Il y a des matins où la nature se réveille en colère. Mercredi 26 novembre, vers l’aube, les habitants d’Afaahiti, un petit village paisible de la presqu’île de Tahiti-iti, ont été tirés du sommeil par un grondement sourd, presque irréel. « Comme un train qui passe juste devant la maison », raconte une voisine encore sous le choc. En quelques secondes, une partie de la montagne s’est littéralement effondrée, emportant tout sur son passage.
Quand le jour s’est levé, le spectacle était apocalyptique : deux maisons complètement ensevelies sous des dizaines de mètres cubes de terre et de rochers. Huit personnes manquaient à l’appel. Hier soir, les autorités ont confirmé le pire : les huit corps ont été retrouvés. Parmi eux, une petite fille de trois ans.
Une tragédie qui laisse la Polynésie en état de choc
Je vis depuis assez longtemps dans le Pacifique pour savoir que la saison des pluies peut être rude. Mais là, on touche à quelque chose de différent. Huit morts en une seule coulée, c’est du jamais-vu à Tahiti depuis des décennies. Et pourtant, les signes avant-coureurs étaient là.
Depuis le 23 novembre, les îles du Vent étaient placées en vigilance orange pluies-inondations. Des cumuls impressionnants, parfois plus de 200 mm en 24 heures, ont saturé les sols déjà fragiles des reliefs volcaniques. Sur les pentes raides de Taiarapu-Est, la terre gorgée d’eau n’a tout simplement plus tenu.
Que s’est-il passé exactement à Afaahiti ?
Le scénario est d’une violence rare. Vers 5 heures du matin, un pan de colline haut d’une trentaine de mètres se détache. La première maison, située en amont, est balayée instantanément. Emportée par la force de l’éboulement, elle va percuter la seconde habitation située plus bas, comme un bélier de plusieurs tonnes. Les deux bâtisses disparaissent sous la boue en moins d’une minute.
Les secours arrivent vite, mais le terrain est un cauchemar. La zone continue de bouger, des répliques – c’est le terme employé – font trembler la pente restante. À plusieurs reprises, les équipes doivent se replier en urgence. On avance mètre par mètre avec des pelleteuses, des chiens, des caméras endoscopiques. Chaque pelletée peut déclencher un nouvel effondrement.
« On a deux chantiers et on avance très doucement… parce qu’à n’importe quel moment, on peut mettre du poids sur de potentielles victimes encore coincées. »
Un officier commandant les opérations de secours
Un bilan humain insoutenable
Les huit victimes formaient deux familles élargies. Trois femmes, quatre hommes, et cette petite fille de trois ans dont le prénom circule déjà dans toutes les conversations. On imagine la grand-mère qui préparait le café, les enfants encore endormis… et puis plus rien.
Hier après-midi, la procureure de Papeete a confirmé la fin des recherches. Plus personne n’est porté disparu. Le mot « fin » sonne terriblement définitif.
- 8 corps retrouvés au total
- 2 maisons complètement détruites
- 29 logements évacués par précaution
- 50 personnes relogées temporairement
- Plus de 100 sauveteurs mobilisés pendant 48 heures
Pourquoi un tel drame était-il prévisible ?
Franchement, la question brûle les lèvres. Oui, les fortes pluies sont classiques en cette saison. Mais on construit de plus en plus sur des terrains en pente, parfois sans études de sol sérieuses. Les fare locaux, souvent en bois et tôle, ne résistent pas à une telle masse.
Les experts géologues dépêchés sur place – certains sont venus en renfort de Nouvelle-Calédonie – ont été formels : la zone reste extrêmement instable. Des fissures continuent d’apparaître. Le chantier de déblaiement a même été suspendu par sécurité.
On parle déjà d’une possible urbanisation anarchique dans certaines vallées. Des habitations implantées trop près des talus, des déboisements sauvages en amont… Les ingrédients d’une catastrophe annoncée, en somme.
L’enquête judiciaire est ouverte
Une information judiciaire pour homicides involontaires a été confiée à la gendarmerie. On va examiner les permis de construire, les études de risques, la responsabilité éventuelle de la commune ou du Pays. Rien n’est exclu.
Dans ce genre de dossier, on retrouve souvent les mêmes schémas : des terrains classés inconstructibles revendus sous le manteau, des arrêtés pris à la va-vite, des alertes météo minimisées. Espérons que cette fois, la justice ira jusqu’au bout.
La solidarité polynésienne en action
Dans l’adversité, les Polynésiens montrent toujours une force incroyable. Dès mercredi soir, les drapeaux ont été mis en berne partout dans le fenua. Une journée de recueillement et une minute de silence ont été organisées hier.
Une cellule d’urgence médico-psychologique tourne à plein régime. Les écoles du secteur restent fermées. Des familles entières ont ouvert leurs portes pour héberger les sinistrés. C’est le ma’ohi spirit dans ce qu’il a de plus beau.
« Aux familles touchées par le drame d’Afaahiti, tout le soutien de la Nation. »
Message officiel du président de la République
Et maintenant ?
La grande question qui se pose, c’est : va-t-on enfin tirer les leçons ? La Polynésie française vit sous la menace permanente des cyclones, des tsunamis, des séismes… et maintenant des glissements de terrain de plus en plus fréquents avec le réchauffement climatique.
Il faudra probablement revoir entièrement la politique d’aménagement du territoire. Interdire purement et simplement certaines zones rouges. Imposer des études géotechniques obligatoires. Renforcer les systèmes d’alerte precoce. Ça coûte cher, bien sûr. Mais huit vies perdues, ça n’a pas de prix.
En attendant, Afaahiti pleure ses morts. Le village ne sera plus jamais tout à fait le même. Et quelque part, sur cette colline encore fumante de boue, huit âmes veillent désormais sur les vivants pour qu’un tel drame ne se reproduise plus.
Prenez soin de vous et de vos proches. Et quand Météo Polynésie passe en orange, écoutez-la. Vraiment.
