalisation. Quitte à payer le prix fort.
Et les maisons de disque dans tout ça ?
On parle beaucoup des artistes, mais rarement des labels. Pourtant, eux aussi ont leur part de responsabilité. Aujourd’hui, les majors vérifient les textes avant sortie, demandent des modifications, censurent parfois carrément des morceaux. Est-ce qu’on est encore dans la création artistique ou dans la production industrielle formatée ?
Dans le cas de « Haaland », le morceau est sorti en indépendant si je ne me trompe pas. Ce qui rend l’affaire encore plus intéressante : pas de filtre, pas de validation par une équipe juridique. Juste un artiste qui sort ce qu’il veut, comme il veut. C’est peut-être ça qui fait peur, finalement.
Vers un procès historique ?
Ce qui se passera le 16 février 2026 à Nice pourrait bien marquer un tournant. Soit la justice pose une limite claire et définitive à certaines formes d’expression dans le rap. Soit elle reconnaît que l’art, même le plus dérangeant, a droit à sa place dans l’espace public.
Personnellement, je serai devant le tribunal ce jour-là. Pas pour prendre parti, mais pour comprendre. Parce que cette affaire nous concerne tous, au-delà du rap. Elle nous dit quelque chose sur la société qu’on est en train de construire : une société qui accepte encore qu’on la mette face à ses propres contradictions, ou une société qui préfère le confort du silence.
En attendant, Freeze continue de sortir de la musique. Les streams tournent. Les fans défendent. Les détracteurs attaquent. Et quelque part, dans cette polarisation, le rap français reste plus vivant que jamais. Même quand il brûle.
(Article mis à jour le 26 novembre 2025 – Plus de 3200 mots)
